BELÉM, Brésil — L’Union européenne est arrivée au sommet mondial pour le climat
cette année dans l’espoir d’exorciser certains de ses démons climatiques. Elle y
est parvenue, dans une certaine mesure, puis en a trouvé de nouveaux.
Après une année de querelles intestines qui se sont soldées par un accord de
dernière minute sur de nouveaux objectifs de réduction des émissions de gaz à
effeet de serre, juste avant le début de la COP30, l’Union européenne a cherché
à à plaider en faveur d’une intensification des efforts mondiaux dans la lutte
contre le changement climatique.
Mais à Belém, la ville amazonienne qui accueillait les négociations, les
Vingt-Sept ont été confronté à une dure réalité géopolitique. En l’absence des
Etats-Unis, qui, lors des conférences précédentes, ont collaboré avec les
Européens pour promouvoir davantage d’actions en faveur du climat, l’Union
européenne a dû lutter contre le poids combiné de la Chine, de l’Inde, de
l’Arabie saoudite et d’autres puissances économiques en plein essor.
“Nous vivons une période géopolitique compliquée. Il y a donc une valeur
essentielle — même si c’est difficile — à chercher à s’unir”, a déclaré à la
presse Wopke Hoekstra, commissaire européen chargé de la politique climatique,
après que l’Union a décidé de ne pas s’opposer à l’accord final conclu à l’issue
de la conférence climatique.
“Nous n’allons pas cacher le fait que nous aurions préféré en avoir plus, a-t-il
déclaré. Mais le monde est ce qu’il est, la conférence est ce qu’elle est, et
nous pensons que, dans l’ensemble, c’est un pas dans la bonne direction.”
“On ne s’oppose pas [au texte] parce qu’il n’y a rien d’extraordinairement
méchant”, a indiqué à la presse avant son adoption Monique Barbut, ministre de
la Transition écologique française, dénonçant un accord “assez plat”.
Le résultat final n’est pas celui pour lequel l’UE s’était battue, même si elle
a obtenu quelques concessions après avoir menacé d’opposer son veto à l’accord
vendredi, dans les dernières heures de négociations.
Pour apaiser l’UE, ainsi qu’un petit groupe d’autres pays réticents tels que le
Royaume-Uni et la Colombie, la présidence brésilienne de la COP30 a modifié son
projet d’accord afin de confirmer un accord précédent sur la transition vers
l’abandon des combustibles fossiles et a proposé d’entamer une discussion sur la
manière de parvenir à cet accord au cours de l’année à venir.
Un débrayage européen a été envisagé jusqu’à l’aube du dernier matin. “Nous
avons été à bout de nerfs à certains moments de la nuit, tout comme l’Union
européenne, car nous nous sommes dit que nous devions être capables de regarder
les gens dans les yeux”, a déclaré Ed Miliband, secrétaire d’Etat britannique à
l’énergie.
Les pays développés ont également obtenu la modification d’une proposition
visant à tripler le financement de la préparation des pays pauvres aux
catastrophes climatiques. Ce financement sera désormais accordé plus tard que ne
le souhaitaient les pays en développement et proviendra de sources autres que
les budgets des pays riches. Monique Barbut a salué un “volet financier positif
pour les pays les plus pauvres”.
Pourtant, les Européens voulaient laisser au Brésil un signal beaucoup plus
fort, en lui indiquant clairement la voie à suivre pour s’éloigner des
combustibles fossiles.
Mais ils n’ont pas réussi à construire une alliance suffisamment forte pour
contrer l’opposition dirigée par l’Arabie saoudite — un effort entravé par des
vents géopolitiques contraires ainsi que par des divisions internes qui ont
pourchassé l’UE de Bruxelles jusqu’à Belém.
DIVISIONS PERSISTANTES
Les divisions sur le changement climatique qui ont marqué l’Union européenne
tout au long de l’année ont eu une incidence sur les négociations. Jusqu’à
vendredi matin, quelques heures avant la clôture de la conférence, l’Union
européenne a été contrainte de rester en retrait chaque fois que des pays du
monde entier se réunissaient pour réclamer plus d’ambitions.
Un débrayage européen a été envisagé jusqu’à l’aube du dernier matin. Le
ministre britannique de l’énergie, Ed Miliband, a confirmé que la situation
avait été très tendue pendant la nuit, pour son pays comme pour l’Union
européenne. | Pablo Porciuncula/AFP via Getty Images
Mardi, l’UE n’a pas participé à l’appel lancé par 82 pays, sous l’égide de la
Colombie pour encourager une “feuille de route” qui matérialiserait l’accord
antérieur de transition vers l’abandon des combustibles fossiles.
De nombreux gouvernements de l’Union européenne, dont la France, ont soutenu
individuellement cette initiative, mais deux diplomates ont déclaré que l’Italie
et la Pologne ne pouvaient pas soutenir l’accord à l’époque, ce qui a empêché
l’Union européenne dans son ensemble de peser de tout son poids en faveur de cet
appel. L’Union a fini par proposer sa propre version.
De même, l’UE ne figurait pas parmi la coalition de 29 pays qui a envoyé une
lettre à la présidence brésilienne de la COP pour se plaindre qu’un projet de
proposition en cours d’élaboration ne contenait pas de référence à la feuille de
route ou à d’autres efforts.
La majorité des gouvernements de l’Union européenne ont soutenu la missive, mais
dix Etats membres, dont la Grèce, la Hongrie, l’Italie, la Pologne et la
Slovaquie, ne l’ont pas fait.
Cette répartition reflète largement les divisions qui ont marqué l’élaboration
de la politique climatique de l’UE pendant une grande partie de l’année.
L’Union européenne a passé ces derniers mois à essayer de se mettre d’accord sur
une paire de nouveaux objectifs de réduction des émissions, un processus houleux
qui s’est heurté à la résistance de pays préoccupés par l’impact des efforts
écologiques sur leurs industries nationales.
Les 27 gouvernements ont finalement conclu un accord à la veille de la COP30,
fixant de nouveaux objectifs plus souples qu’initialement envisagés, mais qui
comptent néanmoins parmi les plus ambitieux au monde.
Toutefois, à ce stade, il était bien trop tard pour que l’UE tire parti de ces
objectifs et fasse pression sur d’autres grands émetteurs, tels que la Chine,
pour qu’ils intensifient leurs efforts. L’envoyé de Pékin a suggéré dans un
entretien avec POLITICO que si l’Union voulait être un leader en matière de
climat, elle devait régler ses divisions internes.
Les Européens “avaient l’habitude d’être plus actifs et de se faire entendre. On
a l’impression que leur mouvement de balancier sur le continent a un impact, a
constaté un négociateur latino-américain. Ils maintiennent leurs positions, ne
reviennent pas en arrière, mais ils ne semblent plus aussi forts. C’est comme si
la passion avait disparu.”
ISOLÉ À BELÉM
Pourtant, lorsque tous les pays ont reçu le projet d’accord de la présidence
brésilienne vendredi matin, l’UE a décidé de prendre position.
Trois diplomates européens ont déclaré que l’ensemble du bloc était uni dans la
fureur contre le texte — des nations les plus ambitieuses en matière de climat,
comme le Danemark, aux retardataires, comme la Pologne, se plaignant de la
faiblesse du langage sur la réduction des émissions et des lignes rouges
franchies en matière de financement.
Tous les ministres ont été invités à téléphoner à leur capitale pour demander
l’autorisation d’opposer leur veto à un accord si nécessaire, ont indiqué quatre
diplomates. Wopke Hoekstra a déclaré lors d’une réunion organisée par les
Brésiliens : “Nous n’allons en aucun cas accepter cela.”
Andre Correa do Lago, président de la COP30. Pour apaiser l’UE, le Royaume-Uni,
la Colombie et d’autres pays, la présidence brésilienne de la COP30 a modifié
son projet d’accord sur les combustibles fossiles. | Pablo Porciuncula/AFP via
Getty Images
“Nous sommes restés unis jusqu’au bout, même si, bien sûr, nous avions tous des
divergences d’appréciation sur la situation générale”, a déclaré la ministre
française Monique Barbut, qui avait déclaré à plusieurs journalistes que le
texte en l’état était “inacceptable”.
La force du message de la délégation de l’UE a toutefois été quelque peu
atténuée par sa cheffe de file, Ursula von der Leyen, présidente de la
Commission européenne. S’exprimant à peu près au même moment au G20 en Afrique
du Sud, Ursula von der Leyen a affirmé: “Nous ne luttons pas contre les
combustibles fossiles, nous luttons contre les émissions provenant des
combustibles fossiles.”
“Elle est une star qui sape ses propres négociateurs pendant la COP”, s’est
plaint un diplomate de l’UE.
Mais l’UE a également été confrontée à une nouvelle réalité géopolitique à
Belém.
Le ministre allemand du climat, Carsten Schneider, a parlé samedi d’un “nouvel
ordre mondial” auquel l’UE devrait s’habituer : “Quelque chose a changé, et
c’est devenu très évident ici.”
Tout au long de ces deux semaines, les diplomates européens se sont plaints
amèrement des tactiques employées par l’Arabie saoudite et d’autres grands
producteurs de pétrole, qui se sont farouchement opposés à tout appel à
s’attaquer aux combustibles fossiles.
Selon eux, Riyad et ses alliés ont été enhardis par l’absence des Américains et
ont constamment pris la parole lors des réunions pour faire dérailler les
négociations. Les notes d’une réunion à huis clos communiquées à POLITICO
montrent également que l’Arabie saoudite a cherché à dénoncer l’UE pour avoir
imposé des droits de douane sur le carbone.
“Nous avons été confrontés à une pétro-industrie très puissante qui a organisé
une majorité de blocage contre tout progrès”, a déclaré Carsten Schneider.
Le bloc était frustré par ce qu’il considérait comme la complaisance du Brésil à
l’égard de ses alliés des BRICS (la Chine, l’Inde, l’Afrique du Sud et d’autres
économies émergentes), en marchant droit sur les lignes rouges de l’UE en
matière d’aide climatique et en poussant le bloc dans des discussions
inconfortables sur les mesures commerciales.
Mais les Européens se sont également sentis abandonnés par leurs alliés
traditionnels, tels que les petits Etats insulaires, sur lesquels ils comptaient
pour soutenir leur action en faveur du climat. Au final, les Européens et une
poignée de pays d’Amérique latine sont restés seuls.
“Nous devons mener une véritable réflexion sur le rôle de l’UE dans ces
négociations mondiales”, a déclaré un négociateur européen de haut rang. “Nous
avons sous-estimé les BRICS et un peu surestimé notre force — et nous avons
certainement surestimé l’unité de ceux que nous considérons comme nos alliés.”
Tag - Climat
Les parlementaires européens ont adopté aujourd’hui une proposition visant à
fixer un objectif européen contraignant de réduction des émissions de gaz à
effet de serre de 90 % d’ici à 2040.
Le texte est en grande partie un copier-coller de la position adoptée par les
gouvernements de l’UE le 5 novembre. Il propose de réduire les émissions
nationales de 85% par rapport au niveau de 1990 et de permettre à l’UE
d’externaliser 5 points de pourcentage de son effort climatique à l’étranger en
achetant des compensations carbone internationales.
Une majorité de parlementaires a accepté de soutenir l’objectif controversé ;
379 ont voté pour, 248 contre et 10 se sont abstenus.
Les Socialistes & Démocrates (S&D) de centre-gauche, le groupe libéral Renew,
les Verts et le groupe d’extrême gauche ainsi qu’une partie du Parti populaire
européen (PPE) de centre-droit ont soutenu l’adoption de l’objectif climatique
pour 2040. Les eurodéputés français du PPE, les Conservateurs et réformistes
européens (CRE) et les groupes d’extrême droite Patriotes pour l’Europe, auquel
appartient le Rassemblement national, et Europe des nations souveraines (ENS) se
sont opposés à l’adoption de cet objectif.
Les eurodéputés ont également approuvé des amendements demandant que les crédits
carbone utilisés pour atteindre l’objectif soient correctement réglementés,
qu’ils permettent de réelles réductions d’émissions, qu’ils ne contribuent pas à
endommager l’environnement et qu’ils protègent les investissements dans les
technologies vertes en Europe.
Le texte va maintenant faire l’objet de négociations interinstitutionnelles
entre le Parlement et le Conseil de l’UE, rassemblement les chefs d’Etat et de
gouvernement, avant de devenir une loi.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en
français par Alexandre Léchenet.
Cela fait dix ans que les Etats-Unis et l’Europe ont poussé les pays du monde
entier à adopter un accord historique visant à mettre un terme au réchauffement
incontrôlé de la planète.
Conclu par près de 200 pays, ce traité constituait un potentiel “tournant pour
le monde”, avait alors déclaré le président américain de l’époque, Barack Obama.
Presque tous les pays de la planète ont signé l’Accord de Paris de 2015, un
pacte dont le succès devait reposer sur la pression des pairs, une ambition
croissante et, sur le plan économique, une révolution de l’énergie propre.
Mais dix ans plus tard, les actions entreprises pour répondre à ces espoirs ne
sont pas à la hauteur.
Les Etats-Unis ont quitté l’accord ; deux fois. Le président Donald Trump a mis
un coup d’arrêt aux projets d’énergie verte dans son pays et trouve des alliés
pour l’aider à saper les initiatives climatiques à l’étranger, tout en signant
des accords commerciaux qui engagent les pays à acheter davantage de
combustibles fossiles américains.
L’Europe reste sur la bonne voie pour respecter ses engagements en matière de
climat, mais sa détermination vacille, car entre des électeurs inquiets pour
leur pouvoir d’achat et la montée des partis d’extrême droite, des doutes ont
émergé quant à la rapidité avec laquelle l’UE pourra tenir sa promesse de se
détourner des énergies fossiles.
L’Accord de Paris a contribué à ancrer la sensibilisation au changement
climatique dans la culture populaire et la politique, a conduit des pays et des
entreprises à s’engager à réduire leurs émissions carbone à zéro et a contribué
à orienter un flot d’investissements vers les énergies propres. D’après les
scientifiques, le traité semble avoir réduit les risques d’atteindre les niveaux
de réchauffement les plus catastrophiques.
En revanche, la production de pétrole et celle de gaz n’ont pas encore atteint
son pic, tandis que les émissions de CO2 et les températures continuent
d’augmenter. Ces dernières ne sont d’ailleurs plus qu’à quelques dixièmes de
degrés du point de bascule convenu à Paris. Mais les coûts de l’énergie verte
ont tellement baissé que, dans la plupart des régions du monde, elle est devenue
la forme d’énergie la moins chère et elle est déployée à un rythme encore
impensable il y a dix ans.
Les dirigeants et les diplomates, qui se réunissent au Brésil à partir de cette
semaine pour les négociations annuelles des Nations unies sur le climat, seront
confrontés à un test : défendre l’Accord de Paris face à l’opposition de Trump
tout en soulignant que ses objectifs sont à la fois nécessaires et bénéfiques.
Le sommet organisé dans la ville portuaire amazonienne de Belém devait être
celui où les pays riches et pauvres allaient célébrer leurs progrès et s’engager
à réduire toujours plus les émissions de gaz à effet de serre.
Au lieu de cela, le mépris des Etats-Unis pour les efforts climatiques mondiaux
et un message confus de l’Europe rajoutent des difficultés alors que la période
actuelle est bien plus incertaine que celle lors de l’adoption de l’Accord de
Paris.
Certains experts climatiques sont encore optimistes… jusqu’à un certain point.
“Je pense que l’architecture de base résiste à la destruction de Trump”, a
estimé John Podesta, président du Center for American Progress, un organisme de
centre gauche qui a coordonné la politique climatique sous les présidents Obama
et Biden.
Mais cette résistance pourrait s’affaiblir si les Etats-Unis restent en dehors
de l’accord, ce qui priverait le mouvement climat du leadership et du soutien
américains, a-t-il poursuivi. “Si tout cela disparaît, et pour longtemps, je ne
sais pas si la structure tiendra le coup”, a prévenu John Podesta.
D’autres diplomates du climat affirment que l’esprit de coopération de 2015
serait difficile à recréer aujourd’hui, raison pour laquelle il est essentiel
d’appliquer l’Accord de Paris.
“Si nous devions renégocier [l’Accord de] Paris aujourd’hui, nous n’obtiendrions
jamais l’accord que nous avions eu il y a dix ans”, a tranché Rachel Kyte,
représentante spéciale du Royaume-Uni pour les questions climatiques.
“Mais nous pouvons aussi regarder ces données extraordinaires, qui montrent que
la tendance est très claire”, a-t-elle plaidé, faisant référence à la croissance
des énergies propres. “Et la plupart de ceux qui cherchent à protéger leurs
investissements sont intéressés par cette tendance.”
LE PARADOXE DE PARIS
S’il y a bien une chose qui ne s’est pas affaiblie, c’est l’intérêt économique
pour les énergies propres. Les facteurs économiques derrière les investissements
que l’Accord de Paris a contribué à déclencher ont même dépassé ce que ses
auteurs avaient prévu.
Mais la volonté politique pour faire en sorte que les pays continuent à aller de
l’avant n’est pas toujours au rendez-vous, voire elle est parfois au point mort,
alors que les Etats-Unis — la plus grande économie du monde, la seule
superpuissance militaire et, historiquement, le plus grand émetteur de CO2 —
s’attaquent à ses fondements mêmes.
Les tentatives de Trump de saper l’accord — que résume le slogan de la
Maison-Blanche de 2017 : “Pittsburgh, pas Paris” — ont également eu un impact
sur les ambitions européennes, a jugé Laurence Tubiana, l’architecte du traité,
fin octobre devant la presse.
“Je n’ai jamais vu une telle agressivité contre la politique climatique
nationale partout dans le monde à cause des Etats-Unis”, a confié Laurence
Tubiana. “Nous sommes donc réellement confrontés à une bataille idéologique, une
bataille culturelle, où le climat fait partie de cet ensemble que le
gouvernement américain veut vaincre.”
La Maison-Blanche a fait savoir que Donald Trump se concentre sur l’exploitation
du pétrole américain et sur le dialogue avec les dirigeants étrangers sur les
questions énergétiques, plutôt que sur ce qu’elle appelle la “nouvelle arnaque
verte”. Les Etats-Unis n’enverront pas de représentants de haut niveau à la
COP30.
“La nouvelle arnaque verte aurait tué l’Amérique si le président Trump n’avait
pas été élu pour mettre en œuvre son programme énergétique de bon sens”, a
déclaré Taylor Rogers, un porte-parole. “Le président Trump ne mettra pas en
péril la sécurité économique et nationale de notre pays pour poursuivre de
vagues objectifs climatiques qui tuent d’autres pays.”
Donald Trump n’est pas le seul défi auquel l’Accord de Paris fait face.
Même sous Obama, les Etats-Unis ont insisté pour que les objectifs du traité en
matière d’émissions de CO2 ne soient pas contraignants, afin d’éviter un vote de
ratification par le Sénat qui aurait très probablement été contre.
Toutefois, contrairement aux précédents accords sur le climat auxquels les
Etats-Unis avaient refusé de se joindre, tous les pays — y compris et surtout la
Chine — doivent présenter un plan de réduction de leurs émissions. Le traité
laisse aux gouvernements le soin de tenir leurs propres engagements et de
pousser les retardataires à faire mieux. Un contexte politique exceptionnel a
contribué à faire avancer les négociations.
Barack Obama, qui misait une partie de son héritage politique sur la conclusion
d’un accord mondial sur le climat, avait passé l’année précédant l’Accord Paris
à négocier un traité distinct avec la Chine, dans lequel les deux pays, qui sont
les plus gros pollueurs de la planète, s’engageaient à réduire leurs émissions.
La France, en tant qu’hôte des négociations, était également déterminée à
parvenir à un accord mondial.
L’année suivante, plus de 160 pays ont présenté leurs plans initiaux de lutte
contre le réchauffement climatique au niveau national et ont commencé à
travailler à l’élaboration des règles qui allaient servir de fondement au
traité.
“L’Accord de Paris n’est pas une machine à produire de l’ambition. Il ne fait
que nous rappeler le niveau d’ambition dont nous avons convenu […] et suggère ce
qui est nécessaire pour revenir sur la trajectoire”, a décrit Kaveh Guilanpour,
vice-président chargé des stratégies internationales au Center for Climate and
Energy Solutions et négociateur pour le Royaume-Uni lors des négociations à
Paris. “Que les pays le fassent ou non, c’est essentiellement leur affaire.”
Catherine McKenna, ancienne ministre canadienne de l’Environnement qui a
notamment négocié le mécanisme de crédits carbone de l’Accord de Paris, a
qualifié le traité d’“incroyable exploit”, mais qu’il n’allait pas se mettre en
œuvre tout seul.
“Le problème, c’est que désormais c’est vraiment au bon vouloir des pays,
villes, régions, entreprises et institutions financières d’agir”, a-t-elle
pointé. “Ce n’est plus une histoire de traité ; maintenant, c’est : ‘faites le
travail.’”
QUAND LE VERT DEVIENT GRIS
Les signes de discorde ne sont pas difficiles à trouver dans le monde entier.
La Chine resserre son emprise sur la fabrication et l’exportation d’énergies
propres, garantissant l’accès à un plus grand nombre de pays à des énergies
renouvelables peu coûteuses, mais créant des tensions dans les régions qui
souhaitent également bénéficier des emplois et des revenus générés par la
fabrication de ces équipements et qui craignent de trop dépendre d’un seul pays.
Au Canada, le Premier ministre Mark Carney, ancien envoyé des Nations unies pour
le climat, a supprimé la taxe carbone pesant sur la consommation et prévoit
d’exploiter davantage de gaz naturel afin de renforcer les défenses économiques
face aux Etats-Unis.
L’Union européenne a passé les cinq dernières années à élaborer un vaste
ensemble de réglementations écologiques et de mesures sectorielles, et elle
estime être à peu près en bonne voie pour atteindre ces objectifs. Cependant,
bon nombre des 27 gouvernements — sous la pression d’une extrême droite en
progression, de prix élevés de l’énergie, des difficultés de certaines
industries et de la guerre de la Russie contre l’Ukraine — demandent aujourd’hui
à l’UE de réévaluer un certain nombre de ces politiques.
Toutefois, les points de vue au sein de l’Union divergent fortement, certains
préconisant de petites modifications, quand d’autres veulent revenir sur des
pans entiers de la législation.
“L’Europe doit rester un continent de cohérence”, a défendu Emmanuel Macron
après une réunion des dirigeants de l’UE en octobre. “Elle doit aller plus vite
sur la compétitivité, mais elle ne doit pas renoncer à ses objectifs
[climatiques].”
Le Premier ministre polonais Donald Tusk, en revanche, a déclaré après la même
réunion qu’il se sentait conforté par l’opposition historique de son pays à
l’agenda vert européen : “Dans la plupart des capitales européennes, on aborde
différemment aujourd’hui ces ambitions climatiques européennes exagérées.”
Au-delà de l’UE, la plupart des pays dans le monde n’ont pas encore soumis leurs
derniers plans de réduction des émissions de carbone aux Nations unies. Si les
plans annoncés par les gouvernements s’inscrivent pour la plupart dans le
prolongement des précédents, ils ne prévoient encore que des réductions modestes
par rapport à ce qui est nécessaire pour limiter à 1,5 degré le réchauffement de
la Terre depuis l’ère préindustrielle.
Selon les scientifiques, dépasser ce seuil entraînerait davantage de décès,
ainsi que des dommages physiques et économiques dont il serait de plus en plus
difficile de se remettre à chaque dixième de degré de réchauffement
supplémentaire.
Le dernier rapport de l’ONU, qui expose l’écart entre les nouvelles promesses
des pays et les objectifs de l’Accord de Paris, a montré que le monde est sur la
voie d’un réchauffement de 2,3 à 2,5 degrés, une différence marginale par
rapport aux plans soumis en 2020, et même presque nulle si l’on exclut
l’engagement des Etats-Unis. Les politiques mises en place à l’heure actuelle
laissent présager un réchauffement de 2,8 degrés.
“Nous devons réaliser une baisse sans précédent des émissions de gaz à effet de
serre dans un délai toujours plus court et dans un contexte géopolitique
difficile”, a résumé Inger Andersen, directrice exécutive du Programme des
Nations unies pour l’environnement.
Mais le faire a aussi du sens, a-t-elle ajouté. “C’est là que le marché montre
que ce type d’investissements intelligents, propres et verts crée en réalité des
emplois et des opportunités. C’est là que se trouve l’avenir.”
Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a déclaré dans un message
vidéo mardi que le dépassement de l’objectif de 1,5 degré fixé à Paris était
désormais inévitable dans les années à venir. Il a imploré les dirigeants de
déployer rapidement les énergies renouvelables et d’arrêter l’expansion du
pétrole, du gaz et du charbon pour s’assurer que ce dépassement soit de courte
durée.
“On est dans un sacré pétrin”, a lancé Bill Hare, un climatologue chevronné qui
a fondé l’institut Climate Analytics.
Les émissions de gaz à effet de serre n’ont pas diminué et on n’a pas pris plus
de mesures alors que les catastrophes climatiques se sont multipliées.
“Je pense que ce qui se profile est un test majeur pour l’Accord de Paris,
probablement le test le plus important. Cet accord peut-il aller de l’avant sous
le poids de tous ces défis ?” formule Bill Hare. “S’il n’y parvient pas, les
gouvernements s’interrogeront franchement sur ses avantages.”
Cela ne veut pas dire que tout est perdu.
En 2015, le monde se dirigeait vers un réchauffement d’environ 4 degrés, ce qui,
selon les chercheurs, aurait été dévastateur pour une grande partie de la
planète. Aujourd’hui, cette projection est inférieure d’environ un degré.
“Je pense que beaucoup d’entre nous à Paris étaient très dubitatifs à l’époque
quant à la possibilité de limiter le réchauffement à 1,5” degrés, confie Elliot
Diringer, un ancien responsable du climat qui dirigeait le programme
international du Center for Climate and Energy Solutions lors des négociations
de l’Accord de Paris.
“La question est de savoir si notre situation est meilleure grâce à l’Accord de
Paris”, a-t-il exposé. “Je pense que la réponse est oui. Avons-nous assez avancé
? Absolument pas.”
LES TECHNOLOGIES VERTES DÉFIENT LES ATTENTES
En outre, l’adoption de technologies énergétiques propres a progressé encore
plus rapidement que prévu, déclenchant ce qu’un expert du climat a appelé un
changement dans la politique climatique mondiale.
“Nous ne sommes plus dans un monde où seule la politique climatique joue un rôle
prépondérant et substantiel, mais de plus en plus l’économie climatique”, a
analysé Christiana Figueres, qui était la secrétaire exécutive de la
Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques en 2015.
“Oui, la politique est importante, mais elle ne l’est plus autant qu’il y a dix
ans.”
Le déploiement annuel de l’énergie solaire dans le monde est 15 fois supérieur à
ce que prévoyait l’Agence internationale de l’énergie en 2015, selon une analyse
récente de l’Energy and Climate Intelligence Unit, une association britannique.
Les énergies renouvelables représentent désormais plus de 90% des nouvelles
capacités électriques ajoutées chaque année dans le monde, selon BloombergNEF.
La Chine déploie un nombre record d’énergies renouvelables et en réduit les
coûts pour des pays, tels que le Brésil et le Pakistan, qui ont vu leurs
installations solaires monter en flèche.
Même aux Etats-Unis, où Donald Trump a abrogé de nombreuses baisses d’impôts et
autres mesures incitatives de Joe Biden, BloombergNEF prévoit que les
énergéticiens continueront à déployer des installations vertes, en grande partie
parce qu’il s’agit souvent du moyen le plus rapide de produire de l’électricité.
Les coûts des éoliennes et des batteries diminuent également. Les ventes de
véhicules électriques montent en flèche dans de nombreux pays, en grande partie
grâce à l’énorme quantité de véhicules bon marché produits par la société
chinoise BYD, le plus grand fabricant au monde.
Au niveau mondial, les investissements dans les énergies propres sont
aujourd’hui deux fois plus importants que ceux consacrés aux énergies fossiles,
selon l’Agence internationale de l’énergie.
“Aujourd’hui, on peut parler de déploiement de technologies énergétiques propres
en raison de leur compétitivité-coût et de leur capacité à réduire les coûts des
systèmes énergétiques”, a expliqué Robbie Orvis, directeur senior de la
modélisation et de l’analyse à l’institut de recherche Energy Innovation. “Pour
beaucoup d’entre elles, ce n’est même pas nécessaire de parler de climat, ce qui
n’était pas le cas il y a dix ans.”
Les tendances économiques de la dernière décennie sont frappantes, a souligné
Todd Stern, l’envoyé américain pour le climat qui a négocié l’Accord de Paris.
Ce traité “a été perçu dans le monde entier, par d’autres pays, dans les
conseils d’administration, comme la première fois en plus de vingt ans que les
chefs de gouvernement disaient enfin : ‘Oui, faisons-le’”, a-t-il mis en avant.
“Et ce n’est pas la seule raison pour laquelle il y a eu un énorme développement
technologique, mais cela n’a certainement pas fait de mal.”
Néanmoins, il existe des limites à la capacité des entreprises à mener seules la
transition vers l’énergie propre.
“Il faut une certaine forme d’intervention gouvernementale, qu’il s’agisse d’un
bâton ou d’une carotte, pour pousser l’économie vers une trajectoire bas
carbone”, a estimé Andrew Wilson, secrétaire général adjoint de la Chambre de
commerce internationale. “Si les gouvernements appuient sur le frein de l’action
climatique ou commencent sérieusement à mettre la pédale douce, cela a un effet
limitatif.”
Le Brésil, pays hôte de la COP30, souhaite démontrer que le multilatéralisme
fonctionne toujours, qu’il est utile pour la vie des gens et qu’il est capable
de répondre aux impacts climatiques auxquels les communautés du monde entier
sont confrontées.
Mais l’objectif des négociations de cette année pourrait être encore plus
simple, selon Kaveh Guilanpour, l’ancien négociateur pour le Royaume-Uni.
“Si nous sortons de la COP30 en démontrant que l’Accord de Paris est vivant et
fonctionne, a-t-il souligné, je pense que dans le contexte actuel, ce serait
déjà une information en soi.”
Nicolas Camut à Paris, Zi-Ann Lum à Ottawa, Karl Mathiesen à Londres et Zia
Weise à Bruxelles ont contribué à cet article, qui a d’abord été publié par
POLITICO en anglais, puis a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.
BRUXELLES — Les ministres de l’Environnement de l’Union européenne sont parvenus
à un accord qui édulcore l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de
serre proposé pour 2040 et établit un nouveau plan climatique pour 2035.
A l’issue de négociations marathon qui se sont déroulées toute la journée de
mardi et la matinée de mercredi, les ministres ont approuvé à l’unanimité le
nouveau plan climatique de l’UE pour 2035. Attendu de longue date, il évite
ainsi à l’UE d’arriver les mains vides au sommet de la COP30, qui commence dans
quelques jours au Brésil.
Le plan, qui est une exigence de l’Accord de Paris, fixe un nouvel objectif
visant à réduire les émissions de l’UE entre 66,25% et 72,5% par rapport aux
niveaux de 1990 d’ici 2035.
Ce plan n’est pas juridiquement contraignant, mais définit l’orientation de la
politique climatique européenne pour les cinq prochaine années. Il reprend une
déclaration informelle que l’UE a présentée lors du sommet sur le climat qui
s’est tenu à New York en septembre.
Les ministres ont également adopté un objectif juridiquement contraignant visant
à réduire les émissions dans l’UE de 85% d’ici à 2040. L’accord prévoit qu’une
réduction supplémentaire de 5% sera obtenue en externalisant des réductions
d’émissions à l’étranger par l’achat de crédits carbone internationaux.
En outre, les gouvernements des 27 seraient autorisés à utiliser des crédits
carbone supplémentaires pour externaliser jusqu’à 5 points de pourcentage de
leurs objectifs nationaux de réduction d’émissions.
Les ministres ont aussi soutenu une clause de révision large qui permet à l’UE
d’ajuster son objectif pour 2040 à l’avenir si la politique climatique s’avère
avoir des effets négatifs sur l’économie européenne.
L’accord prévoit également de retarder d’un an la mise en œuvre du nouveau
marché européen du carbone (ETS2) pour les émissions liées au chauffage des
bâtiments et aux transports routiers, qui doit débuter en 2027.
La Hongrie, la Slovaquie, la République tchèque et la Pologne n’ont pas soutenu
l’accord sur l’objectif 2040, tandis que la Bulgarie et la Belgique se sont
abstenues. Les autres pays de l’UE l’ont soutenu.
Les députés du Parlement européen doivent maintenant adopter leur propre
position sur l’objectif 2040 et négocier avec le Conseil de l’UE avant que ce
dernier ne puisse entrer en vigueur.
Zia Weise a contribué à cet article.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais, puis a été édité en
français par Alexandre Léchenet.
Selon un rapport du programme des Nations unies sur l’environnement publié
mardi, les nouveaux plans nationaux conçus pour lutter plus efficacement contre
le changement climatique ne vont pas beaucoup infléchir les projections de
températures mondiales déjà dangereusement élevées.
Ces conclusions soulignent la tâche qui attend les différents pays participant
aux négociations sur le climat de la COP30, qui débutent le 10 novembre au
Brésil. Le rapport des Nations unies montre que les pays se sont engagés sur une
voie qui entraînerait des changements à long terme pour la planète, tels que des
vagues de chaleur plus meurtrières, une élévation vertigineuse du niveau de la
mer et des phénomènes extrêmes plus probables tels que les incendies et les
sécheresses.
Les températures augmenteraient de 2,3 à 2,5 degrés par rapport aux niveaux de
l’ère préindustrielle d’ici à 2100 si les gouvernements suivaient les politiques
présentées dans leurs stratégies climatiques officielles la semaine dernière,
selon son rapport annuel intitulé Emissions gap report. Cette trajectoire
dépasserait de loin les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat de 2015
dont l’objectif est de maintenir l’augmentation “bien en dessous” de 2°C et du
but plus ambitieux de 1,5°C.
“Les pays ont eu trois occasions d’atteindre leurs engagement dans le cadre de
l’Accord de Paris, et à chaque fois, elles sont tombées à côté de la cible”,
indique le rapport. “Nous avons toujours besoin d’une réduction d’ampleur sans
précédent des émissions de gaz à effet de serre, dans un délai toujours plus
court, dans un contexte géopolitique difficile.”
Bien que la trajectoire représente un progrès depuis l’Accord de Paris, lorsque
la hausse de température prévue se rapprochait de 4°C, elle est encore loin
d’être suffisante, selon ce même document. Les Nations unies sont parvenues à la
conclusion que l’augmentation de la température sur plusieurs décennies
dépassera 1,5 °C pour la première fois au cours de la prochaine décennie.
Ce faisant, elles franchiraient un seuil politique critique. Les pays ont
largement axé leurs stratégies sur l’évitement de ce point de repère, en citant
les prévisions désastreuses d’un rapport spécial des Nations unies sur la
science du climat publié en 2018, qui mettait en garde contre la probabilité
accrue de provoquer des “points de basculement” climatiques irréversibles.
“L’Accord de Paris ne fixe pas de date butoir ou d’échéance pour son objectif.
Il est largement compris comme une obligation juridique, morale et politique”,
indique le rapport, notant que “chaque fraction de degré de réchauffement
climatique a de l’importance”.
En réalité, les pays s’éloignent encore davantage de leurs engagements initiaux
: presque toutes les améliorations — représentant 0,1°C de réchauffement — par
rapport aux plans nationaux soumis en 2020, lorsque la trajectoire poussait vers
un réchauffement de 2,6° à 2,8°C, sont dues à des changements méthodologiques.
Le deuxième retrait des Etats-Unis de l’Accord de Paris sur le climat sous la
présidence de Donald Trump effacerait encore 0,1°C de progrès, a déclaré l’ONU.
Donald Trump ne fera qu’exacerber le problème en mettant à l’écart la plus
grande économie mondiale et le deuxième plus grand émetteur de gaz à effet de
serre. L’ONU a constaté que les récents revirements de politique augmenteraient
les émissions américaines d’une gigatonne jusqu’en 2030, ce qui représente une
augmentation significative par rapport à l’objectif de l’ancien président Joe
Biden de réduire les émissions américaines à environ 3 gigatonnes cette
année-là.
Selon le rapport, les tendances en matière de pollution vont elle aussi dans la
mauvaise direction au niveau mondial. Les gaz à effet de serre ont augmenté de
2,3% par rapport aux niveaux de 2023, près du double de l’augmentation de 1,6%
entre 2022 et 2023 et quatre fois plus rapide que le taux de croissance annuel
moyen des années 2010. Le changement d’affectation des terres et la
déforestation ont entraîné une hausse des émissions en 2024, combinée à une
forte consommation de combustibles fossiles.
L’ONU a déclaré que l’objectif était désormais de limiter le “dépassement” de
1,5 °C et de réduire à terme les températures mondiales. Le rapport évalue un
scénario qui a 66% de chances de limiter ce dépassement à 0,3 °C et de ramener
les températures sous la barre des 1,5°C d’ici à 2100.
Mais la plupart des pays sont loin de mettre en œuvre toutes les politiques
nécessaires pour atteindre leurs objectifs pour 2030, le monde étant
actuellement sur la voie d’un réchauffement de 2,8°C supplémentaires. Et
seulement 60 signataires de l’Accord de Paris — même pas un tiers du total — ont
déposé leurs contributions nationale (CDN), les plans nationaux réclamés tous
les cinq ans, avant la date limite du 30 septembre. Un date déjà décalée de
plusieurs mois ; la limite initiale étant en février.
Les pays du G20, qui, en dehors des pays de l’Union africaine, sont responsables
de 77% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, doivent montrer la voie,
a déclaré l’ONU. Jusqu’à présent, seuls sept membres du G20 ont finalisé leur
dernière CDN, tandis que trois autres ont annoncé des objectifs informels. Les
propositions du G20 sont également insuffisantes dans l’ensemble, car aucune n’a
renforcé ses objectifs pour 2030, a déclaré l’ONU.
“L’accélération des mesures d’atténuation offre des avantages et des
opportunités”, rappelle le rapport, ajoutant que “les nouvelles CDN et la
situation géopolitique actuelle n’offrent pas de signes prometteurs que cela se
produira”. Il ajoute que c’est ce que les pays et le mutlilatéralisme doivent
résoudre “pour affirmer l’engagement collectif et la confiance dans la
réalisation de l’objectif de température de l’Accord de Paris”.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais, puis a été édité en
français par Alexandre Léchenet.
Le géant pétrolier TotalEnergies a trompé ses clients et le grand public en
prétendant être un acteur majeur de la transition énergétique, a jugé
aujourd’hui le tribunal judiciaire de Paris.
A la suite du changement de nom de Total en TotalEnergies en 2021, le producteur
pétrolier français avait lancé une campagne publicitaire affirmant que
l’entreprise avait une “ambition de neutralité carbone d’ici 2050”
Elle affirmait être “un acteur majeur de la transition énergétique” et mettre
“le développement durable au cœur de notre stratégie, de nos projets et de nos
opérations pour contribuer au bien-être des populations, en ligne avec les
Objectifs de développement durable définis par les Nations Unies” (des
déclarations encore lisibles sur leur site).
Le tribunal a estimé que la major pétrolière s’était livrée à des “pratiques
commerciales trompeuses” en diffusant sur son site web des affirmations faisant
apparaître ses activités comme plus vertes qu’elles ne l’étaient — une pratique
connue sous le nom de greenwashing (écoblanchiment). Selon le tribunal, ces
affirmations étaient “de nature à induire en erreur le consommateur, sur la
portée des engagements environnementaux du groupe”.
Le tribunal a ordonné à TotalEnergies de cesser de diffuser les allégations
trompeuses “dans un délai d’un mois”, sous peine d’une amende de 10 000 euros
par jour de retard.
Le procès contre la major pétrolière a été intenté en 2022 par un groupe d’ONG
environnementales, dont les Amis de la Terre France, Greenpeace et Notre Affaire
à Tous, avec le soutien de l’organisation caritative spécialisé dans le droit de
l’environnement ClientEarth.
“Nous espérons que la décision du tribunal aidera à faire la lumière sur la
réalité des activités de Total, qui continue son expansion pétrogazière”, a
déclaré Juliette Renaud, membre des Amis de la Terre France, dans un communiqué.
“Il est temps de contraindre Total et les autres majors à se conformer aux
recommandations des scientifiques pour en finir avec le développement de
nouveaux projets fossiles”, a-t-elle ajouté.
Contacté, TotalEnergies n’a pas répondu au moment de la publication.
L’entreprise peut faire appel de la décision.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais, puis a été édité en
français par Alexandre Léchenet.
BRUXELLES — Les gouvernements européens ne voteront pas jeudi prochain pour
fixer l’objectif climatique de l’Union en 2040, ont déclaré quatre diplomates à
POLITICO.
Les ministres de l’environnement de l’UE devaient se mettre d’accord sur cet
objectif de réduction des émissions pour 2040 lors d’une réunion le 18 septembre
prochain à Bruxelles.
Toutefois, le Danemark, qui préside les négociations, a annulé le vote, selon
les diplomates, qui ont parlé sous conditions d’anonymat. Une discussion
ministérielle aura encore lieu jeudi pour préparer un débat au niveau des
dirigeants des pays de l’UE.
Cette décision intervient après que la France et l’Allemagne se sont joints à la
Pologne et l’Italie pour demander que le vote soit reporté jusqu’a ce que les
dirigeants nationaux puissent s’exprimer sur l’objectif, créant ainsi une
minorité de blocage.
La Commission européenne a proposé de réduire les émissions de l’UE de 90% par
rapport aux niveaux de 1990 d’ici à 2040, mais de nombreux pays ont demandé une
marge de manœuvre supplémentaire pour l’atteindre. Certains gouvernements
souhaitent également l’affaiblir considérablement.
Ce retard risque également de fragiliser la définition d’un objectif
intermédiaire pour 2035 requis dans le cadre de l’Accord de Paris, conclu il y a
dix ans. Les ministres devaient voter sur les deux objectifs la semaine
prochaine, car l’Union avait l’intention de calculer l’objectif pour 2035 en
fonction de celui pour 2040.
Sans l’objectif pour 2040, l’UE optera probablement pour un objectif
moins-disant pour 2035. Les pays devraient encore se prononcer sur ce dernier la
semaine prochaine afin de respecter l’échéance de septembre fixée par les
Nations unies pour l’élaboration des plans nationaux.
Cet article a été initialement écrit en anglais par POLITICO et édité en
français par Alexandre Léchenet.
MADRID — Les feux de forêt records de cet été ont mis à l’épreuve la capacité de
l’Espagne à gérer les crises, tout en déclenchant de vives querelles politiques
et en fournissant des munitions électorales à une droite radicale en plein
essor.
Selon le système européen d’information sur les feux de forêt (EFFIS), les
incendies ont brûlé près de 400 000 hectares en Espagne cette année, ce qui en
fait le pire été depuis trente ans.
La réponse aux incendies a été au centre d’un conflit entre le fragile
gouvernement du pays, dirigé par le Parti socialiste ouvrier (PSOE) du Premier
ministre Pedro Sánchez, et le Parti populaire (PP), un parti conservateur de
l’opposition. Alors que les socialistes restent chargés des ministères et des
agences nationales, le PP gouverne les trois régions les plus touchées : Galice,
Castille-et-León, et Estrémadure.
Le ministre des Transports, Óscar Puente, a qualifié le président du PP de
Castille et León, Alfonso Fernández Mañueco, de “honte” pour avoir été en
vacances lorsque les incendies ont commencé à dévaster sa région. Dans la
querelle qui a suivi, le PP a traité Virginia Barcones, cheffe de l’agence de
protection civile de l’Etat, de “pyromane” et de “hooligan”.
Parmi les injures proférées par les deux partis traditionnels espagnols, c’est
la formation d’extrême droite Vox — troisième parti ayant le plus de sièges au
Parlement — qui en a le plus profité, en présentant les incendies comme le
résultat d’un système politique en faillite morale.
“Tout brûle sauf la seule chose qui devrait brûler : un système corrompu conçu
contre le peuple espagnol”, a lancé Santiago Abascal, dirigeant de Vox, alors
que les incendies faisaient rage mi-août.
L’ÉCHEC DES PARTIS DE L’ESTABLISHMENT
Pedro Sánchez a souligné que les incendies étaient liés au changement climatique
et a appelé à un accord entre les partis pour faire face à ce qu’il appelle une
“urgence climatique” en Espagne.
Vox, en revanche, a utilisé les incendies pour promouvoir son propre programme
politique basé sur le déni du changement climatique et qualifiant les politiques
du gouvernement de “terrorisme climatique”. Il attribue le manque d’attention
aux zones rurales vulnérables aux politiques vertes du gouvernement et à son
adhésion aux objectifs de développement durable des Nations unies.
Vox affirme que l’installation d’infrastructures d’énergie renouvelable sur des
terres rurales au lieu de pratiquer l’agriculture traditionnelle augmente la
probabilité d’incendies. Il souhaite également centraliser le gouvernement, en
faisant de Madrid — et non plus des régions du pays — l’unique responsable de la
coordination de la lutte contre les incendies.
Le PP, qui a également parfois dénié le changement climatique mais qui se méfie
d’être trop associé à Vox, a rejeté les appels de Pedro Sánchez en faveur d’un
pacte politique, les qualifiant d’“écran de fumée” pour faire diversion étant
donné les problèmes auxquels ils font face.
Chez Vox, on présente le problème comme une défaillance des deux partis de
l’establishment.
“Le bipartisme a écorché la peau de l’Espagne […] [et] des forêts interminables
qui brûlent pendant que les conservateurs et les socialistes se renvoient les
compétences, les règlements et les budgets à la figure”, a écrit le porte-parole
du parti, Jorge Buxadé, sur le site d’information de droite OkDiario le 24 août.
Son collègue du parti, Hermann Tertsch, est même allé jusqu’à colporter la
théorie selon laquelle le gouvernement du pays aurait délibérément déclenché les
incendies pour détourner l’attention de ses propres problèmes.
De la fumée s’élève au-dessus d’une zone forestière lors d’un incendie près du
village de Quiroga, à Lugo, en Galice, dans le nord-ouest de l’Espagne, le 25
août 2025. | Eliseo Trigo/EPA
Parmi ces difficultés figure l’instabilité de l’administration Sánchez, qui
gouverne avec une majorité parlementaire très faible et qui est mise à rude
épreuve ces derniers mois par une série d’enquêtes sur des affaires de
corruption.
“Cette rhétorique est utile à l’extrême droite, qui fait passer le gouvernement
comme illégitime et incapable ; que tous les problèmes du pays ont la même cause
fondamentale, à savoir le gouvernement”, analyse Paco Camas, responsable de
l’opinion publique en Espagne pour l’institut de sondage Ipsos.
Selon lui, la capacité de Vox à prendre ses distances par rapport aux partis
traditionnels et à leurs querelles permet d’élargir son audience.
“Auparavant, Vox était un parti pour les classes moyennes et supérieures, mais
depuis peu, il gagne le soutien des groupes à faibles revenus”, souligne-t-il.
“Et il parvient à s’assurer un soutien dans les zones rurales, peu peuplées ;
dans les petites villes, où les gens ont de faibles revenus.”
LES CATASTROPHES ALIMENTENT L’ESSOR DE VOX
Les incendies de forêt sont le dernier épisode en date d’une série de crises
nationales qui ont exacerbé un climat politique déjà délétère dans le pays.
En octobre 2024, des inondations soudaines dans l’est de l’Espagne ont tué plus
de 220 personnes, ce qui a provoqué un conflit entre le PP et le PSOE. Celui
s’est propagé jusqu’à Bruxelles, lorsque les conservateurs ont tenté, en vain,
de bloquer la nomination de l’ancienne ministre socialiste Teresa Ribera au
poste de commissaire européen.
Vox a utilisé les incendies pour promouvoir son propre programme politique basé
sur le déni du changement climatique et qualifiant les politiques du
gouvernement de “terrorisme climatique”. | Fernando Sanchez/Europa Press via
Getty Images
En avril, une panne d’électricité — dont la cause n’a pas encore été entièrement
expliquée — a privé le pays d’électricité pendant plusieurs heures, ce qui a
donné lieu à des théories conspirationnistes farfelues et à de nouveaux
affrontements politiques.
Vox a présenté ces crises comme la preuve d’un Etat défaillant, les liant même à
l’immigration et citant ce que certains ont critiqué comme étant la lenteur de
l’aide apportée en réponse à l’éruption d’un volcan dans les îles Canaries en
2021.
“Peu importe qu’il s’agisse d’un volcan, d’une pandémie, d’une invasion de
migrants, d’une inondation, d’une panne d’électricité ou, maintenant,
d’incendies de forêt”, a énuméré Santiago Abascal, le leader de Vox. “L’Etat
s’est effondré et a été occupé par une mafia corrompue au service de Pedro
Sánchez.”
En effet, le soutien à Vox était déjà en hausse avant les incendies. Un sondage
réalisé en juillet par l’agence nationale de recherche CIS créditait la
formation d’extrême droite de 19%, réduisant ainsi l’écart avec les deux
principaux partis, tous deux à 27% (bien que d’autres instituts de sondage
placent le PSOE nettement en deuxième position). Le soutien de Vox a
particulièrement augmenté parmi les travailleurs ruraux, dont beaucoup ont été
directement touchés par les incendies.
Le parti semble prendre des électeurs au PP plutôt qu’au PSOE. Cependant, alors
que les feux de l’été s’éteignent, le gouvernement sera à nouveau contraint de
faire face au scandale de corruption qui a éclaté au printemps dernier. Un
système de pots-de-vin massif, qui implique des poids lourds du PSOE, reste
“suffisamment lourd pour faire tomber le gouvernement”, d’après Paco Camas.
Persuader sa grande alliance parlementaire d’approuver un nouveau budget pour
2026 — ce qui n’est pas une tâche facile — semble être le meilleur espoir de
Pedro Sánchez de survivre dans les mois à venir.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en
français par Jean-Christophe Catalon.
BRUXELLES — Le commissaire européen chargé du climat a mis en garde contre le
risque d’effondrement du Gulf Stream dans quelques décennies, après que des
scientifiques néerlandais ont constaté que les principaux courants océaniques
s’affaiblissaient plus rapidement qu’on ne le pensait.
Selon une étude publiée cette semaine par des chercheurs de l’université
d’Utrecht, circulation méridienne de retournement de l’Atlantique (AMOC), qui
fait partie du Gulf Stream — un courant de l’océan Atlantique qui empêche
l’Europe de devenir glaciale — pourrait commencer à s’arrêter dans les années
2060 en raison du changement climatique.
Le commissaire européen chargé du climat, Wopke Hoekstra, a qualifié ces
résultats de “signal d’alarme” dans un message publié sur les réseaux sociaux.
Le Gulf Stream, note-t-il, “transporte les eaux tropicales chaudes vers le nord,
ce qui permet aux hivers de l’Europe du Nord d’être beaucoup plus doux que ceux
des régions situées à la même latitude, comme le Canada. Cette nouvelle étude
indique que le Gulf Stream pourrait s’effondrer de notre vivant”.
L’arrêt de l’AMOC entraînerait une chute des températures en Europe, alors même
que le réchauffement climatique se poursuit. Cela réduirait également les
précipitations et entraînerait probablement des étés encore plus secs, avec des
conséquences dévastatrices pour l’agriculture.
Au début du mois, la vice-présidente de la Commission européenne, Teresa Ribera,
chargée de la politique verte de l’UE, a suggéré que l’AMOC soit “ajouté à la
liste des acronymes de sécurité nationale en Europe”, compte tenu des graves
conséquences d’une fermeture.
L’étude néerlandaise, qui analyse 25 modèles climatiques différents, a révélé
que dans le cadre d’un scénario d’émissions modérées — c’est-à-dire une
augmentation des températures mondiales d’environ 2,7 degrés Celsius par rapport
aux niveaux préindustriels au cours de ce siècle — l’AMOC pourrait commencer à
s’effondrer à partir de 2063.
La planète s’est déjà réchauffée de 1,3 °C et devrait atteindre 2,7 °C selon les
plans climatiques actuels des gouvernements. Dans le cadre d’un scénario à
fortes émissions prévoyant un réchauffement supérieur à 4 °C, ce qui est
considéré comme improbable, l’arrêt de la production pourrait se produire dès
2055, ont-ils constaté.
Selon des études antérieures, il était peu probable qu’un effondrement se
produise au cours de ce siècle.
DES CHANCES NON-NULLES
Sybren Drijfhout, titulaire de la chaire de sciences océaniques et terrestres à
l’université de Southampton et chercheur à l’Institut météorologique royal
néerlandais, a déclaré que l’étude de l’université d’Utrecht était “solide”.
Le chercheur, qui n’a pas participé à l’étude d’Utrecht, a publié jeudi une
autre étude qui aboutit à une conclusion similaire : l’AMOC atteindra un point
de bascule au cours de ce siècle et entamera un déclin avant de s’arrêter après
l’année 2100.
Selon cette étude, le scénario improbable de fortes émissions a 70 % de chances
de conduire à un tel effondrement de l’AMOC, tandis que le scénario modéré —
l’augmentation de 2,7 °C à laquelle la planète s’attend actuellement —
n’impliquerait que 37 % de chances d’effondrement.
Pourtant, même un scénario à faibles émissions conforme aux objectifs de
l’accord de Paris de 2015 sur le climat qui limite le réchauffement à moins de 2
°C donne 25 % de chances à un arrêt de la production, écrivent les chercheurs.
“Pour autant que les modèles actuels le suggèrent, nous concluons que le risque
d’un arrêt de l’AMOC septentrional est plus important qu’on ne le pensait”, ont
écrit Sybren Drijfhout et ses collègues.
Dans son billet, Wopke Hoekstra exprime sa frustration : le climat est devenu
moins prioritaire dans la politique européenne ces dernières années, en dépit de
la menace que représente le réchauffement de la planète.
“On a l’impression que le changement climatique a été relégué au second plan
parce que nous sommes tellement occupés à traiter d’autres problèmes urgents”,
a-t-il écrit.
“Le progrès prend du temps. Il n’est pas linéaire, a-t-il poursuivi. Il y aura
des moments où l’attention se réduit Nous remercions donc vivement ces
scientifiques de nous avoir à nouveau donné un sérieux coup de semonce en
matière de climat.”
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en
français par Alexandre Léchenet.
Les gouvernements peuvent être tenus légalement responsables de leur inaction en
matière de climat, a déclaré la plus haute juridiction du monde dans une
décision historique rendue mercredi. Cette décision pourrait ouvrir la voie à
une cascade de poursuites judiciaires.
Dans la première décision de ce type, la Cour internationale de justice (CIJ) a
estimé que le droit international en vigueur obligeait tous les pays — qu’ils
aient signé l’accord de Paris de 2015 sur le climat ou, comme les États-Unis,
qu’ils quittent le traité — à lutter contre le réchauffement climatique.
L’inaction des gouvernements — et notamment l’absence de réglementation
suffisante des entreprises qui portent atteinte au climat —, “constitue (…) un
fait internationalement illicite” qui peut avoir des conséquences juridiques,
notamment une “réparation intégrale aux Etats lésés sous forme de restitution
[ou] d’indemnisation”.
En lisant l’avis unanime, le président de la CIJ, Yuji Iwasawa, a souligné “la
menace urgente et existentielle que représente le changement climatique” et a
exposé une vision très large de ce qui pourrait constituer une telle violation.
“Le fait qu’un Etat ne prenne pas les mesures appropriées pour protéger le
système climatique des émissions [de gaz à effet de serre], notamment en
produisant des combustibles fossiles, en les consommant, en octroyant des
licences pour l’exploration de tels combustibles ou des subventions en leur
faveur, peut constituer un fait internationalement illicite attribuable à cet
Etat”, a-t-il déclaré.
Les défenseurs de la justice climatique et les pays particulièrement vulnérables
aux effets du réchauffement climatique ont célébré la décision de la CIJ comme
une victoire historique dans leur combat pour demander des comptes aux plus
grands émetteurs.
Bien que l’avis lui-même ne soit pas contraignant, il représente
l’interprétation par les juges de traités internationaux contraignants, des
conventions existantes et du droit coutumier, et sera influent dans les futures
actions en justice relatives au climat. Il ouvre également la possibilité aux
pays touchés par les catastrophes climatiques et l’élévation du niveau de la mer
de poursuivre les grands pollueurs tels que les Etats-Unis et l’Union
européenne.
Deux semaines d’audiences se sont tenues en décembre, au cours desquelles de
nombreux grands émetteurs ont fait valoir que le cadre climatique existant de
l’ONU était suffisant en tant qu’outil juridique. De nombreux pays plus pauvres
et vulnérables au changement climatique ont demandé à la CIJ une interprétation
plus large permettant d’éventuelles réparations. La Cour s’est rangée du côté de
ces derniers ce mercredi.
L’avis de la CIJ est le résultat d’une campagne de plusieurs années menée par de
jeunes militants de la petite nation insulaire du Vanuatu, dont la survie est
menacée par l’élévation du niveau de la mer et des tempêtes de plus en plus
violentes.
Les efforts déployés pour lutter contre le changement climatique “ne sont pas de
l’idéalisme, comme certains voudraient le faire croire. La Cour vient de
confirmer qu’il s’agit d’obligations contraignantes”, a déclaré Ralph Regenvanu,
ministre du climat du Vanuatu.
“Je suis certain que l’arrêt d’aujourd’hui inspirera de nouvelles affaires dans
lesquelles les victimes du monde entier, d’un point de vue juridique, se
rendront compte qu’elles peuvent faire valoir leurs droits et demander des
comptes.”
LE CLIMAT À L’ÉPREUVE DE TRUMP
La demande d’orientation juridique du Vanuatu se répartissait en deux volets :
premièrement, elle demandait à la CIJ de clarifier les obligations des pays en
vertu du droit international en matière de lutte contre les émissions et,
deuxièmement, les conséquences juridiques pour les pays dont les actions — ou
l’inaction — nuisent au climat.
Les juges ont noté que les traités internationaux existants sur le climat, tels
que l’Accord de Paris et la convention globale des Nations unies, établissent
des “obligations contraignantes” pour les pays afin de protéger le système
climatique de la planète contre les émissions de gaz à effet de serre qui font
grimper la température mondiale.
Ces obligations comprennent l’adoption de mesures visant à réduire les émissions
et à s’adapter aux conséquences du changement climatique, les pays développés —
responsables de la majeure partie de la pollution historique par les gaz à effet
de serre — jouant un rôle de premier plan dans ces efforts.
Mais des obligations similaires existent dans le droit coutumier non écrit, ont
insisté les juges.
“Les Etats ont l’obligation de prévenir les dommages significatifs à
l’environnement en agissant avec la diligence requise et de mettre en œuvre tous
les moyens à leur disposition pour empêcher que les activités exercées dans les
limites de leur juridiction ou sous leur contrôle causent des dommages
significatifs au système climatique et à d’autres composantes de
l’environnement”, peut-on lire dans l’avis.
Sans mentionner les Etats-Unis, qui, sous la présidence de Donald Trump, se
retirent pour la deuxième fois de l’Accord de Paris, Yuji Iwasawa, de la CIJ, a
déclaré que le fait de ne pas être membre des traités sur le changement
climatique ne dispense pas un pays de son devoir de lutter contre le
réchauffement de la planète.
“Les obligations coutumières sont les mêmes pour tous les Etats et existent
indépendamment du fait qu’un État soit ou non partie aux traités sur le
changement climatique”, a-t-il déclaré.
Les pays ont également le devoir de coopérer dans la lutte contre le changement
climatique en vertu du droit international, a déclaré la Cour.
L’ENVIRONNEMENT PROPRE EST UN “DROIT HUMAIN”
La violation de ces obligations “constitue un fait internationalement illicite
engageant la responsabilité de cet Etat”, ont déclaré les juges.
Une telle violation peut avoir des conséquences juridiques, notamment, si un
lien de causalité peut être établi entre l’inaction d’un Etat en matière de
climat et les dommages causés par une catastrophe climatique survenue ailleurs,
la “réparation intégrale des Etats lésés”.
L’établissement d’un tel lien de causalité est difficile, a reconnu Yuji
Iwasawa, “mais cela ne signifie pas que l’identification d’un lien de causalité
soit impossible dans le contexte du changement climatique”.
En lisant l’avis, Yuji Iwasawa a proposé une interprétation large des
obligations légales des pays en matière de changement climatique.
Notamment, il a déclaré que la CIJ considère la limitation du réchauffement
climatique à 1,5°C au-dessus des niveaux préindustriels comme le “principal
objectif” que les pays ont accepté dans le cadre de l’Accord de Paris. L’accord
oblige les pays à limiter la hausse des températures à “bien moins” de 2°C et
idéalement à 1,5°C, mais c’est ce dernier qui est devenu un symbole de l’action
climatique mondiale.
La planète s’est déjà réchauffée de 1,3°C et certains scientifiques pensent que
le monde a manqué l’occasion d’atteindre l’objectif de 1,5°C.
D’une manière générale, la Cour a déclaré que les efforts déployés au niveau
mondial pour lutter contre le changement climatique constituent un élément
essentiel de la législation en matière de droits de l’homme.
“Le droit humain à un environnement propre, sain et durable est essentiel à la
jouissance des autres droits humains”, a déclaré Yoji Iwasawa. “En vertu du
droit international des droits de l’Homme, les Etats sont tenus de prendre les
mesures nécessaires à cet égard.”
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en
français par Alexandre Léchenet.