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La Commission réclame des nouveaux pouvoirs pour développer les réseaux électriques européens
Pour planifier l’expansion des réseaux électriques européens, la Commission européenne a propose qu’elle soit dotée d’un nouveau pouvoir contraignant. Une demande qui intervient alors qu’elle s’efforce de moderniser un réseau vieillissant pour répondre aux exigences croissantes de la transition énergétique. Les modifications qu’elle propose sur le règlement sur les réseaux transeuropéens pour l’énergie (RTE-E) donnerait à la Commission le pouvoir de planifier des “scénarios centraux” pour évaluer les améliorations à apporter au réseau. Cela constituerait un changement radical par rapport au système de planification actuel, complètement décentralisé. Ces scénarios seraient planifiés tous les quatre ans par la Commission — et celle-ci pourrait intervenir aux endroits où aucun projet ne serait prévu. Cette proposition fait partie du paquet sur les réseaux européens, un ensemble législatif présenté ce mercredi. L’accroissement de l’électrification, que ça soit pour les transports, les processus industriels ou le chauffage est nécessaire pour la décarbonation de l’Europe et le respect de ses engagements climatiques. Mais cette évolution va peser sur les réseaux électriques et la Commission souhaite avoir un réseau efficace pour supporter la demande, qui pourrait doubler d’ici à 2040. “Le paquet sur les réseaux européens est davantage qu’une simple politique publique, a déclaré mardi Teresa Ribera, vice-présidente de la Commission en charge de la transition écologique. C’est notre engagement pour un avenir inclusif, où chaque coin de l’UE bénéficiera de la révolution énergétique : des prix bas, une énergie décarbonée, une dépendance réduite vis-à-vis des combustiles fossiles importés, un approvisionnement sécurisé et un matelas contre les chocs des prix.” Outre la planification centralisée, le paquet législatif propose d’accélérer l’octroi de permis pour les réseaux et autres projets énergétiques afin de mettre plus rapidement en place l’infrastructure nécessaire, notamment en assouplissant les règles de planification environnementale. Actuellement, la planification et la construction de nouvelles infrastructures de réseau prennent environ dix ans. Pour ce faire, elle modifierait quatre textes législatifs : le règlement RTE-E, la directive sur les énergies renouvelables, la directive sur les marchés de l’énergie et la directive sur le marché du gaz. Le paquet propose également des modèles de financement “à frais partagés” afin que les pays qui bénéficient des projets contribuent à leur financement, ainsi que l’accélération d’un certain nombre de projets clés d’interconnexion énergétique à travers l’Europe. Cet article a été initialement publié par POLITICO en anglais et adapté en français par Alexandre Léchenet.
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Trump s’en prend aux dirigeants européens dans un grand entretien : “Je pense qu’ils sont faibles”
This story is also available in English. Donald Trump présente l’Europe comme un groupe de pays “en décrépitude” dirigés par des personnes “faibles” dans un grand entretien accordé à POLITICO, sermonnant ses alliés et les décrivant comme incapables de contrôler les flux migratoires et de mettre fin à la guerre en Ukraine. Il signale en outre être prêt à soutenir des candidats à des élections en Europe partageant sa vision du continent.  Cette attaque en règle contre les dirigeants politiques européens représente la dénonciation la plus virulente à ce jour du président américain à l’encontre des démocraties européennes, au risque de provoquer une rupture franche avec des pays comme la France et l’Allemagne aux relations déjà très tendues avec l’administration Trump.  “Je pense qu’ils sont faibles”, dit Trump à propos des dirigeants politiques européens. “Mais je pense aussi qu’ils veulent être tellement politiquement corrects.”  “Ils ne savent pas quoi faire”, ajoute-t-il. “L’Europe ne sait pas quoi faire.”  Les commentaires de Trump sur l’Europe interviennent à un moment particulièrement délicat dans les négociations visant à mettre fin à la guerre menée par la Russie en Ukraine, alors que les dirigeants européens s’inquiètent de plus en plus du risque que les Etats-Unis abandonnent l’Ukraine et ses alliés continentaux face à l’agression russe. Dans l’interview, Trump ne donne aucune assurance aux Européens à ce sujet et déclare que la Russie est manifestement en position de force par rapport à l’Ukraine.  Le président américain s’est exprimé depuis la Maison-Blanche, au cours d’un entretien enregistré lundi avec Dasha Burns, journaliste à POLITICO et animatrice du podcast The Conversation. Donald Trump a été désigné personnalité la plus influente sur la politique européenne pour l’année à venir, dans un classement où ont par le passé figuré à la première place le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy, la présidente du Conseil italienne Giorgia Meloni ou encore le Premier ministre hongrois Viktor Orbán.  Les commentaires du président américain sur l’Europe contrastent fortement avec certaines de ses remarques sur les sujets de politique intérieure dans l’interview. Aux Etats-Unis, Trump et son parti sont confrontés à une série de revers électoraux et à un dysfonctionnement croissant au Congrès, sur fond de mécontentement des électeurs confrontés à des difficultés économiques importantes.   Trump peine à adapter son discours à cette nouvelle réalité : dans l’interview, il attribue une note « A +++++ » à la situation économique du pays, et insiste sur le fait que les prix seraient en baisse dans tous les domaines, tout en refusant d’esquisser des mesures pour faire face à la hausse imminente des primes d’assurance maladie.  Même dans un contexte de turbulences croissantes aux Etats-Unis, Trump reste une figure singulière de la politique internationale.  Ces derniers jours, une vague de consternation a traversé les capitales européennes à la publication du nouveau document sur la stratégie de sécurité nationale de Trump, un manifeste très virulent qui oppose son administration à l’establishment politique européen traditionnel et promet de « cultiver la résistance » intérieure au statu quo européen en matière d’immigration et d’autres questions politiquement sensibles.  Dans l’interview, Trump a encore grossi le trait sur cette vision du monde, décrivant des villes comme Londres et Paris comme croulant sous le poids de l’immigration en provenance du Moyen-Orient et d’Afrique. Sans un changement de politique frontalière, déclare Trump, certains États européens « ne seront plus des pays viables ».  Utilisant un langage incendiaire, Trump qualifie le maire de gauche de Londres, Sadiq Khan, fils d’immigrants pakistanais et premier maire musulman de la ville, de « désastre » et attribue son élection à l’immigration : « Il a été élu parce que beaucoup de gens sont arrivés. Ils votent pour lui maintenant. »  Lundi, le président du Conseil européen, António Costa, a reproché à l’administration Trump ce document sur la sécurité nationale et a exhorté la Maison Blanche à respecter la souveraineté et le droit à l’autonomie gouvernementale de l’Europe.  « Des alliés ne menacent pas d’interférer dans la vie démocratique ou les choix politiques internes de leurs partenaires », a déclaré Costa. « Ils les respectent. »  Dans son entretien avec POLITICO, Trump empiète sur ces limites et déclare qu’il continuera à soutenir ses candidats préférés lors des élections européennes, même au risque d’offenser les sensibilités locales.  « Je serais prêt à soutenir », a déclaré Trump. « J’ai soutenu des personnes, mais j’ai soutenu des personnes que beaucoup d’Européens n’aiment pas. J’ai soutenu Viktor Orbán », le Premier ministre hongrois d’extrême droite que Trump dit admirer pour ses politiques de contrôle des frontières.  C’est la guerre entre la Russie et l’Ukraine, plutôt que la politique électorale, qui semble occuper le plus l’esprit de Trump. Il affirme avoir proposé un nouveau projet de plan de paix, qui a plu selon lui à certains responsables ukrainiens, mais que Zelenskyy lui-même n’aurait pas encore examiné. « Ce serait bien qu’il le lise », déclare Trump.  Zelenskyy a rencontré lundi les dirigeants français, allemand et britannique et a continué à s’opposer à la cession de territoire ukrainien à la Russie dans le cadre d’un accord de paix.  Le président américain déclare ne guère miser sur les dirigeants européens dans la recherche d’une fin à la guerre : « Ils parlent, mais ils ne produisent rien, et la guerre continue encore et encore. »  Dans un nouveau geste de défiance à l’égard de Zelenskyy, politiquement affaibli en Ukraine par un scandale de corruption, Trump renouvelle son appel à ce que l’Ukraine organise de nouvelles élections.  « Ils n’ont pas organisé d’élections depuis longtemps », déclare Trump. « Vous savez, ils parlent de démocratie, mais on en arrive à un point où ce n’est plus une démocratie.»  AMÉRIQUE LATINE  Tout en affirmant poursuivre un programme de paix à l’étranger, Trump déclare qu’il pourrait étendre encore les actions militaires menées par son administration en Amérique latine contre des cibles qu’elle estime liées au trafic de drogue. Trump a déployé une force militaire massive dans les Caraïbes pour frapper les trafiquants de drogue présumés et faire pression sur le régime autoritaire du Venezuela.  Au cours de l’interview, Trump refuse à plusieurs reprises d’exclure l’envoi de troupes américaines au Venezuela dans le cadre d’une initiative visant à renverser le dirigeant autoritaire Nicolás Maduro, qu’il accuse d’exporter de la drogue et des personnes dangereuses vers les États-Unis. Certains dirigeants de la droite américaine ont averti Trump qu’une invasion terrestre du Venezuela constituerait une ligne rouge pour les conservateurs qui ont voté pour lui en partie pour mettre fin aux opérations militaires à l’étranger.  « Je ne veux ni confirmer ni infirmer. Je ne parle pas de cela », déclare Trump à propos du déploiement de troupes terrestres, ajoutant : « Je ne veux pas vous parler de stratégie militaire. »  Mais le président précise qu’il envisagerait d’utiliser la force contre des cibles dans d’autres pays où le trafic de drogue est très actif, notamment au Mexique et en Colombie.  « Bien sûr, je le ferais », a-t-il déclaré.  Trump défend tout juste certaines de ses actions les plus controversées en Amérique latine, notamment sa récente grâce accordée à l’ancien président hondurien Juan Orlando Hernández, qui purgeait une peine de plusieurs décennies dans une prison américaine après avoir été condamné pour un vaste complot de trafic de drogue. Trump déclare qu’il savait « très peu » de choses sur Hernández, si ce n’est que « des personnes très bien informées » lui avaient dit que l’ancien président hondurien avait été injustement pris pour cible par ses adversaires politiques.  « Ils m’ont demandé de le faire et j’ai dit que je le ferais », reconnaît Trump, sans nommer les personnes qui avaient demandé la grâce pour Hernández.  Santé et économie Invité à évaluer la situation l’économique sous son mandat, Trump la qualifie de succès retentissant : « A ++++ ». A propos du mécontentement des électeurs concernant le coût de la vie, Trump déclare que l’administration Biden en est responsable : « J’ai hérité de ce bazar. J’ai hérité d’un vrai bazar ». Le président est confronté à un environnement politique hostile en raison des difficultés financières des Américains. Environ la moitié des électeurs et près de 4 personnes sur 10 ayant voté pour Trump en 2024 ont déclaré dans un récent sondage POLITICO que le coût de la vie n’avait jamais été aussi élevé. Trump déclare qu’il pourrait apporter des modifications supplémentaires à sa politique tarifaire afin de contribuer à faire baisser le prix de certains produits, comme il l’a déjà fait, mais il insiste sur le fait que, dans l’ensemble, les choses vont dans la bonne direction en termes de prix. « Les prix sont tous en baisse », a déclaré Trump, ajoutant : « Tout est en baisse. » Les prix ont augmenté de 3% au cours des 12 mois se terminant en septembre, selon le dernier indice des prix à la consommation.
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Un rapport néerlandais confirme le massacre perpétré par les soldats protégeant le site de TotalEnergies au Mozambique
Les soldats ont séparé les villageois selon leur sexe et les ont dépouillés de leur argent et de leurs téléphones. Environ 180 personnes, en majorité des hommes, ont été entassées dans deux conteneurs. Une femme a accouché à côté des portes. Personne n’a reçu de nourriture ou d’eau. Puis, pendant trois mois, les soldats ont emmené la plupart des hommes et les ont exécutés. Ces scènes, décrites dans un rapport sur les droits de l’homme commandé par les Pays-Bas, apportent de nouvelles preuves que des soldats du gouvernement mozambicain assurant la sécurité du site de TotalEnergies sont responsables d’un massacre perpétré en 2021 et révélé pour la première fois par POLITICO. Elles sont basées sur les témoignages de quatre personnes ayant assisté à un massacre perpétré entre juillet et septembre 2021 dans la guérite de fortune d’un vaste site gazier construit par le géant français de l’énergie dans le nord du Mozambique. Seuls 26 des hommes emprisonnés auraient survécu. Publiés cette semaine, alors que les gouvernements britannique et néerlandais ont annoncé retirer quelque 2,2 milliards de dollars de soutien au projet gazier, les témoignages recueillis recoupent fortement ceux d’une enquête menée en 2024 par POLITICO. Ils accentuent la pression sur un projet déjà mis à mal par une insurrection locale et deux affaires criminelles. Mardi, après la publication du rapport, TotalEnergies a déclaré que sa position sur le massacre restait inchangée. L’entreprise avait déjà affirmé que ses propres “recherches approfondies” n’avaient “pas permis d’identifier d’informations ou de preuves susceptibles de corroborer les accusations de maltraitances graves et de torture”. “TotalEnergies regrette que les auteurs […] ne se soient pas déplacés au Mozambique et n’aient pas mené d’investigation sur le terrain par eux-mêmes, mais aient produit un rapport fondé principalement sur des informations collectées par des tiers”, a réagi l’entreprise dans un communiqué. Les quatre récits — d’un survivant, d’une personne qui connaissait l’un des détenus et de deux témoins oculaires — ont été recueillis indépendamment les uns des autres et de POLITICO, qui n’a pas été informé que le think tank Clingendael, financé par le gouvernement, menait une nouvelle enquête sur le massacre. Le projet de Total au Mozambique est estimé à 20,5 milliards de dollars. | Gallo Images/Getty Images Ils fourniront des éléments supplémentaires à une plainte pénale accusant TotalEnergies de complicité de crimes de guerre en ayant “directement financé et matériellement soutenu” les soldats mozambicains qui protégeaient son site d’une insurrection par des assaillants liés à l’Etat islamique. La société a déclaré “rejeter fermement toutes ces accusations”. Dans un message envoyé après la publication de cet article, un porte-parole de TotalEnergies a ajouté que l’accusation était fausse, car Total avait évacué son personnel et n’était pas sur le terrain au moment du massacre. En mars, le parquet de Nanterre a ouvert une information judiciaire contre TotalEnergies pour homicide involontaire sur son site mozambicain. Au cœur de cette enquête : la société est accusée, trois mois avant les meurtres des personnes détenues dans les conteneurs, d’avoir abandonné les prestataires qui construisaient son site gazier lors d’une attaque de l’Etat islamique en mars 2021 sur la ville voisine de Palma. Une enquête menée de maison en maison par POLITICO a révélé que 1 354 civils ont été tués lors de cette attaque, dont 330 ont été décapités. D’autres enquêtes ont établi que 55 de ces morts faisaient partie du personnel de TotalEnergies. L’entreprise, qui a affirmé n’avoir perdu aucun de ses employés lors de l’attaque, nie ces accusations. VIOLENCES GÉNÉRALISÉES Le rapport néerlandais indique que le massacre des personnes détenues dans les conteneurs s’inscrit dans un schéma systématique de viols et d’exécutions de masse, en représailles à l’attaque de l’Etat islamique, appliqué par l’armée contre les villageois vivant autour du site de TotalEnergies. Les assaillants de l’Etat islamique ayant sillonné la région pendant des semaines après leur attaque sur Palma, 25 000 à 30 000 personnes ont cherché refuge devant les portes de Total, ce qui a “exacerbé la situation humanitaire déjà désastreuse”, peut-on lire dans le rapport. “En juin 2021, la situation était devenue catastrophique, des personnes (dont de nombreux enfants) mourant quotidiennement de faim, de maladie ou d’absence de traitement médical”, écrivent les auteurs. La réaction de l’armée a été de voler l’aide et de vendre la nourriture pillée à des prix exorbitants. C’est également à ce moment-là qu’une armée “incapable de distinguer les ‘villageois’ des ‘terroristes’” s’est vengée sur la population civile. “Les villageois ont déclaré avoir découvert des corps dans les terres agricoles environnantes, dont on pense généralement qu’il s’agit de victimes de la violence [de l’armée]”, peut-on lire dans le rapport, qui précise que “des témoins oculaires ont également fait état de cas de violences sexuelles. Dans [un village], des habitants ont raconté que des soldats ivres étaient entrés dans les maisons sans permission et avaient violé des femmes.” Dans un autre village, une enquête aléatoire menée auprès de 60 ménages a révélé que 57% d’entre eux comptaient au moins un membre qui avait été tué. Les personnes entassées par les soldats dans les conteneurs ont subi trois mois de maltraitances physiques, selon le rapport. D’après le survivant qui s’est exprimé auprès des auteurs, un jour, un grand groupe a été emmené. “D’autres ont été emmenés en plus petits groupes, pour ne plus jamais revenir. Le survivant pense qu’ils ont été interrogés et exécutés.” Les défenseurs des droits de l’homme et de l’environnement ont demandé à TotalEnergies de reconsidérer son projet à la lumière des pertes de vies humaines et des violences. | Luisa Nhantumbo/EPA Après leur libération, un survivant a relaté qu’un soldat leur avait dit de ne jamais parler des tueries. “Ceux qui sont morts sont morts ; c’était la guerre”, avait lancé le soldat. “Si quelqu’un demande, dites que les autres étaient dans d’autres conteneurs et qu’ils sont encore en route.” En mai, une enquête menée par l’agence britannique de crédit à l’export, UK Export Finance, qui s’était engagée à prêter 1,15 milliard de dollars au projet de Total, a entendu directement deux des 26 survivants du massacre par le biais d’appels vidéo depuis le Mozambique. UK Export Finance n’a pas encore rendu publiques ses conclusions. Le projet de Total au Mozambique est estimé à 20,5 milliards de dollars. Il fait partie d’un projet plus vaste de développement du gaz naturel qui, avec 50 milliards de dollars, a été présenté comme l’investissement privé le plus important jamais réalisé en Afrique. LE PROJET SE POURSUIT COMME PRÉVU A la suite du rapport néerlandais, les défenseurs des droits de l’homme et de l’environnement ont demandé à TotalEnergies de reconsidérer son projet à la lumière des pertes de vies humaines et des violences. “Cela fait des années qu’il est flagrant que ce projet est un désastre pour les communautés locales et pour le climat”, a affirmé Antoine Bouhey de Reclaim Finance. Adam McGibbon, d’Oil Change International, a appelé les autres prêteurs à “se retirer eux aussi et à mettre un terme définitif à ce projet cauchemardesque”. Mardi, TotalEnergies a déclaré que son projet gazier se déroulait comme prévu et que ses autres prêteurs avaient “décidé à l’unanimité d’apporter des fonds propres supplémentaires” pour compenser le retrait des Britanniques et des Néerlandais. Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais, mis à jour avec des commentaires supplémentaires de TotalEnergies, puis édité en français par Jean-Christophe Catalon.
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Le Royaume-Uni abandonne le financement du projet de TotalEnergies au Mozambique
LONDRES — Le Royaume-Uni s’est retiré du financement de Mozambique LNG, un important projet gazier mené par TotalEnergies, a confirmé le gouvernement lundi. Le ministre des affaires étrangères, Peter Kyle, a annulé le projet d’aide de plus d’un milliard de dollars au projet de gaz naturel liquéfié, opéré au nord du Mozambique par la major française. En mars 2021, un groupe mozambicain lié à l’Etat islamique, a attaqué la ville de Palma, a proximité du site industriel, où se trouvaient des milliers de travailleurs du projet, tuant 1 354 personnes et en enlevant 209 autres. Au total, 330 personnes ont été décapitées. Parmi les morts se trouvaient 55 ouvriers travaillant sur le projet de Total, selon une enquête menée de maison en maison par POLITICO. Une unité militaire mozambicaine opérant depuis la guérite de l’installation gazière a massacré au moins 97 civils au cours de l’été 2021, a rapporté POLITICO l’année dernière. Le soutien financier britannique, sous la forme de prêts publics et de garanties pour les exportateurs britanniques et les banques soutenant le projet, avait été suspendu après que TotalEnergies eut invoqué la force majeure — une clause contractuelle qui permet aux entreprises de suspendre leurs obligations en cas de catastrophe — suite à la détérioration de la situation sécuritaire dans la région. En ce qui concerne le massacre de civils, TotalEnergies a déclaré précédemment qu’il n’avait “aucune connaissance des événements allégués (…) et n’a jamais reçu d’informations indiquant que de tels événements ont eu lieu”. Peter Kyle a confirmé aujourd’hui dans une déclaration écrite qu”“après un examen détaillé, le gouvernement britannique a décidé de mettre fin à la participation de l’UKEF [UK Export finance, l’agence britannique de crédit à l’export] au projet”. Il a ajouté : “Mes collaborateurs ont évalué les risques liés au projet et le gouvernement estime que ces risques ont augmenté depuis 2020. Ce point de vue est fondé sur une évaluation complète du projet et sur les intérêts des contribuables britanniques, qui sont mieux servis en mettant fin à notre participation au projet à ce stade.” L’UKEF remboursera les primes déjà versées au projet. Peter Kyle a insisté sur le fait que le gouvernement était “engagé dans notre partenariat national avec le Mozambique”. La décision de financer le projet a été prise par l’administration conservatrice de Boris Johnson en 2020, mais elle est depuis lors entachée de controverse. Peter Kyle a fait valoir que le financement du projet ne servait plus “les intérêts de notre pays”. La branche britannique de l’ONG environnementaliste Les Amis de la Terre a salué la décision du gouvernement, rappelant que le gaz extrait du gisement pourrait générer environ 4,5 milliards de tonnes d’émissions de gaz à effet de serre au cours de sa durée de vie, soit plus que les émissions annuelles combinées des 27 pays de l’Union européenne. “Ce projet gazier au Mozambique est une énorme bombe à retardement en matière de carbone, liée à de graves violations des droits de l’homme. Il n’aurait jamais dû être financé par le contribuable britannique, a déclaré Asad Rehman, directeur général à Londres des Amis de la Terre. Nous exhortons maintenant les autres pays à suivre l’exemple et à cesser de soutenir ce projet destructeur.” A l’heure de la publication, TotalEnergies n’avait pas répondu à notre demande de commentaire. Graham Lanktree a contribué à cet article. Il a été initialement publié en anglais par POLITICO et adapté en français par Alexandre Léchenet.
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COP30 : comment l’UE a chassé ses démons climatiques et sauvé un accord peu convaincant
BELÉM, Brésil — L’Union européenne est arrivée au sommet mondial pour le climat cette année dans l’espoir d’exorciser certains de ses démons climatiques. Elle y est parvenue, dans une certaine mesure, puis en a trouvé de nouveaux. Après une année de querelles intestines qui se sont soldées par un accord de dernière minute sur de nouveaux objectifs de réduction des émissions de gaz à effeet de serre, juste avant le début de la COP30, l’Union européenne a cherché à à plaider en faveur d’une intensification des efforts mondiaux dans la lutte contre le changement climatique. Mais à Belém, la ville amazonienne qui accueillait les négociations, les Vingt-Sept ont été confronté à une dure réalité géopolitique. En l’absence des Etats-Unis, qui, lors des conférences précédentes, ont collaboré avec les Européens pour promouvoir davantage d’actions en faveur du climat, l’Union européenne a dû lutter contre le poids combiné de la Chine, de l’Inde, de l’Arabie saoudite et d’autres puissances économiques en plein essor. “Nous vivons une période géopolitique compliquée. Il y a donc une valeur essentielle — même si c’est difficile — à chercher à s’unir”, a déclaré à la presse Wopke Hoekstra, commissaire européen chargé de la politique climatique, après que l’Union a décidé de ne pas s’opposer à l’accord final conclu à l’issue de la conférence climatique. “Nous n’allons pas cacher le fait que nous aurions préféré en avoir plus, a-t-il déclaré. Mais le monde est ce qu’il est, la conférence est ce qu’elle est, et nous pensons que, dans l’ensemble, c’est un pas dans la bonne direction.” “On ne s’oppose pas [au texte] parce qu’il n’y a rien d’extraordinairement méchant”, a indiqué à la presse avant son adoption Monique Barbut, ministre de la Transition écologique française, dénonçant un accord “assez plat”. Le résultat final n’est pas celui pour lequel l’UE s’était battue, même si elle a obtenu quelques concessions après avoir menacé d’opposer son veto à l’accord vendredi, dans les dernières heures de négociations. Pour apaiser l’UE, ainsi qu’un petit groupe d’autres pays réticents tels que le Royaume-Uni et la Colombie, la présidence brésilienne de la COP30 a modifié son projet d’accord afin de confirmer un accord précédent sur la transition vers l’abandon des combustibles fossiles et a proposé d’entamer une discussion sur la manière de parvenir à cet accord au cours de l’année à venir. Un débrayage européen a été envisagé jusqu’à l’aube du dernier matin. “Nous avons été à bout de nerfs à certains moments de la nuit, tout comme l’Union européenne, car nous nous sommes dit que nous devions être capables de regarder les gens dans les yeux”, a déclaré Ed Miliband, secrétaire d’Etat britannique à l’énergie. Les pays développés ont également obtenu la modification d’une proposition visant à tripler le financement de la préparation des pays pauvres aux catastrophes climatiques. Ce financement sera désormais accordé plus tard que ne le souhaitaient les pays en développement et proviendra de sources autres que les budgets des pays riches. Monique Barbut a salué un “volet financier positif pour les pays les plus pauvres”. Pourtant, les Européens voulaient laisser au Brésil un signal beaucoup plus fort, en lui indiquant clairement la voie à suivre pour s’éloigner des combustibles fossiles. Mais ils n’ont pas réussi à construire une alliance suffisamment forte pour contrer l’opposition dirigée par l’Arabie saoudite — un effort entravé par des vents géopolitiques contraires ainsi que par des divisions internes qui ont pourchassé l’UE de Bruxelles jusqu’à Belém. DIVISIONS PERSISTANTES Les divisions sur le changement climatique qui ont marqué l’Union européenne tout au long de l’année ont eu une incidence sur les négociations. Jusqu’à vendredi matin, quelques heures avant la clôture de la conférence, l’Union européenne a été contrainte de rester en retrait chaque fois que des pays du monde entier se réunissaient pour réclamer plus d’ambitions. Un débrayage européen a été envisagé jusqu’à l’aube du dernier matin. Le ministre britannique de l’énergie, Ed Miliband, a confirmé que la situation avait été très tendue pendant la nuit, pour son pays comme pour l’Union européenne. | Pablo Porciuncula/AFP via Getty Images Mardi, l’UE n’a pas participé à l’appel lancé par 82 pays, sous l’égide de la Colombie pour encourager une “feuille de route” qui matérialiserait l’accord antérieur de transition vers l’abandon des combustibles fossiles. De nombreux gouvernements de l’Union européenne, dont la France, ont soutenu individuellement cette initiative, mais deux diplomates ont déclaré que l’Italie et la Pologne ne pouvaient pas soutenir l’accord à l’époque, ce qui a empêché l’Union européenne dans son ensemble de peser de tout son poids en faveur de cet appel. L’Union a fini par proposer sa propre version. De même, l’UE ne figurait pas parmi la coalition de 29 pays qui a envoyé une lettre à la présidence brésilienne de la COP pour se plaindre qu’un projet de proposition en cours d’élaboration ne contenait pas de référence à la feuille de route ou à d’autres efforts. La majorité des gouvernements de l’Union européenne ont soutenu la missive, mais dix Etats membres, dont la Grèce, la Hongrie, l’Italie, la Pologne et la Slovaquie, ne l’ont pas fait. Cette répartition reflète largement les divisions qui ont marqué l’élaboration de la politique climatique de l’UE pendant une grande partie de l’année. L’Union européenne a passé ces derniers mois à essayer de se mettre d’accord sur une paire de nouveaux objectifs de réduction des émissions, un processus houleux qui s’est heurté à la résistance de pays préoccupés par l’impact des efforts écologiques sur leurs industries nationales. Les 27 gouvernements ont finalement conclu un accord à la veille de la COP30, fixant de nouveaux objectifs plus souples qu’initialement envisagés, mais qui comptent néanmoins parmi les plus ambitieux au monde. Toutefois, à ce stade, il était bien trop tard pour que l’UE tire parti de ces objectifs et fasse pression sur d’autres grands émetteurs, tels que la Chine, pour qu’ils intensifient leurs efforts. L’envoyé de Pékin a suggéré dans un entretien avec POLITICO que si l’Union voulait être un leader en matière de climat, elle devait régler ses divisions internes. Les Européens “avaient l’habitude d’être plus actifs et de se faire entendre. On a l’impression que leur mouvement de balancier sur le continent a un impact, a constaté un négociateur latino-américain. Ils maintiennent leurs positions, ne reviennent pas en arrière, mais ils ne semblent plus aussi forts. C’est comme si la passion avait disparu.” ISOLÉ À BELÉM Pourtant, lorsque tous les pays ont reçu le projet d’accord de la présidence brésilienne vendredi matin, l’UE a décidé de prendre position. Trois diplomates européens ont déclaré que l’ensemble du bloc était uni dans la fureur contre le texte — des nations les plus ambitieuses en matière de climat, comme le Danemark, aux retardataires, comme la Pologne, se plaignant de la faiblesse du langage sur la réduction des émissions et des lignes rouges franchies en matière de financement. Tous les ministres ont été invités à téléphoner à leur capitale pour demander l’autorisation d’opposer leur veto à un accord si nécessaire, ont indiqué quatre diplomates. Wopke Hoekstra a déclaré lors d’une réunion organisée par les Brésiliens : “Nous n’allons en aucun cas accepter cela.” Andre Correa do Lago, président de la COP30. Pour apaiser l’UE, le Royaume-Uni, la Colombie et d’autres pays, la présidence brésilienne de la COP30 a modifié son projet d’accord sur les combustibles fossiles. | Pablo Porciuncula/AFP via Getty Images “Nous sommes restés unis jusqu’au bout, même si, bien sûr, nous avions tous des divergences d’appréciation sur la situation générale”, a déclaré la ministre française Monique Barbut, qui avait déclaré à plusieurs journalistes que le texte en l’état était “inacceptable”. La force du message de la délégation de l’UE a toutefois été quelque peu atténuée par sa cheffe de file, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne. S’exprimant à peu près au même moment au G20 en Afrique du Sud, Ursula von der Leyen a affirmé: “Nous ne luttons pas contre les combustibles fossiles, nous luttons contre les émissions provenant des combustibles fossiles.” “Elle est une star qui sape ses propres négociateurs pendant la COP”, s’est plaint un diplomate de l’UE. Mais l’UE a également été confrontée à une nouvelle réalité géopolitique à Belém. Le ministre allemand du climat, Carsten Schneider, a parlé samedi d’un “nouvel ordre mondial” auquel l’UE devrait s’habituer : “Quelque chose a changé, et c’est devenu très évident ici.” Tout au long de ces deux semaines, les diplomates européens se sont plaints amèrement des tactiques employées par l’Arabie saoudite et d’autres grands producteurs de pétrole, qui se sont farouchement opposés à tout appel à s’attaquer aux combustibles fossiles. Selon eux, Riyad et ses alliés ont été enhardis par l’absence des Américains et ont constamment pris la parole lors des réunions pour faire dérailler les négociations. Les notes d’une réunion à huis clos communiquées à POLITICO montrent également que l’Arabie saoudite a cherché à dénoncer l’UE pour avoir imposé des droits de douane sur le carbone. “Nous avons été confrontés à une pétro-industrie très puissante qui a organisé une majorité de blocage contre tout progrès”, a déclaré Carsten Schneider. Le bloc était frustré par ce qu’il considérait comme la complaisance du Brésil à l’égard de ses alliés des BRICS (la Chine, l’Inde, l’Afrique du Sud et d’autres économies émergentes), en marchant droit sur les lignes rouges de l’UE en matière d’aide climatique et en poussant le bloc dans des discussions inconfortables sur les mesures commerciales. Mais les Européens se sont également sentis abandonnés par leurs alliés traditionnels, tels que les petits Etats insulaires, sur lesquels ils comptaient pour soutenir leur action en faveur du climat. Au final, les Européens et une poignée de pays d’Amérique latine sont restés seuls. “Nous devons mener une véritable réflexion sur le rôle de l’UE dans ces négociations mondiales”, a déclaré un négociateur européen de haut rang. “Nous avons sous-estimé les BRICS et un peu surestimé notre force — et nous avons certainement surestimé l’unité de ceux que nous considérons comme nos alliés.”
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De l’eldorado au bain de sang : comment TotalEnergies s’est engluée au Mozambique
PARIS — Lorsque Patrick Pouyanné a décidé d’investir des milliards dans un gigantesque gisement de gaz naturel situé dans une zone de guerre, il a pris cette décision seul, après un seul dîner avec la patronne d’un énergéticien concurrent. C’était fin avril 2019, et Vicki Hollub, PDG d’Occidental Petroleum, une société établie à Houston, était engagée dans une bataille à la David contre Goliath avec le mastodonte américain de l’énergie Chevron pour racheter Anadarko, une autre entreprise pétrogazière texane. Warren Buffett était prêt à soutenir Vicki Hollub en apportant 10 milliards de dollars, mais ce n’était pas assez. Alors la femme d’affaires s’est envolée pour Paris afin de rencontrer Patrick Pouyanné, le PDG de la major tricolore, qui s’appelait alors Total, et faisait partie du top 5 des Big Oil. La proposition de Vicki Hollub : le Français investirait 8,8 milliards de dollars en échange des quatre gisements de gaz africains d’Anadarko, dont une vaste réserve en eaux profondes au large du nord du Mozambique, une région en proie à une insurrection islamiste. Patrick Pouyanné, qui avait déjà approché Anadarko au sujet des mêmes actifs, a accepté en quelques minutes. “Quels sont les atouts de Total ?”, a expliqué son PDG lors d’un événement organisé par l’Atlantic Council à Washington quelques semaines plus tard. “Le GNL”, a-t-il répondu, et “le Moyen-Orient et l’Afrique”, régions où l’entreprise est présente depuis ses débuts à l’époque coloniale. “Donc, ça correspond exactement et parfaitement.” Si Total, “une grande entreprise”, peut être “si agile”, a-t-il exposé, c’est grâce à l’efficacité de son processus de décision, entre les mains d’un homme, et à la clarté de sa vision consistant à passer du pétrole au GNL, extrait dans des pays étrangers peu réglementés. “Il s’agiss[ait] juste d’envoyer un e-mail à ma collègue [Hollub]”, a-t-il ajouté. “C’est comme ça qu’on conclut de bons deals.” Six ans plus tard, on peut se demander si Patrick Pouyanné ne s’est pas un peu trop précipité. Le 17 novembre dernier, une ONG européenne de défense des droits humains a déposé une plainte pénale devant le Parquet national antiterroriste français à Paris accusant TotalEnergies de complicité de crimes de guerre, de torture et de disparitions forcées dans le nord du Mozambique. Les allégations portent sur la détention et l’exécution par l’armée mozambicaine de civils autour de la guérite d’une vaste usine de liquéfaction de gaz que TotalEnergies construit sur la péninsule d’Afungi, située au sud de la frontière avec la Tanzanie. Des faits d’abord révélés par POLITICO. La plainte, déposée par le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits humains (ECCHR), une association de défense des droits humains, affirme que TotalEnergies s’est rendue complice de ce qui est désormais appelé le “massacre des conteneurs” en ayant “directement financé et soutenu matériellement” les soldats mozambicains responsables des exécutions, entre juin et septembre 2021. “TotalEnergies savait que les forces armées mozambicaines avaient été accusées de violations systématiques des droits humains, mais a continué à les soutenir dans le seul but de sécuriser ses propres installations”, a déclaré Clara Gonzales, codirectrice du programme sur les entreprises et les droits humains pour l’ECCHR, une association berlinoise d’avocats, spécialisée en droit international, et qui a passé l’année écoulée à corroborer ces atrocités. En réponse à cette plainte, un porte-parole de l’entreprise à Paris a déclaré dans un communiqué : “TotalEnergies prend ces allégations très au sérieux [et] se conformera aux prérogatives légales d’enquête des autorités françaises”. L’année dernière, en réponse aux questions de POLITICO, la major, par l’intermédiaire de sa filiale Mozambique LNG, a déclaré qu’elle “accueillait favorablement les enquêtes menées par les autorités ayant une compétence légitime ou par des organisations véritablement indépendantes, compétentes et impartiales qui fonctionnent de manière transparente”. Cette semaine, le porte-parole a réitéré cette position. Interrogé sur ces meurtres en mai dernier à l’Assemblée, le PDG a estimé que “les gens qui répandent des allégations devraient apporter des preuves de leurs dires ; évidemment, ils n’en ont apporté aucune”. Interrogé cette semaine sur LCI au sujet de cette plainte, Patrick Pouyanné a de nouveau rejeté les accusations, expliquant qu’elles participent d’une “campagne de dénigrement” motivée par le fait que TotalEnergies produit des combustibles fossiles. La plainte pour crimes de guerre s’appuie sur les révélations de POLITICO et d’autres preuves provenant de sources ouvertes. Sur l’année écoulée, les massacres des conteneurs ont été confirmés par Le Monde et Source Material, une ONG britannique de journalisme d’investigation. Le professeur Joseph Hanlon, expert du Mozambique, a également affirmé que ces atrocités sont “bien connues localement” et qu’une enquête menée par UK Export Finance (UKEF) — l’agence de crédit-export du Royaume-Uni, qui examine actuellement l’octroi d’un prêt de 1,15 milliard de dollars au projet de Total — a entendu les témoignages des survivants. Le massacre était apparemment une représaille à une attaque sanglante menée trois mois plus tôt par des rebelles affiliés à l’Etat islamique contre la ville voisine de Palma, qui avait fait 1 354 morts parmi les civils, dont 55 employés de Total, selon un sondage en porte-à-porte conduit par POLITICO. Parmi les personnes assassinées par les djihadistes, 330 ont été décapitées. TotalEnergies a précédemment indiqué que le Mozambique n’avait pas encore publié le bilan officiel du massacre de Palma. En mars, le procureur de la République a annoncé l’ouverture d’une enquête contre TotalEnergies pour homicide involontaire et non-assistance à personne en danger après les accusations contre l’entreprise d’avoir abandonné ses sous-traitants lors du massacre. Après le départ des rebelles, les commandos mozambicains établis dans la concession gazière de Total ont rassemblé 500 villageois et les ont accusés de les soutenir. Ils ont séparé les hommes des femmes et des enfants, violé plusieurs femmes, puis entassé les 180 à 250 hommes dans deux conteneurs métalliques sans fenêtre qui formaient une fortification rudimentaire à l’entrée du site industriel de la major française. Les soldats y ont gardé leurs prisonniers pendant trois mois, sous une chaleur de 30 degrés. Selon onze survivants et deux témoins, certains sont morts asphyxiés. Nourris de poignées de riz et de bouchons de bouteilles d’eau, d’autres sont décédés de faim ou de soif. Quant aux autres, les soldats en ont frappé et torturé bon nombre, puis ils ont commencé à les emmener par groupes et à les exécuter. Seuls 26 hommes ont survécu, sauvés lorsqu’une force d’intervention rwandaise, déployée pour combattre l’Etat islamique, a découvert l’opération. Une deuxième enquête menée de maison en maison par POLITICO a permis d’identifier 97 des personnes tuées ou disparues. Au-delà de la plainte pour crimes de guerre et de l’enquête britannique, ces meurtres font également l’objet de trois autres enquêtes distinctes : celle du procureur général du Mozambique, celle de la Commission nationale des droits de l’homme du Mozambique et celle du Parlement néerlandais, qui examine le financement de 1 milliard de dollars accordé par le gouvernement des Pays-Bas au projet de TotalEnergies. La plainte de cette semaine a été déposée au Parquet national antiterroriste français, dont les attributions comprennent les crimes de guerre. Le procureur décidera s’il y a lieu d’ouvrir une enquête formelle et de nommer un juge d’instruction. Si l’affaire est jugée recevable, TotalEnergies risque un procès pour crimes de guerre. Cela entacherait sérieusement la réputation de cette entreprise, qui occupait autrefois une place centrale dans l’identité nationale française, et de son PDG, dont la détermination sans faille en avait fait une icône du monde des affaires. Si le tribunal venait à déclarer la société ou ses dirigeants responsables des meurtres commis dans les conteneurs, les sanctions pourraient aller d’amendes à, en théorie, des peines de prison pour toute personne incriminée. Comment TotalEnergies en est-elle arrivée là ? Comment Patrick Pouyanné en est-il arrivé là ? “POUYANNÉ PETROLEUM” Né en Normandie en 1963, fils de fonctionnaires — son père était directeur des douanes et sa mère travaillait aux PTT — Patrick Pouyanné s’est hissé parmi l’élite française en étant admis à l’Ecole polytechnique, la plus prestigieuse école d’ingénieurs du pays, puis à l’Ecole des mines, où sont formés les futurs capitaines d’industrie français. Après quelques années dans les cabinets ministériels, notamment celui d’Edouard Balladur à Matignon et de François Fillon aux Technologies, il a rejoint Elf Aquitaine en tant que directeur de l’exploration en Angola en 1996. Il déménagea ensuite au Qatar en 1999, année de la fusion entre Total et Elf, avant d’être nommé directeur général de Total en 2014 après le décès du PDG d’alors, Christophe de Margerie, mort dans un accident d’avion à Moscou. Patrick Pouyanné dirige avec pragmatisme et détermination. “Etre numéro un dans un groupe comme Total […] c’est se retrouver seul”, confiait-il en 2020. “Quand je dis ‘je ne suis pas d’accord’, parfois les murs tremblent. J’en suis conscient.” En une décennie aux manettes, Patrick Pouyanné, 62 ans, a transformé un groupe de 100 000 salariés présent dans 130 pays en un one man show, surnommé avec ironie “Pouyanné Petroleum” dans le secteur. Ses fréquentes apparitions publiques et sa poigne ont fait de lui une figure célèbre du monde des affaires international. “Patrick a fait un excellent travail pour piloter TotalEnergies dans un environnement complexe, délivrer des résultats financiers extrêmement solides, et engager la Compagnie dans la transition énergétique plus rapidement et résolument que ses pairs”, décrivait Jacques Aschenbroich, administrateur référent du groupe, en 2023. “Je ne suis pas sûr que tout le monde est heureux de travailler avec lui”, tempère Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du Centre énergie et climat de l’Institut français des relations internationales (Ifri) confirme : “Son implication est sa force. Peu d’entreprises ont cette vitesse et cette rapidité d’exécution. Il est capable de prendre une décision rapidement, d’une manière beaucoup plus rapide et agile.” Mais, Marc-Antoine Eyl-Mazzega tempère aussi : “Je ne suis pas sûr que tout le monde est heureux de travailler avec lui ; il y a souvent des départs. Il est assez direct et franc.” Les salariés le surnomment “bulldozer”, en raison de sa carrure imposante et ses méthodes autoritaires. Ce surnom n’est pas toujours affectueux. Un ancien cadre de Total qui traitait régulièrement avec lui se souvient d’une personne désagréablement agressive, “tapant du poing sur la table”. Selon le même, cela a eu pour effet de priver les équipes de tout pouvoir : “La structure de Total essaie de deviner ce que Pouyanné veut faire. On ne peut prendre aucune décision sans passer par le PDG.” Auprès de POLITICO, TotalEnergies a qualifié ces descriptions de “déplacées et sans fondement”. “NE NOUS DEMANDEZ PAS DE FAIRE LA MORALE” Ce qui ne fait aucun doute, c’est la manière dont Patrick Pouyanné a utilisé son autorité pour façonner la réponse de Total au grand casse-tête du XXIe siècle en matière de pétrole et de gaz : comment concilier la demande en énergies fossiles et celle visant à en sortir. Sa solution a été de diversifier l’activité, en éloignant l’entreprise des combustibles à fortes émissions pour en faire un fournisseur d’énergie éthique et diversifié, axé sur le gaz à faible teneur en carbone, le solaire et l’éolien, et en s’engageant à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Ce virage a été symbolisé par le changement de nom du groupe, rebaptisé TotalEnergies par Patrick Pouyanné en 2021. Un deuxième élément, moins connu, de la stratégie du PDG a consisté à déplacer les activités restantes dans les énergies fossiles dans des pays qui ne sont pas soumis à la réglementation occidentale. S’adressant au public à Chatham House à Londres en 2017, Patrick Pouyanné a confié que ce qui l’avait décidé à privilégier les réserves pétrogazières situées dans les régions les plus pauvres, les plus éloignées et les moins surveillées de la planète, c’était les sanctions imposées au géant britannique BP aux Etats-Unis à la suite de l’explosion de la plateforme Deepwater Horizon en 2010, qui avait fait 11 morts et provoqué une gigantesque marée noire dans le golfe du Mexique. Aux yeux du Français, ces amendes, comprises entre 62 et 142 milliards de dollars selon les calculs utilisés, représentaient un “risque juridique” excessif pour les activités liées au pétrole et au gaz en Occident. Certes, d’autres territoires à la situation plus instable comportent aussi leur lot de risques. Mais, à Chatham House, Patrick Pouyanné disait estimer le coût d’un échec de tout projet en dehors de l’Occident à un montant, plus gérable, compris entre 2 et 3 milliards de dollars. En matière d’évaluation des risques, c’était une stratégie efficace. “D’autres acteurs mettraient beaucoup de moyens dans des cabinets et écriraient 70 rapports pour conclure qu’un projet est risqué”, avance Marc-Antoine Eyl-Mazzega de l’Ifri. “Patrick Pouyanné, en revanche, est prêt à prendre des risques.” Interrogé par le Sénat en 2024 sur sa façon de déterminer où investir, le patron a reconnu que les calculs économiques importaient plus que l’éthique. “Ne nous demandez pas de faire la morale”, avait-il lancé. “UNE FAILLITE NE METTRA [PAS] TOTAL EN DANGER” Les premiers prospecteurs pétroliers et gaziers sont arrivés dans le nord du Mozambique en 2006. Lorsque Anadarko a découvert du gaz à 40 kilomètres au large des côtes en 2010, on parlait du Mozambique comme du nouveau Qatar. D’une superficie de 10 500 kilomètres carrés, soit environ un tiers de la Belgique, le bloc 1 du bassin de Rovuma était décrit comme un monstre contenant, selon les estimations, 2 100 milliards de mètres cubes de gaz, soit 1% de toutes les réserves mondiales. Un champ voisin, le bloc 4, dont on pensait qu’il en renfermait davantage, a rapidement été racheté par ExxonMobil. Pour faire face au volume de production, le consortium d’Anadarko sur le bloc 1 a élaboré un plan pour la construction d’une usine de liquéfaction de 20 milliards de dollars. Avec le gisement d’ExxonMobil, le coût de l’exploitation du gaz au Mozambique était estimé à 50 milliards de dollars, ce qui en ferait le plus gros investissement privé jamais réalisé en Afrique. Mais en 2017, une insurrection liée à l’Etat islamique est venue menacer ces ambitions. Deux ans avant que TotalEnergies ne rachète les 26,5% de parts d’Anadarko dans le bloc 1, ce qui avait débuté comme une révolte spontanée contre la corruption au sein du gouvernement dans la province du Cabo Delgado au nord s’est transformé en une rébellion islamiste. Les insurgés gagnaient sans cesse du terrain, déplaçant des centaines de milliers de personnes, et procédaient régulièrement à des décapitations massives. L’installation était encore en travaux, mais elle était déjà régulièrement prise pour cible. Elle était gérée par des Européens et des Américains, qui cherchaient à faire gagner de l’argent à des entreprises situées à des milliers de kilomètres, tout en déplaçant 2 733 villageois pour construire leur concession et en interdisant aux pêcheurs d’accéder aux eaux autour de leurs sites de forage. Après plusieurs attaques contre des véhicules entrant et sortant de l’usine, les djihadistes ont tué deux personnes travaillant sur le projet lors d’une attaque dans un village et ont démembré un chauffeur sur la route en février 2019. Un autre risque venait du fait que le port d’armes était interdit aux étrangers. L’usine dépendait donc de l’armée et de la police mozambicaines pour sa sécurité, deux institutions dont les crimes et la répression sont connus et bien documentés. Au début, Patrick Pouyanné semblait serein. Le champ de gaz échappait au droit occidental et international, Maputo n’ayant pas ratifié le Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale. Et le Français semblait considérer la poursuite de projets à haut risque et à haut rendement comme une obligation pour une entreprise aux moyens financiers importants. En mai 2019, peu après avoir signé le contrat d’Afungi, il a déclaré à l’Atlantic Council que Total était une entreprise si grande qu’elle n’avait pas à s’inquiéter, du moins pas comme d’autres entreprises ou pays moins importants. “Nous aimons le risque, c’est pourquoi nous avons décidé de nous lancer dans l’aventure mozambicaine”, avait-il lancé. “Même dans le cas d’une faillite, [ça] ne mettra [pas] Total en danger.” En septembre 2019, lorsque le rachat par Total a été officiellement finalisé, l’entreprise a assuré dans un communiqué de presse : “Le projet Mozambique LNG est largement dérisqué.” “La mention ‘largement dérisqué’ renvoie aux fondamentaux commerciaux et financiers du projet”, a répondu TotalEnergies dans l’une de ses nombreuses déclarations à POLITICO. “En déduire que c’était rejeter les préoccupations en matière de sécurité revient à méconnaître fondamentalement le fonctionnement du secteur.” Pourtant, pour les personnes travaillant sur le projet, cette déclaration était surprenante, étant donné qu’un employé de Mozambique LNG avait récemment été découpé en morceaux. A peu près à la même époque, les chefs de projet d’Anadarko, dont beaucoup travaillaient désormais pour Total, ont tenté d’alerter leur nouveau patron sur le danger que représentait l’insurrection. C’est pourtant lorsqu’ils ont rencontré Patrick Pouyanné que “tout a commencé à se dégrader”, relate l’un d’eux. L’équipe, qui a travaillé pendant des années sur le projet au Mozambique, a ri jaune lorsque le PDG est venu leur faire un discours “sur la brillante stratégie de Total et la manière brillante dont Total allait mener à bien ce projet”, raconte un autre. Patrick Pouyanné a ajouté qu’il avait “un héros français” à la tête de la sécurité de l’entreprise : Denis Favier, qui dirigeait le GIGN lors de la prise d’otages de Marignane en 1994, et qui a mené la traque des frères Kouachi après l’attentat de Charlie Hebdo en 2015 en tant que directeur de la gendarmerie nationale. “C’est facile pour lui”, considérait Patrick Pouyanné. Interrogée sur la transition d’Anadarko à Total, la major française a affirmé qu’elle était attentive à toutes les préoccupations exprimées par les anciens employés d’Anadarko. “Nous n’avons pas connaissance d’un tel rejet des préoccupations en matière de sécurité par TotalEnergies ou sa direction”, a déclaré la société. “Il est incorrect d’affirmer que les conseils venus du terrain n’ont pas été écoutés.” Pourtant, après avoir rencontré Patrick Pouyanné, l’ancienne équipe d’Anadarko a réuni son personnel au Mozambique pour les briefer sur leur nouveau patron, selon une personne présente. “Eh ben putain”, a lancé un chef de projet. “Nous avons un problème.” “TRÈS VULNÉRABLE” Un troisième ancien employé d’Anadarko, qui est resté travailler pour Total, affirme que, lorsque la major française a pris le relais, elle a également suspendu la décision de transférer la plupart des prestataires et du personnel des hôtels et des complexes de Palma vers son site protégé d’Afungi, une mesure coûteuse qu’Anadarko prévoyait de prendre en réponse à la détérioration de la sécurité. “J’avais travaillé tellement dur pour éliminer ce danger”, se désole cet employé. “Palma était très vulnérable. Presque personne n’était censé [y] être. Mais Total ne voulait pas m’écouter.” D’autres mesures, comme regrouper les flux de véhicules venant ou partant d’Afungi en convois escortés par des drones, ont également pris fin. Un sous-traitant qui traversait régulièrement le territoire rebelle a décrit la différence entre Anadarko et Total comme “le jour et la nuit”. Puis, en juin 2020, les rebelles ont pris la ville de Mocimboa da Praia et tué au moins huit sous-traitants. Fin décembre de la même année, ils ont lancé une nouvelle offensive qui les a menés aux portes de Total. A ce moment-là, Patrick Pouyanné a fait marche arrière et a pris en charge personnellement la supervision des opérations de sécurité, selon le premier responsable d’Anadarko cité. Bien qu’il n’ait aucune expertise en matière de sécurité, “[il] a dû se plonger dans les moindres détails”. Le deuxième cadre a confirmé ces propos. “Il est passé de ‘Je m’en fiche, nous avons les meilleurs agents de sécurité du secteur pour gérer cela’ à ‘Oh mon Dieu, c’est un désastre, laissez-moi micromanager et tout diriger’”, retrace-t-il. Le groupe “n’avait connaissance d’aucune […] critique selon laquelle Patrick Pouyanné manquerait de l’expertise nécessaire”, a déclaré TotalEnergies, ajoutant que son PDG avait “une expérience directe des évacuations d’urgence [depuis] que Total avait dû évacuer son personnel du Yémen en 2015”. La progression des insurgés vers les abords d’Afungi a incité le dirigeant à ordonner l’évacuation de tout le personnel de TotalEnergies. En revanche, de nombreux prestataires et sous-traitants, dont certains avaient pris du retard en raison du Covid, ont reçu l’ordre de continuer à travailler, selon des échanges d’e-mails entre prestataires consultés par POLITICO. “Mozambique LNG n’a fait aucune distinction entre ses propres employés, ses prestataires ou ses sous-traitants lorsqu’elle a donné ces instructions”, a assuré le groupe, précisant qu’il n’était pas responsable des décisions de ses prestataires. Puis, en février 2021, Patrick Pouyanné s’est rendu à la capitale Maputo pour négocier un nouvel accord de sécurité avec le président mozambicain de l’époque, Filipe Nyusi. A l’issue de cette rencontre, les deux hommes ont annoncé la création d’une Joint Task Force, une unité de 750 soldats et policiers armés qui serait stationnée à l’intérieur du complexe. L’accord prévoyait que ces troupes protégeraient un rayon de 25 kilomètres autour de l’usine, y compris Palma et plusieurs villages. Dans la pratique, en concentrant des centaines de soldats et de policiers à l’intérieur du périmètre clôturé, Palma s’est retrouvée relativement exposée. “Il est inexact d’affirmer que Palma était mal défendue”, a démenti l’entreprise. “Cependant, il est indéniable que ces forces de sécurité ont été dépassées par l’ampleur et la violence des attentats terroristes de mars 2021.” TotalEnergies a également ajouté qu’il n’était pas exact de dire que “Patrick Pouyanné a personnellement géré l’accord de sécurité mettant en place la Joint Task Force”. “UNE CATASTROPHE” A l’époque, les conseillers en droits humains du groupe mettaient en garde qu’en renforçant l’alliance de TotalEnergies avec les services de sécurité mozambicains par la création de la Joint Task Force — à laquelle l’entreprise avait accepté de verser ce qu’elle qualifie d’“indemnités de difficulté” par l’intermédiaire d’un tiers, ainsi que de la fournir en équipement et de l’héberger dans son enceinte —, Patrick Pouyanné la rendait de fait partie prenante au conflit et l’impliquait dans toute violation des droits humains commise par les soldats. Tout aussi inquiétante était l’insistance de TotalEnergies, selon un responsable de la sécurité de l’usine et le compte rendu d’une présentation du groupe sur la sécurité communiqué dans le cadre d’une demande d’accès à l’information aux Pays-Bas, pour que toutes les décisions importantes en matière de sécurité soient prises par une équipe dédiée de 20 personnes située à 8 000 kilomètres de là, à Paris. Cette centralisation semble expliquer pourquoi, lorsque les islamistes ont finalement envahi Palma le 24 mars 2021, Total a été parmi les derniers à en être informés. Un prestataire occidental, responsable de la sécurité, a expliqué avoir retiré son personnel 10 jours avant l’assaut, sur la base d’informations dont il disposait concernant la présence d’armes à feu et de jeunes hommes prépositionnés dans la ville. Dans les jours qui ont précédé l’attaque, les villageois des environs de Palma ont averti leurs amis et leurs proches en ville qu’ils avaient vu les islamistes avancer. Des messages WhatsApp consultés par POLITICO indiquent que des sous-traitants ont signalé la même chose à la sécurité de l’usine les 22 et 23 mars. Pourtant, à 9 heures du matin le 24 mars, TotalEnergies à Paris annonçait que la situation était sûre et que son personnel pouvait y retourner. Quelques heures plus tard, les islamistes attaquaient. “Ni Mozambique LNG ni TotalEnergies n’ont reçu d’‘avertissements préalables’ spécifiques concernant une attaque imminente avant le 24 mars”, a déclaré le groupe. Face à une avancée sur trois fronts de plusieurs centaines d’assaillants, le responsable de la sécurité de l’usine a déclaré que le management vertical de TotalEnergies était incapable d’y faire face. Le personnel sur le terrain n’a pas pu réagir à l’évolution de la situation, paralysé par la nécessité de demander l’approbation de Paris pour toute décision. Selon le responsable de la sécurité, le bureau national de Total à Maputo était également dans le flou, incapable de suivre les événements en temps réel ni autorisé à réagir. “QUI PEUT NOUS AIDER ?!” Deux décisions, prises au moment où l’attaque se déroulait, ont aggravé les ravages causés par les islamistes. La première a été le refus de Total de fournir du kérosène au Dyck Advisory Group (DAG), une petite société militaire privée sous-traitante de la police mozambicaine. La police et l’armée ayant été débordées, les petits hélicoptères du DAG représentaient la seule force militaire opérationnelle à Palma et la seule unité effectuant des sauvetages humanitaires. Mais les hélicoptères du DAG étaient limités par le faible approvisionnement en carburant, ce qui les obligeait à voler pendant une heure pour se ravitailler et à immobiliser leur flotte par intermittence. Etant l’un des plus grands fabricants mondiaux de kérosène et disposant de stocks importants dans son usine, Total était en mesure d’apporter son aide. Mais lorsque le DAG l’a sollicité à Paris, le groupe français a refusé. “La décision venait d’en haut”, a affirmé Max Dyck, le directeur de DAG, “et c’était ainsi que les choses devaient se passer”. Total a reconnu avoir refusé de fournir du carburant à DAG — en raison de préoccupations liées à l’historique de cette entreprise en matière de droits humains, selon la major —, mais a mis du carburant à la disposition des services de sécurité mozambicains. DAG a depuis engagé un avocat pour enquêter sur son passif, qui l’a innocenté. Une deuxième décision problématique fut un ordre, venant des cadres de Total à Paris dans les mois précédant le massacre, selon le responsable de la sécurité du site, qu’en cas d’attaque des rebelles, les gardes à l’entrée de la concession ne devaient laisser entrer personne. Cette instruction ne pouvait avoir été donnée que par quelqu’un qui ne connaissait pas la géographie de la région, a considéré le responsable de la sécurité du site. Si les islamistes bloquaient les trois routes menant à Palma, comme le prescrivent les tactiques conventionnelles, les seules issues possibles pour les 60 000 habitants seraient la mer ou les airs, deux voies qui passent par les infrastructures de TotalEnergies, avec son port et son aéroport. En bloquant le passage aux civils, l’entreprise les exposerait au danger. C’est ce qui s’est passé. TotalEnergies s’est rapidement retrouvée avec 25 000 civils en fuite à ses portes, selon un rapport interne de l’entreprise obtenu grâce à une demande d’accès à l’information déposée par Recommon, une ONG italienne. Parmi la foule se trouvaient des centaines de sous-traitants et d’ouvriers. Des témoins ont décrit à POLITICO des familles suppliant les gardes de TotalEnergies de les laisser entrer. Des mères tendaient leurs bébés pour qu’ils soient déposés devant les portes. Mais, depuis Paris, l’entreprise a refusé d’autoriser ses gardes à ouvrir. Le 28 mars, cinquième jour de l’attaque, la direction à Paris a autorisé un ferry à évacuer 1 250 employés et ouvriers du site, puis à effectuer un seul aller-retour pour récupérer 1 250 civils qui s’étaient introduits dans le périmètre, laissant encore des dizaines de milliers de personnes bloquées à ses portes. Le 29 mars, un responsable des relations communautaires de TotalEnergies à Paris a passé un appel paniqué à Caroline Brodeur, une connaissance chez Oxfam America. “Il m’a dit : ‘Il y a une situation sécuritaire très grave au Mozambique !’”, se souvient Caroline Bordeur. “‘Une escalade de la violence ! Nous devons évacuer les gens ! Qui peut nous aider ? Quelle ONG peut nous soutenir sur le plan logistique ?’” Trente minutes plus tard, le même a rappelé. “Attendez”, lui a-t-il dit. “Ne faites rien”, expliquant avoir été empêché par les cadres de TotalEnergies. Aucune personne extérieure ne devait être impliquée. “Je pense qu’il essayait de faire ce qu’il fallait”, a estimé Caroline Brodeur lors d’un échange avec POLITICO. “Mais après cela, Total est restée silencieuse.” Au cours des deux mois suivants, les djihadistes ont tué des centaines de civils à Palma et dans les environs, ainsi que sur le site de Total, avant d’être chassés par la force d’intervention rwandaise. Pour le deuxième ex-cadre d’Anadarko et de Total, les rebelles auraient pu attaquer Palma, quel que soit le responsable du projet gazier. Mais la gestion lointaine et centralisée de Total a rendu “la catastrophe […] inévitable”. TotalEnergies a déclaré que sa réponse à l’attaque “avait atténué autant que possible les conséquences”. Confirmant l’appel téléphonique à Oxfam, le groupe a ajouté : “Aucun membre de TotalEnergies n’a cherché à empêcher toute aide extérieure.” Et il a particulièrement insisté sur le fait que Patrick Pouyanné n’était pas en faute. “Les accusations selon lesquelles la gestion de TotalEnergies par Patrick Pouyanné aurait exacerbé les ravages causés par les attaques au Mozambique sont totalement infondées”, a-t-elle souligné. “Patrick Pouyanné prend très au sérieux la sécurité et la sûreté du personnel.” Lors d’une interview donnée à LCI, Patrick Pouyanné a défendu les actions de son entreprise. “Nous avons complètement évacué le site”, a-t-il déclaré. “On n’était pas présent à ce moment-là.” Il a ajouté qu’il considérait que TotalEnergies — dont les équipes ont aidé “plus de 2000 civils à évacuer la zone” — “avait mené des actions héroïques”. “UN DÎNER PRESQUE PARFAIT” Les déboires de TotalEnergies au Mozambique s’inscrivent dans un contexte plus large dans lequel l’entreprise a vu son rang et son image se détériorer. Des manifestations pour le climat avaient pour rituel de se tenir chaque année devant son assemblée générale, dans le centre de Paris, jusqu’en 2023, où la police a dispersé les militants à coups de matraques et de gaz lacrymogènes. Depuis deux ans, TotalEnergies s’est retranchée derrière un barrage de contrôles de sécurité et de policiers antiémeutes dans ses bureaux de La Défense. Alors que le groupe envisageait 2024, date de son centenaire, comme une année de fête, elle l’a surtout passée à regarder son apogée dans le rétroviseur. Lorsque Patrick Pouyanné a pris la direction de Total en 2014, elle était la plus grande entreprise française et la 37e au niveau mondial. Aujourd’hui, elle est la 7e en France et ne figure même pas dans le top 100 mondial. Plusieurs médias ont profité du centenaire de TotalEnergies pour pointer du doigt ses tares répétées en matière de pollution, de corruption, de sécurité des travailleurs et de changement climatique. Patrick Pouyanné est également à l’origine d’une rupture avec l’establishment français. Lorsqu’il a suggéré l’année dernière de coter la multinationale à New York pour booster le cours de l’action, Emmanuel Macron l’a réprimandé en public. Le fossé s’est creusé davantage quelques semaines plus tard quand la commission d’enquête du Sénat sur TotalEnergies a recommandé dans ses conclusions que l’Etat entre au capital du groupe par un mécanisme lui offrant un droit de regard et de veto sur certaines décisions. L’entreprise a fait l’objet de cinq poursuites judiciaires distinctes, civiles et pénales, pour violation de la loi en matière de protection du climat et d’éthique des affaires. Dans une sixième affaire, intentée par des associations écologistes à Paris le mois dernier, un juge a ordonné à TotalEnergies de retirer de son site web un message affirmant que la société contribuait à la lutte contre le changement climatique. Compte tenu de ses investissements continus dans les énergies fossiles, cette affirmation était trompeuse, a estimé le juge, qui a ordonné à TotalEnergies de remplacer son message et d’afficher la décision du tribunal. La militante suédoise Greta Thunberg, elle aussi, a mené des manifestations contre l’oléoduc de TotalEnergies en Afrique de l’Est. Ce projet, qui vise à transporter du pétrole sur 1 600 kilomètres depuis l’Ouganda jusqu’à l’océan Indien en passant par la Tanzanie, est également accusé de violations des droits humains, ce qui lui vaut les critiques du Parlement européen ainsi que de 28 banques et 29 compagnies d’assurance qui ont refusé de le financer. Patrick Pouyanné a également vu son image personnelle ternie. Le patron était sous le feu des critiques en 2022 : alors que les Français venaient à peine de traverser la crise du Covid et affrontaient la flambée des prix des carburants, lui défendait son salaire annuel de 5 944 129 euros. Dans un tweet, il se disait “fatigué” d’être accusé d’avoir bénéficié d’une augmentation de 52%. Son salaire, avait-il ajouté, avait simplement été ramené à son niveau d’avant la pandémie. Du jour au lendemain, il est devenu le visage inacceptable du capitalisme français. “Pouyanné vit dans une autre galaxie, très très lointaine”, commentait un chroniqueur télé. Sous une photo du PDG, le député Insoumis Thomas Portes avait tweeté : “Un nom, un visage. Le bloqueur du pays.” Ce ressentiment est si vif et si répandu qu’en 2023, l’entreprise a publié un guide à l’intention de ses employés sur la manière de le gérer. Intitulé “Un dîner presque parfait”, ce livret présente des arguments et des données que les salariés peuvent utiliser pour répondre aux éventuelles critiques de leurs proches. “Avez-vous déjà été interrogés, lors d’un dîner en famille ou entre amis, sur une polémique concernant la Compagnie ?”, peut-on y lire. “Aviez-vous les éléments factuels nécessaires pour répondre à vos convives ?” “FAUSSES ACCUSATIONS” La plainte pour crimes de guerre a été déposée en France, alors que les faits supposés se sont déroulés au Mozambique, parce que celle-ci indique que le pays d’établissement de TotalEnergies établit la compétence juridictionnelle. Cette affaire illustre l’extension de la justice internationale, à savoir la poursuite dans un pays de crimes commis en dehors de son territoire. Né à Nuremberg et à Tokyo au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le mouvement en faveur de la justice internationale a récemment vu ses principes utilisés par des tribunaux nationaux et internationaux pour traduire en justice des chefs de guerre et des dictateurs, ainsi que par des tribunaux nationaux pour poursuivre des citoyens ou des entreprises impliqués dans des abus commis à l’étranger, là où les systèmes judiciaires locaux sont faibles. Les tribunaux américains ont ordonné à ExxonMobil et au géant de la banane Chiquita de comparaître pour complicité dans les atrocités commises à la fin des années 1990 et au début des années 2000 par des soldats ou des milices payés pour protéger leurs sites, respectivement en Indonésie et en Colombie. Exxon a conclu un accord une semaine avant l’ouverture de son procès en 2023. En juin 2024, un tribunal de Floride a condamné Chiquita à verser 38 millions de dollars aux familles de huit Colombiens assassinés ; l’appel de Chiquita a été rejeté en octobre de la même année. En Suède, deux dirigeants de Lundin Oil sont actuellement jugés pour complicité de crimes de guerre après que les troupes soudanaises et les milices gouvernementales ont tué environ 12 000 personnes entre 1999 et 2003 en nettoyant la zone autour d’un site de forage de l’entreprise. Les dirigeants nient les accusations portées contre eux. L’ECCHR a engagé plusieurs procédures judiciaires dans différents pays. En 2016 notamment, elle a déposé avec l’ONG Sherpa une plainte pénale à Paris contre le cimentier Lafarge, accusant son usine syrienne d’avoir versé des millions de dollars à l’Etat islamique en échange de sa protection. Lafarge et huit de ses dirigeants sont jugés à Paris ce mois-ci pour financement du terrorisme et violation des sanctions internationales — des accusations qu’ils réfutent. La plainte pour crimes de guerre contre TotalEnergies cite des documents internes, obtenus grâce à des demandes d’accès à l’information en Italie et aux Pays-Bas, qui montreraient que le personnel du site savait que les soldats commettaient régulièrement des violations des droits humains contre des civils alors qu’ils travaillaient pour l’entreprise. Il y avait “des accusations régulières de la communauté concernant des violations des droits humains commises par la JTF [Joint Task Force]”, peut-on lire dans l’un de ces documents, notamment “des violences physiques et des arrestations/disparitions”. Le rapport fait également référence à “des soldats qui auraient été présumés impliqués dans une affaire [de droits humains] en août [2021]”. Ces faits ont été jugés si graves que TotalEnergies a suspendu le paiement des salaires des 1 000 soldats de la Joint Task Force et que l’armée a expulsé 200 d’entre eux de la région, selon le document interne. La plainte déposée par l’ECCHR est contre TotalEnergies et contre X, afin de laisser ouverte la possibilité d’ajouter les noms de dirigeants de l’entreprise non spécifiés. Parmi les personnes citées dans les 56 pages du document figurent Patrick Pouyanné et cinq autres dirigeants et salariés de TotalEnergies. Denis Favier, le responsable de la sécurité de l’entreprise, n’en fait pas partie. TotalEnergies a refusé de rendre disponibles ses  dirigeants ou les responsables de sa sécurité pour des interviews. Interrogé en avril 2024 par le Sénat sur les activités de son entreprise au Mozambique, le PDG a affirmé pouvoir “assurer la sécurité de l’enceinte industrielle dans laquelle [il] pourrai[t] opérer, mais non de la région”, soulignant que “la sécurité du Cabo Delgado relève de la responsabilité non pas de TotalEnergies, mais de l’Etat du Mozambique”. Interrogé en mai dernier par l’Assemblée nationale sur les exécutions dans les conteneurs, Patrick Pouyanné a réaffirmé sa confiance dans l’Etat mozambicain en déclarant : “Ces pays progresseront si nous avons confiance dans leurs institutions. Nous devons cesser de leur faire la leçon à tout propos.” Oubliant apparemment qu’il avait contribué à négocier un accord de sécurité prévoyant le déploiement de soldats mozambicains dans les locaux de Total, il a ajouté : “Je vous confirme que TotalEnergies n’a rien à voir avec l’armée du Mozambique.” Un porte-parole de l’entreprise a précisé cette semaine que “TotalEnergies n’est pas impliqué dans les opérations, le commandement ou la gestion des forces armées mozambicaines”. Outre la plainte pour crimes de guerre, les activités de TotalEnergies au Mozambique font déjà l’objet d’une information judiciaire ouverte en mars en France. L’entreprise est accusée d’homicide involontaire pour ne pas avoir assuré la sécurité de ses sous-traitants restés à Palma lorsque de l’attaque par le groupe lié à l’Etat islamique. Alors que POLITICO avait déjà révélé que 55 travailleurs du projet avaient été tués, TotalEnergies, par l’intermédiaire de sa filiale Mozambique LNG, a initialement affirmé n’avoir perdu aucun employé. “Tous les employés de Mozambique LNG, ses prestataires et ses sous-traitants, ont été évacués en toute sécurité du site du projet Mozambique LNG”, a déclaré Maxime Rabilloud, directeur général de Mozambique LNG, à POLITICO l’année dernière. Malgré cette affirmation, la mort d’au moins un sous-traitant britannique, Philip Mawer, fait l’objet d’une enquête officielle au Royaume-Uni. En décembre 2024, le service de presse du groupe à Paris a changé sa position sur l’attaque de Palma. “TotalEnergies n’a jamais nié la tragédie qui s’est produite à Palma et a toujours reconnu la perte tragique de vies civiles”, a-t-il déclaré à POLITICO. Pour la première fois, il a également admis qu’un “petit nombre” de travailleurs du projet avaient été stationnés à l’extérieur de son complexe sécurisé pendant l’attaque et exposés au carnage. L’enquête pour homicide involontaire prendra des années. La décision d’ouvrir une enquête formelle sur les nouvelles accusations portées contre TotalEnergies pour complicité de crimes de guerre, sans parler de porter l’affaire devant les tribunaux, ne devrait pas arriver avant 2026, au plus tôt. L’homicide involontaire est passible d’une peine de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende, pouvant même aller jusqu’à cinq ans et 75 000 euros en cas de “violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité”. Pour la complicité de crimes de guerre, la peine peut aller de cinq ans à la perpétuité. “POUVEZ-VOUS RÉELLEMENT VOUS REGARDER DANS LE MIROIR ?” Ces accusations de crimes de guerre ajoutent une nouvelle incertitude aux efforts déployés depuis vingt ans pour développer les gisements gaziers du Mozambique. Au lendemain du massacre de Palma en 2021, TotalEnergies a déclaré un cas de “force majeure”, une mesure juridique permettant de suspendre le projet en raison d’événements exceptionnels. Les quatre années et demie d’arrêt qui ont suivi ont coûté 4,5 milliards de dollars à TotalEnergies, en plus des 3,9 milliards que Patrick Pouyanné a débloqués pour racheter les parts d’Anadarko dans Mozambique LNG. Des milliards de dollars supplémentaires sont à prévoir avant que le site ne commence enfin à produire du gaz, ce qui, selon les prévisions actuelles de Total, devrait intervenir en 2029. L’information judiciaire pour homicide involontaire et la plainte pour crimes de guerre pourraient entraîner de nouveaux retards en déclenchant des procédures au titre du devoir de vigilance chez les investisseurs de TotalEnergies, les empêchant ainsi d’accorder des prêts de 14,9 milliards de dollars, sans lesquels Patrick Pouyanné a prévenu que son projet phare s’effondrerait. Par ailleurs, un prêt d’une agence gouvernementale américaine de 4,7 milliards de dollars à Total fait également l’objet d’une contestation en justice par les Amis de la Terre. Un porte-parole de TotalEnergies a déclaré cette semaine que le projet était en mesure de “satisfaire aux exigences en matière de due diligence requises par les prêteurs”. Tout cela intervient alors que la situation sur le terrain reste instable. Après une contre-offensive rwandaise réussie de 2021 à 2023, l’insurrection a repris, les islamistes menant des raids à travers Cabo Delgado, notamment à Palma et dans le port régional de Mocimboa da Praia. Selon l’Organisation internationale pour les migrations, 112 185 personnes ont fui les violences entre le 22 septembre et le 13 octobre. Parmi les personnes tuées au cours des derniers mois, deux travaillaient pour le projet gazier : un traiteur, assassiné à Palma, et un agent de sécurité, décapité dans un village au sud de la ville. L’entreprise a régulièrement répété que les récentes évolutions juridiques et la recrudescence des attaques des groupes liés à l’Etat islamique n’auront aucune incidence sur son projet de réouverture officielle de ses activités au Mozambique d’ici la fin de l’année. “Cette nouvelle plainte n’a aucun lien avec l’avancement du projet Mozambique LNG”, a indiqué un porte-parole cette semaine. Patrick Pouyanné lui-même a également passé une grande partie de cette année à insister sur le fait que le projet était “de nouveau sur les rails” et que son financement était assuré. En octobre, le groupe a levé la clause de force majeure afin de relancer le projet. Toutefois, dans une lettre consultée par POLITICO, Patrick Pouyanné a également écrit au président mozambicain Daniel Chapo pour lui demander de prolonger de dix ans sa licence de forage et de lui accorder 4,5 milliards de dollars afin de couvrir ses dépassements de coûts. Le Mozambique — dont le PIB s’élevait à 22,42 milliards de dollars en 2024, soit environ un dixième du chiffre d’affaires annuel de TotalEnergies (195,61 milliards de dollars) — n’a pas encore répondu. Une dernière question se pose pour le PDG de TotalEnergies : une accusation officielle de crimes de guerre va-t-elle alimenter l’opposition à son leadership parmi les actionnaires ? Lors de l’assemblée générale annuelle de 2024, un cinquième des actionnaires a rejeté la stratégie de transition climatique de l’entreprise, la jugeant trop lente, et un quart a refusé de soutenir Patrick Pouyanné pour un quatrième mandat de trois ans. En 2025, plusieurs investisseurs institutionnels ont exprimé leur opposition à Patrick Pouyanné en votant contre sa rémunération. Cependant, il semble peu probable que sa popularité s’améliore, en interne comme en externe. “Patrick Pouyanné, c’est le meilleur ennemi de tout le monde, c’est un bouc émissaire sur lequel on adore taper”, relève Olivier Gantois, président de l’Ufip-EM, un lobby du pétrole et du gaz. Récemment, le PDG de 62 ans a commencé à se montrer inhabituellement plaintif. Lors de l’assemblée générale de TotalEnergies en 2022, il avait notamment lancé que les actionnaires rebelles “n’aiment pas les émissions” de CO2, mais “ils aiment le dividende”. A celle de l’année dernière, il s’était plaint du fait que le groupe se trouvait dans une position impossible. “Nous essayons de trouver un équilibre entre la vie d’aujourd’hui et celle de demain”, avait-il énoncé. “Ce n’est pas parce que TotalEnergies s’arrêtera de produire [des énergies fossiles] que la demande disparaîtra.” Les statuts de TotalEnergies exigent que Pouyanné prenne sa retraite avant ses 67 ans, qu’il aura en 2030, soit à peu près au moment où TotalEnergies prévoit actuellement de commencer la production de gaz au Mozambique. Henri Thulliez, l’avocat qui a déposé les deux plaintes pénales contre TotalEnergies à Paris, prédit que les successeurs de Patrick Pouyanné seront moins attachés au projet, pour la simple et bonne raison que le Mozambique s’est avéré être un mauvais pari. “Vous investissez des milliards dans le projet, et celui-ci est complètement suspendu depuis quatre ans maintenant”, pointe Henri Thulliez. “Tous vos financeurs hésitent. Vous êtes potentiellement confronté à deux procès en France, et peut-être aussi ailleurs plus tard. Vous devez vous demander : à quoi sert tout cela ?” Quant à Patrick Pouyanné, deux questions hanteront ses dernières années chez TotalEnergies, suggère-t-il. Premièrement : “Les actionnaires peuvent-ils se permettre de vous garder à votre poste ?” Deuxièmement : “Pouvez-vous réellement vous regarder dans le miroir ?” Aude Le Gentil et Alexandre Léchenet ont contribué à cet article, qui a été initialement publié en anglais par POLITICO, puis édité en français par Jean-Christophe Catalon.
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TotalEnergies accusée de complicité de crimes de guerre pour les massacres dans les conteneurs au Mozambique
TotalEnergies a été formellement accusée de complicité de crimes de guerre et de torture dans une plainte déposée lundi à Paris au sujet d’un massacre sur son site gazier du Mozambique. Ce massacre avait été révélé pour la première fois par une enquête de POLITICO l’année dernière. La plainte, déposée par le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits humains (ECCHR), une association de défense des droits humains, affirme que TotalEnergies s’est rendue complice de ce qui est désormais appelé le “massacre des conteneurs” en ayant “directement financé et soutenu matériellement” les soldats mozambicains qui protégeaient son enceinte d’une insurrection menée par un groupe lié à l’Etat islamique. Comme l’a révélé POLITICO, les soldats, établis dans la concession de TotalEnergies juste au sud de la frontière tanzanienne, ont brutalisé, affamé, étouffé, exécuté ou fait disparaître environ 200 hommes dans une guérite entre juin et septembre 2021. “TotalEnergies savait que les forces armées mozambicaines avaient été accusées de violations systématiques des droits humains, mais a continué à les soutenir dans le seul but de sécuriser ses propres installations”, a déclaré Clara Gonzales, codirectrice du programme sur les entreprises et les droits humains pour l’ECCHR, un groupe d’avocats allemands spécialisés dans le droit international. En réponse aux questions posées par POLITICO l’année dernière, TotalEnergies — par l’intermédiaire de sa filiale Mozambique LNG — a déclaré n’avoir aucune connaissance de meurtres à proximité des conteneurs, ajoutant que ses “recherches approfondies” n’avaient “identifié aucune information ou preuve susceptible de corroborer les allégations d’abus graves et de torture”. Interrogé à l’Assemblée nationale en mai sur les meurtres commis dans les guérites, Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, a rejeté “des allégations” et a exigé que les accusateurs de la société “apportent des preuves de leurs dires”. La plainte de 56 pages, qui accuse également la major pétrogazière de complicité de disparitions forcées, a été déposée devant le procureur national antiterroriste français, dont les attributions comprennent les crimes de guerre. Il décidera s’il y a lieu d’ouvrir une enquête formelle et de nommer un juge d’instruction. Si l’affaire est jugée, les peines encourues vont de cinq ans d’emprisonnement à la perpétuité. 180 À 250 HOMMES ENTASSÉS DANS DES CONTENEURS, 26 SURVIVANTS La plainte a été déposée en vertu d’un principe juridique connu sous le nom de “compétence universelle”, qui permet à un pays de poursuivre des crimes commis en dehors de son territoire. Forgé à Nuremberg et à Tokyo au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ce principe a été utilisé plus récemment par des tribunaux nationaux et internationaux pour juger des seigneurs de la guerre et des dictateurs — et par des tribunaux nationaux pour poursuivre des citoyens ou des entreprises impliqués dans des abus commis à l’étranger, là où les systèmes judiciaires locaux sont faibles. L’ECCHR a déjà déposé une plainte pénale contre le cimentier français Lafarge, au sujet de ses activités en Syrie, l’accusant d’avoir versé des fonds de protection à l’Etat islamique. Depuis, un juge d’instruction s’est saisi de l’affaire, et l’entreprise ainsi que huit anciens cadres seront jugés ce mois-ci à Paris pour financement du terrorisme. Une accusation qu’ils nient. Un tribunal américain a déjà condamné l’entreprise à une amende de 777,8 millions de dollars pour avoir financé le terrorisme par l’intermédiaire de ses activités en Syrie. Clara Gonzales, de l’ECCHR, a demandé à la justice française de se saisir également de l’affaire TotalEnergies. “Les entreprises et leurs dirigeants ne sont pas des acteurs neutres lorsqu’ils opèrent dans des zones de conflit”, a-t-elle déclaré. “S’ils permettent ou alimentent des crimes, ils peuvent être complices et doivent être tenus pour responsables.” POLITICO a révélé pour la première fois en septembre 2024 comment des commandos mozambicains basés sur le site gazier de TotalEnergies — l’investissement privé le plus important jamais réalisé en Afrique — ont rassemblé environ 500 villageois et les ont accusés de soutenir les insurgés locaux. Les soldats ont séparé les hommes des femmes et des enfants, ont violé plusieurs femmes, puis ont entassé 180 à 250 hommes dans les deux conteneurs métalliques sans fenêtres qui formaient une entrée fortifiée rudimentaire au site de TotalEnergies. Selon onze survivants et deux témoins, les hommes ont été emprisonnés pendant trois mois dans une chaleur de 30 degrés. Certains ont suffoqué. D’autres sont morts de faim ou de soif après n’avoir été nourris que de poignées de riz et de capsules de bouteilles d’eau. Les soldats en ont battu et torturé de nombreux autres. Enfin, ils les ont emmenés par groupes avant de les exécuter. Seuls 26 hommes ont survécu, sauvés lorsqu’une force d’intervention rwandaise, déployée pour combattre le groupe affilié à l’Etat islamique, a découvert l’opération. Une enquête de maison en maison menée par POLITICO a par la suite permis d’identifier par leur nom 97 des personnes tuées ou disparues. 4,5 MILLIARDS DE DOLLARS DE PERTES La plainte de l’ECCHR est la deuxième action en justice qui touche l’opération mozambicaine de TotalEnergies cette année. En mars, le procureur de la République a annoncé l’ouverture d’une enquête contre l’entreprise pour homicide involontaire et non-assistance à personne en danger après la mort de 55 de ses entrepreneurs en construction lors d’un attentat perpétré par l’Etat islamique en mars 2021 dans la ville voisine de Palma. TotalEnergies, qui a affirmé n’avoir perdu aucun de ses employés lors de l’attaque, nie ces accusations. Après avoir suspendu la construction de l’usine à la suite de l’attaque, la société a repris ses activités le mois dernier et espère commencer à pomper du gaz d’ici 2029. Patrick Pouyanné a révélé le mois dernier que cette pause a entraîné pour son entreprise des coûts supplémentaires de 4,5 milliards de dollars depuis 2021, une somme dont il souhaite être remboursé par le gouvernement mozambicain. Le projet dépend également de 14,9 milliards de dollars de prêts, dont certains sont incertains. L’agence de crédit à l’exportation UK Export Finance, qui s’était engagée à verser 1,1 milliard de dollars, n’a pas encore débloqué les fonds après avoir ouvert une enquête sur les meurtres dans les conteneurs cette année. Le gouvernement néerlandais, qui a promis 1,2 milliard de dollars de garanties, mène sa propre enquête. Entre-temps, les écologistes américains ont intenté un procès à la Banque américaine d’import-export au sujet de son prêt de 4,7 milliards de dollars. Lorette Philippot, chargée de campagne aux Amis de la Terre en France, qui soutient l’action en justice de l’ECCHR, a déclaré que “la gravité des allégations à l’encontre de TotalEnergies […] doit constituer une ligne rouge pour les bailleurs de fonds de Mozambique LNG. Ils n’ont pas signé des chèques en blanc”. Les preuves de la plainte de l’ECCHR comprennent des photographies des conteneurs et des documents internes de TotalEnergies, vus par POLITICO, obtenus grâce à des demandes d’accès à l’information italiennes et néerlandaises. L’ONG entend montrer avec ces preuves que l’entreprise savait que ses gardes mozambicains commettaient régulièrement des violations des droits de l’homme, y compris des meurtres, et qu’elle était consciente de la hausse des incidents dans les mois qui ont suivi l’attentat de Palma. Les rapports de sécurité de TotalEnergies font état de multiples abus commis par des soldats stationnés sur son site gazier, connus sous le nom de Joint Task Force, entre juin et septembre 2021. Après un incident survenu en août 2021, qui n’est pas décrit en détail, TotalEnergies a suspendu la solde de l’ensemble des 1 000 soldats présents sur son site, et l’armée mozambicaine a éjecté 200 soldats de l’installation. “Connaissant tout ceci, écrit l’ECCHR, TotalEnergies a néanmoins continué à soutenir directement la Joint Task Force en lui fournissant des logements, de la nourriture, des équipements et des primes pour les soldats — tout en stipulant que les primes seraient retirées si les soldats commettaient des violations des droits de l’homme.” Cet article a été initialement publié en anglais par POLITICO et adapté en français par Alexandre Léchenet.
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EDF bannit complètement l’alcool (et ça ne plaît pas à tout le monde)
PARIS — Les cadres d’EDF vont devoir s’habituer aux mocktails. A partir du 1er janvier, plus une seule goutte d’alcool ne sera en effet tolérée chez l’énergéticien. Les boissons alcoolisées seront interdites sur l’ensemble des sites de l’entreprise et de ses filiales, parmi lesquelles le distributeur Enedis ou Dalkia, spécialisé dans les réseaux de chaleur et de froid, ou le chaudiériste nucléaire Framatome. Cela comprend aussi les pots et repas professionnels, selon une décision du comité exécutif d’EDF du 22 septembre, que POLITICO a pu consulter. La décision a été impulsée par Bernard Fontana, arrivé en mai à la tête de l’entreprise publique. Il avait déjà instauré la même politique chez Framatome, une filiale d’EDF spécialisée dans les équipements nucléaires, lorsqu’il la dirigeait. Motifs de cette interdiction, invoqués par EDF, qui a confirmé l’information à POLITICO : “santé publique” et “exemplarité managériale”. L’alcool était déjà proscrit sur les sites industriels du groupe, notamment les centrales nucléaires, où la sécurité est primordiale. Des contrôles peuvent même avoir lieu pour s’assurer de la sobriété des salariés sur certains sites. Cette décision n’est pas liée au plan massif d’économies annoncé par Bernard Fontana, précise encore l’énergéticien. C’EST DU SÉRIEUX Dans le détail, les stands du groupe dans les différents salons ne proposeront pas d’alcool non plus — quand d’autres entreprises concurrentes proposent sur les mêmes salons des déjeuners arrosés ou trinquent aux nouveaux contrats sur les leurs. Le stand d’EDF était ainsi l’un des rares sans alcool au Salon mondial du nucléaire, qui s’est tenu à Villepinte au début du mois de novembre, a constaté POLITICO. La nouvelle politique s’appliquera aussi aux séminaires ou vœux du Nouvel An organisés par EDF, ainsi qu’aux notes de frais pour les repas en déplacement (l’alcool consommé ne sera plus remboursé), précise la décision du comité exécutif consultée par POLITICO. Seule exception évoquée : un éventuel événement “extérieur associant des parties prenantes externes, avec modération” et sur décision d’un membre du comité exécutif ou d’un dirigeant d’une filiale, précise encore le document. TOUR DE TABLE SYNDICAL La décision, qui concernera l’ensemble des 190 000 salariés du groupe, n’a pas été prise sans heurts. A l’origine, la direction d’EDF souhaitait que cette nouvelle politique s’applique immédiatement, ce qui a suscité une levée de boucliers de la part de la CFE-CGC, premier syndicat de l’entreprise. Elle a finalement été décalée de quelques mois, au 1er janvier prochain. Amélie Henri, déléguée syndicale centrale CFE-CGC, regrette auprès de POLITICO que les représentants du personnel n’aient initialement pas été consultés, malgré une “culture du dialogue sociale” en principe “importante” chez EDF. La consommation d’alcool chez EDF “était déjà bien réglementée”, juge pour sa part Gwénaël Plagne, secrétaire CGT du CSE central du groupe. Il y voit le signe d’une “politique toujours plus répressive menée par la direction d’EDF” et craint la multiplication des sanctions. “C’est le sujet du moment, Tonton Bernard a réussi son buzz”, relativise toutefois un syndicaliste. En France, la consommation de vin, poiré, cidre ou bière est tolérée sur le lieu de travail, en toute modération et dans le respect du règlement intérieur de l’entreprise. L’ivresse sur le lieu de travail est interdite. Certaines entreprises interdisent déjà l’alcool sur des sites industriels, notamment Renault. SOBRIÉTÉ À TOUS LES ÉTAGES La sobriété n’est pas que dans les verres. Bernard Fontana a promis la mise en place d’un plan d’économies à son arrivée à la tête d’EDF. Le dîner organisé au début du mois par EDF pour rassembler le gratin du nucléaire au Plaza Athénée, un hôtel de luxe situé avenue Montaigne à Paris, a failli en faire les frais. Ayant eu vent du lieu du dîner organisé en marge du salon mondial du nucléaire civil, le PDG a voulu l’annuler, selon deux personnes au fait des échanges. Il n’a pas eu gain de cause, le lieu étant déjà réservé et des frais engagés. Un dîner de “très haut niveau, CEOs only avec tuxedo”, selon l’une d’entre elles. Peut-être une des dernières occasions pour les dirigeants de l’énergéticien de trinquer sous une bannière EDF.
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Au Parlement européen, les conservateurs et l’extrême droite assouplissent les règles vertes pour les entreprises
BRUXELLES — Les députés européens se sont mis d’accord jeudi pour exempter davantage d’entreprises des règles de reporting vert. Les groupes du centre droit à l’extrême droite ont voté l’adoption de ce premier paquet de simplification omnibus de l’Union européenne. Ce résultat illustre la volonté du Parti populaire européen (PPE), une formation de centre droit, d’abandonner ses alliés traditionnels et continuer, avec le soutien des groupes d’extrême droite, à faire passer son programme de dérégulation, créant ainsi un précédent pour les futurs textes qu’examinera le Parlement durant le reste de cette législature. Les groupes d’extrême droite Les Patriotes et L’Europe des nations souveraines ont voté en faveur des changements proposés par le PPE, qui ont également été soutenus par celui de droite dure des Conservateurs et réformistes européens (CRE). Dix-sept députés membres du groupe libéral Renew et 15 socialistes ont également rompu les rangs et soutenu la version de droite du texte. “L’alliance du PPE avec l’extrême droite ne fera que créer plus d’instabilité en Europe et compliquera la tâche de la majorité de von der Leyen pour mener à bien l’agenda européen”, a estimé Kira Marie Peter-Hansen, la cheffe de file des Verts sur ce dossier. “Le vote d’aujourd’hui marque un triste moment pour nos valeurs européennes.” La présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, est elle-même membre du PPE. Avant le vote, le président du PPE (du parti et du groupe) Manfred Weber justifiait auprès de POLITICO : “Nous avons promis aux électeurs de réduire les démarches administratives inutiles, et nous le ferons. Le vote ne porte sur rien d’autre que cela.” Mais le chef de file des Socialistes et démocrates, René Repasi, n’a pas approuvé cette explication, allant jusqu’à évoquer le spectre des années 1930, lorsque les conservateurs ont rompu avec les sociaux-démocrates en Allemagne et sont entrés au gouvernement avec les nazis. “Cela a conduit à la montée d’Adolf Hitler”, pointe René Repasi à POLITICO. “Alors, s’il vous plaît, ressaisissons-nous et ne répétons pas les erreurs du passé.” Mary Khan-Hohloch, eurodéputée allemande et membre du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD), s’est félicitée de ce vote : “Aujourd’hui est un jour historique pour les entreprises allemandes et européennes, et pour la démocratie. Avec la fin du cordon sanitaire, une majorité à droite de l’échiquier politique a réussi à affaiblir cette législation néfaste qu’est le Pacte vert et à apporter une aide urgente à nos entreprises.” CE QU’ILS ONT VOTÉ Le paquet omnibus sur le développement durable est la première proposition législative majeure du second mandat d’Ursula von der Leyen à la tête de la Commission, et donne le ton de son programme de “simplification”. Il assouplit les législations européennes sur le reporting environnemental et sur la transparence de la chaîne de valeur. L’objectif est de réduire les formalités administratives et de permettre aux entreprises européennes de rivaliser plus facilement avec leurs concurrentes étrangères. Les changements approuvés par le Parlement relèveraient le seuil qui fait qu’une entreprise est soumise ou non aux obligations a la fois en matière d’information sur la responsabilité sociale et environnementale, et de devoir de vigilance. Ainsi, un nombre encore plus restreint de sociétés devraient rendre compte de leur empreinte environnementale. Ces modifications supprimeraient également les plans de transition climatique obligatoires pour les entreprises prévus par les règles européennes sur le devoir de vigilance. Au total, 382 députés ont voté en faveur de la proposition du PPE et des CRE, 249 contre et 13 se sont abstenus lors de ce scrutin, qui a été suivi de huées venant de la gauche de l’hémicycle. “Les machines sont fatiguées”, a plaisanté la présidente du Parlement, Roberta Metsola, après que les machines à voter ont commencé à dysfonctionner à la suite d’un long vote sur des centaines d’amendements au texte soumis par tous les groupes politiques. Ce vote intervient après des mois d’intenses négociations au cours desquelles le PPE, les socialistes et Renew ne sont pas parvenus à s’entendre sur l’ampleur de la simplification des règles en matière de reporting. Le Parlement va maintenant entamer des négociations avec le Conseil de l’UE et la Commission pour finaliser une position commune sur le dossier. Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais, puis a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.
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Pacte vert
Le Parlement européen adopte un objectif climatique édulcoré pour 2040
Les parlementaires européens ont adopté aujourd’hui une proposition visant à fixer un objectif européen contraignant de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 90 % d’ici à 2040. Le texte est en grande partie un copier-coller de la position adoptée par les gouvernements de l’UE le 5 novembre. Il propose de réduire les émissions nationales de 85% par rapport au niveau de 1990 et de permettre à l’UE d’externaliser 5 points de pourcentage de son effort climatique à l’étranger en achetant des compensations carbone internationales. Une majorité de parlementaires a accepté de soutenir l’objectif controversé ; 379 ont voté pour, 248 contre et 10 se sont abstenus. Les Socialistes & Démocrates (S&D) de centre-gauche, le groupe libéral Renew, les Verts et le groupe d’extrême gauche ainsi qu’une partie du Parti populaire européen (PPE) de centre-droit ont soutenu l’adoption de l’objectif climatique pour 2040. Les eurodéputés français du PPE, les Conservateurs et réformistes européens (CRE) et les groupes d’extrême droite Patriotes pour l’Europe, auquel appartient le Rassemblement national, et Europe des nations souveraines (ENS) se sont opposés à l’adoption de cet objectif. Les eurodéputés ont également approuvé des amendements demandant que les crédits carbone utilisés pour atteindre l’objectif soient correctement réglementés, qu’ils permettent de réelles réductions d’émissions, qu’ils ne contribuent pas à endommager l’environnement et qu’ils protègent les investissements dans les technologies vertes en Europe. Le texte va maintenant faire l’objet de négociations interinstitutionnelles entre le Parlement et le Conseil de l’UE, rassemblement les chefs d’Etat et de gouvernement, avant de devenir une loi. Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Alexandre Léchenet.
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