BRUXELLES — Plus de 80% des entreprises européennes seront libérées de leurs
obligations en matière d’information environnementale après que les institutions
de l’UE sont parvenues lundi à un accord sur une proposition visant à assouplir
la réglementation verte.
L’accord est une victoire législative majeure pour la présidente de la
Commission européenne, Ursula von der Leyen. Elle qui cherche à faire de
l’allègement des démarches administratives pour les entreprises l’un des
marqueurs de son second mandat.
Toutefois, cette victoire a eu un coût politique : ce dossier a poussé au bord
de l’effondrement la coalition qui avait permis sa réélection ; sa propre
famille politique, le Parti populaire européen (PPE) de centre droit, s’étant
alliée à l’extrême droite pour faire passer l’accord.
La nouvelle loi, la première d’une longue série de textes de simplification
omnibus, réduira massivement le champ d’application des obligations
d’information des entreprises sur leur durabilité introduites au cours de la
précédente législature. Derrière cette réduction des formalités administratives,
l’objectif est de stimuler la compétitivité des entreprises européennes et de
favoriser la croissance économique.
L’accord conclut une année d’intenses négociations entre les décideurs
européens, les investisseurs, les entreprises et la société civile, qui se sont
opposés sur la question de savoir à quel point il fallait réduire les
obligations des entreprises en matière reporting sur l’impact environnemental de
leurs activités et de leurs chaînes d’approvisionnement, alors même que les
effets du changement climatique en Europe ne cessent de s’aggraver.
“Il s’agit d’une étape importante dans la réalisation de notre objectif commun,
qui est de créer un environnement économique plus favorable pour aider la
croissance et l’innovation de nos entreprises”, s’est félicitée Marie Bjerre,
ministre danoise des Affaires européennes. Le Danemark, qui assure la présidence
du Conseil de l’UE jusqu’à la fin de l’année, a mené les négociations au nom des
gouvernements de l’Union.
“Cet accord apporte une réduction historique des coûts”, a applaudi Jörgen
Warborn (PPE), qui a mené les négociations au Parlement. “Nous avons obtenu
quelque chose de très positif pour les entreprises en Europe […]. J’espère que
cet omnibus aura son atterrissage final la semaine prochaine à Strasbourg, où
nous le voterons en séance plénière.”
Marie Bjerre, ministre des Affaires européennes du Danemark, a déclaré que
l’accord était une étape importante pour créer un environnement économique plus
favorable. | Philipp von Ditfurth/picture alliance via Getty Images
Proposé par la Commission en février dernier, cet omnibus vise à répondre aux
préoccupations des entreprises qui estiment que les formalités administratives
nécessaires pour se conformer aux lois de l’UE sont coûteuses et injustes.
Nombre d’entre elles estiment que l’Europe fait de l’excès de zèle en matière de
législation et de restrictions environnementales. Et l’accusent d’être
responsable de la faiblesse de la croissance économique et de pertes d’emplois,
les empêchant de rivaliser avec leurs concurrentes américaines et chinoises.
Mais les associations environnementales et de la société civile — ainsi que
certaines entreprises — ont fait valoir que ce retour en arrière mettrait en
péril l’environnement et la santé humaine.
Ce désaccord s’est propagé à Bruxelles, perturbant l’équilibre des pouvoirs au
Parlement, puisque le PPE a rompu le fameux “cordon sanitaire” — une règle
tacite qui interdit aux partis traditionnels de collaborer avec l’extrême droite
— pour adopter des coupes importantes dans la réglementation verte. Il s’agit
d’un précédent pour les futures législations européennes, alors que l’UE est
confrontée à des priorités parfois contradictoires : stimuler la croissance
économique et progresser dans sa transition écologique.
Depuis, le terme “omnibus” est devenu une expression courante dans le jargon
bruxellois, la Commission ayant présenté au moins 10 autres projets de loi de
simplification sur des sujets tels que la protection des données, la finance,
l’utilisation des produits chimiques, l’agriculture et la défense.
MOINS DE PAPERASSE
L’accord conclu par les négociateurs du Parlement européen, du Conseil de l’UE
et de la Commission comprend des modifications de deux textes législatifs clés
de l’arsenal réglementaire de l’Union sur l’écologie : la directive relative à
la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises
(CSRD) et la directive sur le devoir de diligence des entreprises en matière de
durabilité (CS3D).
A l’origine, celles-ci imposaient aux entreprises, grandes et petites, de
collecter et de publier des données sur leurs émissions de gaz à effet de serre,
la quantité d’eau qu’elles utilisent, l’impact de la hausse des températures sur
les conditions de travail, les fuites de produits chimiques et le respect des
droits de l’homme et du droit du travail par leurs fournisseurs, qui sont
souvent répartis dans le monde entier.
Désormais, les obligations de déclaration ne s’appliqueront qu’aux entreprises
employant plus de 1 000 personnes et réalisant un chiffre d’affaires net de 450
millions d’euros, tandis que seules les plus grandes entreprises — avec plus de
5 000 salariés et un chiffre d’affaires net d’au moins 1,5 milliard d’euros —
seront soumises à des obligations de devoir de vigilance sur leur chaîne
d’approvisionnement.
Elles ne sont pas non plus tenues d’adopter des plans de transition, détaillant
la manière dont elles entendent adapter leur business model pour atteindre les
objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Il est important de noter que les décideurs se sont débarrassés d’un cadre
juridique européen qui permettait aux citoyens de tenir les entreprises
responsables de l’impact de leurs chaînes d’approvisionnement sur les droits de
l’homme ou les écosystèmes locaux.
Les députés européens auront une nouvelle fois leur mot à dire sur l’adoption ou
non de l’accord : le vote final étant prévu pour le 16 décembre. Cela signifie
que les parlementaires ont la possibilité de rejeter l’accord conclu par les
colégislateurs s’ils considèrent qu’il s’éloigne trop de leur position initiale.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais, puis a été édité en
français par Jean-Christophe Catalon.
Tag - Pacte vert
BRUXELLES — Les députés européens se sont mis d’accord jeudi pour exempter
davantage d’entreprises des règles de reporting vert. Les groupes du centre
droit à l’extrême droite ont voté l’adoption de ce premier paquet de
simplification omnibus de l’Union européenne.
Ce résultat illustre la volonté du Parti populaire européen (PPE), une formation
de centre droit, d’abandonner ses alliés traditionnels et continuer, avec le
soutien des groupes d’extrême droite, à faire passer son programme de
dérégulation, créant ainsi un précédent pour les futurs textes qu’examinera le
Parlement durant le reste de cette législature.
Les groupes d’extrême droite Les Patriotes et L’Europe des nations souveraines
ont voté en faveur des changements proposés par le PPE, qui ont également été
soutenus par celui de droite dure des Conservateurs et réformistes européens
(CRE).
Dix-sept députés membres du groupe libéral Renew et 15 socialistes ont également
rompu les rangs et soutenu la version de droite du texte.
“L’alliance du PPE avec l’extrême droite ne fera que créer plus d’instabilité en
Europe et compliquera la tâche de la majorité de von der Leyen pour mener à bien
l’agenda européen”, a estimé Kira Marie Peter-Hansen, la cheffe de file des
Verts sur ce dossier. “Le vote d’aujourd’hui marque un triste moment pour nos
valeurs européennes.” La présidente de la Commission européenne, Ursula Von der
Leyen, est elle-même membre du PPE.
Avant le vote, le président du PPE (du parti et du groupe) Manfred Weber
justifiait auprès de POLITICO : “Nous avons promis aux électeurs de réduire les
démarches administratives inutiles, et nous le ferons. Le vote ne porte sur rien
d’autre que cela.”
Mais le chef de file des Socialistes et démocrates, René Repasi, n’a pas
approuvé cette explication, allant jusqu’à évoquer le spectre des années 1930,
lorsque les conservateurs ont rompu avec les sociaux-démocrates en Allemagne et
sont entrés au gouvernement avec les nazis.
“Cela a conduit à la montée d’Adolf Hitler”, pointe René Repasi à POLITICO.
“Alors, s’il vous plaît, ressaisissons-nous et ne répétons pas les erreurs du
passé.”
Mary Khan-Hohloch, eurodéputée allemande et membre du parti d’extrême droite
Alternative pour l’Allemagne (AfD), s’est félicitée de ce vote : “Aujourd’hui
est un jour historique pour les entreprises allemandes et européennes, et pour
la démocratie. Avec la fin du cordon sanitaire, une majorité à droite de
l’échiquier politique a réussi à affaiblir cette législation néfaste qu’est le
Pacte vert et à apporter une aide urgente à nos entreprises.”
CE QU’ILS ONT VOTÉ
Le paquet omnibus sur le développement durable est la première proposition
législative majeure du second mandat d’Ursula von der Leyen à la tête de la
Commission, et donne le ton de son programme de “simplification”. Il assouplit
les législations européennes sur le reporting environnemental et sur la
transparence de la chaîne de valeur. L’objectif est de réduire les formalités
administratives et de permettre aux entreprises européennes de rivaliser plus
facilement avec leurs concurrentes étrangères.
Les changements approuvés par le Parlement relèveraient le seuil qui fait qu’une
entreprise est soumise ou non aux obligations a la fois en matière d’information
sur la responsabilité sociale et environnementale, et de devoir de vigilance.
Ainsi, un nombre encore plus restreint de sociétés devraient rendre compte de
leur empreinte environnementale. Ces modifications supprimeraient également les
plans de transition climatique obligatoires pour les entreprises prévus par les
règles européennes sur le devoir de vigilance.
Au total, 382 députés ont voté en faveur de la proposition du PPE et des CRE,
249 contre et 13 se sont abstenus lors de ce scrutin, qui a été suivi de huées
venant de la gauche de l’hémicycle.
“Les machines sont fatiguées”, a plaisanté la présidente du Parlement, Roberta
Metsola, après que les machines à voter ont commencé à dysfonctionner à la suite
d’un long vote sur des centaines d’amendements au texte soumis par tous les
groupes politiques.
Ce vote intervient après des mois d’intenses négociations au cours desquelles le
PPE, les socialistes et Renew ne sont pas parvenus à s’entendre sur l’ampleur de
la simplification des règles en matière de reporting.
Le Parlement va maintenant entamer des négociations avec le Conseil de l’UE et
la Commission pour finaliser une position commune sur le dossier.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais, puis a été édité en
français par Jean-Christophe Catalon.
BRUXELLES — Aux dernières nouvelles, Mario Draghi ne semblait pas très satisfait
des progrès réalisés par l’UE en suivant son plan de relance de l’économie
européenne.
L’Europe doit réagir au “wake-up call très brutal de Trump”, a-t-il déclaré le
mois dernier, qualifiant l’Union de “mal équipée” pour faire face aux défis
mondiaux.
Un an après la publication du rapport sur la compétitivité, la Commission
européenne a lancé une multitude d’initiatives politiques portant des noms
accrocheurs, tels que “la boussole pour la compétitivité” et “le Pacte pour une
industrie propre”. Dans la plupart des cas, il semble que l’ambition soit là. Ce
qui fait défaut, c’est l’adhésion nécessaire des gouvernements nationaux.
Le European Policy Innovation Council, un think tank basé à Bruxelles, partage
l’impression qu’il y a eu beaucoup d’idées mais peu de réalisations. Son
“Observatoire Draghi” a mesuré les progrès accomplis dans divers domaines
politiques et, selon ses calculs, 11% des propositions sont “pleinement mises en
œuvre”.
Il est maintenant temps pour les experts politiques de POLITICO Pro de se
prononcer.
LE BUDGET : LOIN DU COMPTE
La Commission a créé un fonds de 409 milliards d’euros, dans le cadre du budget
septennal de l’UE, afin de financer la relance de l’industrie européenne.
Sa présidente, Ursula von der Leyen, a fait valoir que cela permettrait aux
entreprises du Vieux Continent de se développer rapidement et de réduire les
formalités administratives pour obtenir des subventions de l’UE, deux priorités
défendues par Mario Draghi.
Mais le zèle réformateur d’Ursula von der Leyen a été sapé par les gouvernements
nationaux et par certains de ses propres commissaires, qui se sont opposés à des
réductions importantes des subventions accordées aux agriculteurs et aux régions
les plus pauvres. Celles-ci ont toujours constitué une part importante du budget
et sont dépensées au niveau national pour l’essentiel.
La taille globale du budget proposé — qui représente 1,26% du revenu national
brut de l’UE, remboursement de la dette post-Covid inclus — est loin d’être à la
hauteur des défis soulignés par Mario Draghi.
Draghi-omètre :
FINANCE : DE L’AMBITION, MAIS PEU DE RÉSULTATS À CE STADE
L’appel de Mario Draghi en faveur d’un véritable marché unique de
l’investissement dans l’UE a été entendu. La nouvelle Commission von der Leyen,
entrée en fonction l’année dernière, en a fait une priorité politique et lui a
donné un nouveau nom clinquant : “l’union de l’épargne et de l’investissement”.
Elle a ajouté de nouvelles initiatives à “l’union des marchés des capitaux”,
vieille de 10 ans.
Jusqu’à présent, l’ambition semble respectable, mais bon nombre des propositions
centrales, comme les plans visant à instaurer une supervision européenne unique
des marchés de capitaux et à lever les barrières nationales pour les
entreprises, telles que les Bourses et les chambres de compensation, restent à
venir.
Comme pour tout ce qui concerne les idées de Mario Draghi, il faut s’attendre à
une opposition nationale et sectorielle à de nombreux projets de la Commission,
en particulier lorsqu’ils touchent à des domaines délicats pour les
gouvernements, comme la fiscalité ou les règles en matière d’insolvabilité.
Il ne serait donc pas surprenant qu’il fasse à nouveau, dans un an, un discours
frustré sur l’absence de progrès.
Draghi-omètre :
DETTE COMMUNE : VOYONS VOIR
Mario Draghi a toujours plaidé en faveur d’un emprunt commun de l’UE, du type de
celui qui a été contracté pendant la pandémie pour financer la reprise
économique.
Les nouveaux fonds pourraient aider à financer de grands projets
d’infrastructure dans l’ensemble de l’Union. Plus important encore peut-être,
cela permettrait de créer ce que l’on appelle un “actif européen sûr”,
c’est-à-dire une vaste réserve de dette négociable qui pourrait attirer des
investissements du monde entier, contribuer à promouvoir l’utilisation de l’euro
comme monnaie à l’échelle internationale et servir de référence pour les prêts
dans l’ensemble de l’Union européenne.
Mais il y a quelques grands “mais”.
Les emprunts conjoints ont toujours été un tabou politique, bloqués par les pays
dits frugaux, comme l’Allemagne et les Pays-Bas. Jusqu’à présent, ce tabou reste
largement intact, le chancelier allemand Friedrich Merz s’opposant à toute
nouvelle incursion de l’UE sur le marché des dettes souveraines.
Pourtant, certains signes indiquent que l’ancienne interdiction est en train de
changer : le programme de prêt de 150 milliards d’euros pour la défense
européenne a été financé par des emprunts de l’UE. C’est encore loin de l’énorme
marché des obligations d’Etat américaines, qui se mesure en dizaines de milliers
de milliards de dollars, mais c’est déjà ça.
La nouvelle proposition de budget de la Commission contient également de
nouvelles possibilités d’emprunts conjoints. La question qui reste en suspens
est de savoir si l’UE peut émettre de nouveaux emprunts de manière régulière et
prévisible — comme le font les gouvernements nationaux, et c’est ce que les
investisseurs veulent voir — ou si elle continuera à se tourner vers les marchés
obligataires de manière sporadique. Jusqu’à présent, c’est cette dernière option
qui a été retenue.
Draghi-omètre :
AUTOMOBILE : LE MINIMUM
Sur le papier, l’industrie automobile est l’un des rares domaines où la
Commission a tout ce qu’il fallait. Mario Draghi a appelé à un plan d’action
industriel pour le secteur et à l’adoption par l’exécutif d’une ligne “neutre
sur le plan technologique” dans sa révision des émissions des flottes.
Mais le diable est dans les détails, et ceux-ci sont plus difficiles à trouver.
Peu après le Nouvel An, Ursula von der Leyen a annoncé un “dialogue stratégique”
pour le secteur automobile et a publié un “plan d’action pour l’automobile”. Ce
que le plan manque en détail, il le compense par son optimisme. Les propositions
s’alignent en outre sur de nombreuses recommandations de Mario Draghi, telles
que la mise en place d’un réseau de recharge plus robuste, la promesse d’un
cadre réglementaire pour la conduite autonome et l’introduction de la neutralité
technologique dans la législation de 2035 sur les émissions des voitures.
Mais c’est une histoire connue : le problème se situe au niveau de la mise en
œuvre, qui est toujours à la traîne. Hormis la présentation d’une mesure visant
à accorder aux constructeurs automobiles une certaine indulgence sur leurs
objectifs d’émissions de cette année et l’avancement de la révision de la loi
2035, peu de mesures ont été prises depuis la publication du plan en mars.
Pendant ce temps, les constructeurs automobiles chinois continuent d’importer
leurs véhicules, délaissant les modèles électriques au profit des hybrides, plus
populaires, après que la Commission a frappé les véhicules électriques de
nouveaux droits de douane.
Draghi-omètre :
ENERGIE : DÉPENDANCE EXCESSIVE DES ETATS-UNIS, PEU DE MESURES CONCRÈTES
Le diagnostic de Mario Draghi sur les problèmes auxquels est confrontée
l’économie européenne mettait clairement en évidence les coûts élevés de
l’énergie qui nuisent aux industries du continent. Mais sa prescription —
jusqu’à 500 milliards d’euros d’investissements dans les réseaux électriques
rien que pour cette décennie — s’est avérée une pilule amère à avaler pour la
Commission, à court d’argent.
Depuis, Bruxelles a publié un “plan d’action pour une énergie abordable”, qui
présente une série de mesures visant à réduire les factures. Parmi celles-ci
figure un plan visant à investir dans les infrastructures américaines d’énergies
fossiles afin d’obtenir les meilleurs prix, ce qui a suscité l’indignation des
associations environnementales.
Ursula von der Leyen s’est engagée à dépenser 750 milliards de dollars
supplémentaires pour l’énergie américaine dans les années à venir, dans le cadre
d’un accord commercial avec Washington.
Jusqu’à présent, on ne sait pas très bien ce que cela pourrait signifier pour
les prix de l’énergie, ni même si c’est possible. Jusqu’à présent, pour
l’énergie, le rapport Draghi a donné lieu à de grandes promesses, mais à peu
d’actions.
Draghi-omètre :
TÉLÉCOMS : LES GOUVERNEMENTS NE SONT PAS FANS
Le discours de Mario Draghi — moins d’opérateurs de télécoms, dérégulation, etc.
— est arrivé à Bruxelles à point nommé, soutenant le propre projet de réforme de
la Commission.
Pourtant, ce Telecoms Act est confronté à des vents contraires. Bien que
certaines idées puissent être intégrées dans le règlement sur les réseaux
numériques (DNA) prévu pour décembre, et que les règles relatives aux fusions
soient en cours de réexamen, les gouvernements nationaux ont déjà rejeté une
grande partie des prescriptions de Mario Draghi.
Qu’il s’agisse des régulateurs, des gouvernements nationaux ou des petits
opérateurs, rares sont ceux qui sont prêts à avaler le remède de Draghi en
matière de télécommunications. Ce qui survivra dans la proposition de la
Commission reste incertain — mais il est presque certain qu’il n’obtiendra pas
tout.
Draghi-omètre :
CONCURRENCE : DES PROGRÈS COSMÉTIQUES
Teresa Ribera, la commissaire européenne chargée de la Concurrence, a réagi
rapidement aux appels lancés par Mario Draghi pour que la politique de
concurrence soit adaptée aux défis actuels en matière de productivité et de
croissance.
Au cours des premiers mois de son mandat, elle a rapidement lancé (et achevé)
une révision des lignes directrices de l’Union sur les subventions publiques —
l’encadrement des aides d’Etat dans le cadre du Pacte pour une industrie propre
(CISAF) — afin qu’elles soient mieux adaptées à l’augmentation de la
productivité des entreprises et aux efforts de décarbonation.
Elle a également lancé une vaste révision des lignes directrices accompagnant
les règles de l’UE en matière de fusion d’entreprises, qui, selon Mario Draghi,
devraient être adaptées pour tenir compte des arguments relatifs à l’efficacité
et à l’innovation.
Problème, ces nouvelles lignes directrices sur les fusions ne seront prêtes qu’à
la fin de l’année 2027. En outre, il ne s’agit que de lignes directrices et non
d’un nouveau règlement : les experts prévoient donc une influence limitée sur la
manière dont les responsables de la Commission chargés de la concurrence
évaluent les fusions.
Si le nouvel encadrement des aides d’Etat ne modifie pas radicalement la marge
de manœuvre des pays de l’UE lorsqu’il s’agit de subventionner leur industrie,
même les points les plus ambitieux, comme les réductions sur les factures
d’électricité pour les entreprises gourmandes en énergie, sont assortis de
lourdes conditions. Ceux qui espèrent une révision de la politique de
concurrence conservatrice de l’Union européenne risquent d’être déçus.
Draghi-omètre :
COMMERCE : TOUJOURS LA MÊME CHOSE
Sur ce point, tout dépend de la personne à qui l’on s’adresse. Les secteurs
industriels de l’UE qui demandent plus de protections commerciales trouveront
probablement que la Commission n’est pas à la hauteur. Dans le même temps, elle
a tenu bon face aux pressions chinoises visant à enterrer les droits de douane
sur les voitures électriques pour contrer le soutien de l’Etat de Pékin.
Bruxelles a appliqué ces mesures moins de deux mois après la publication du
rapport Draghi et s’est toujours opposé à l’adoption d’un prix plancher avec les
Chinois depuis.
Mario Draghi a suggéré que la Commission ouvre de nombreuses enquêtes de ce
type, notamment de sa propre initiative et pas seulement sur la base d’une
plainte formelle de l’industrie. Cela ne s’est pas encore produit ; l’affaire
des véhicules électriques reste la seule à ce jour.
Le rapport de l’Italien appelait à une politique économique étrangère
européenne. La guerre tarifaire du président américain Donald Trump a rendu
cette question encore plus urgente.
Mais là encore, peu de choses ont été réalisées pour préparer solidement l’UE à
des temps encore plus difficiles. La réponse longue et coûteuse aux tarifs
douaniers de Trump y est pour beaucoup, de même que la stratégie traditionnelle
de prudence de l’UE en matière de politique commerciale, qui s’en tient aux
règles de l’Organisation mondiale du commerce.
Draghi-omètre :
CYBERSÉCURITÉ : DES PROMESSES, ENCORE DES PROMESSES
L’Europe est confrontée à une guerre conventionnelle à sa frontière orientale et
à une guerre hybride partout ailleurs. Cela signifie des cyberattaques sur les
réseaux énergétiques et les télécommunications, l’ingérence dans les élections
et l’instrumentalisation de l’immigration.
La Commission et les dirigeants du Danemark, de l’Estonie, de la Finlande, de
l’Allemagne, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Pologne et de la Suède ont
publié une déclaration commune de soutien lors du sommet des alliés de l’Otan
sur la mer Baltique, le 14 janvier, avant le lancement de l’opération Baltic
Sentry de l’Alliance visant à renforcer la présence militaire dans la mer
Baltique.
Bruxelles a également affecté 540 millions d’euros à l’infrastructure de
connectivité dans le cadre du programme Mécanisme pour l’interconnexion en
Europe 2024-2027, qui comprend le financement de systèmes de câbles intelligents
conçus non seulement pour transporter des données, mais aussi pour servir de
capteurs d’alerte précoce.
Il promet également de renforcer la capacité européenne de déploiement et de
réparation des câbles en constituant une flotte capable d’intervenir rapidement
dans toutes les eaux de l’UE, mais peu de choses se sont produites depuis que la
vice-présidente exécutive Henna Virkkunen a fait cette déclaration en janvier.
Draghi-omètre :
DÉFENSE : JALOUSEMENT GARDÉE PAR LES ETATS MEMBRES
Si vous lisez certaines lignes du rapport sur la compétitivité présenté par
Mario Draghi il y a un an, il est facile de voir que l’UE l’a écouté. Par
exemple, l’Italien a demandé de “créer un poste de commissaire chargé de
l’industrie de la défense, doté d’une structure et d’un financement appropriés”.
C’est ce qui a été fait, mais c’était la partie la plus facile.
Cette proposition figurait déjà dans le manifeste du Parti populaire européen
d’Ursula von der Leyen pour les élections européennes de juin 2024. Dans le même
rapport, Mario Drgahi appelle à “renforcer la Commission dans son rôle de
coordination dans le domaine de la politique industrielle de défense”. Et c’est
la partie la moins facile.
La défense est une responsabilité nationale et les gouvernements n’ont
généralement pas envie que la Commission joue un rôle plus important.
Le mois dernier, Mario Draghi a répété que les barrières internes étaient l’une
des principales raisons du retard de l’Europe et qu’elles rendaient également le
développement de la défense européenne moins efficace. Bien que les pays de l’UE
aient l’intention d’augmenter leurs investissements militaires de 2 000
milliards d’euros d’ici 2031, “nous avons des barrières internes qui imposent
des droits de douane de 64% sur les équipements et de 95% sur les métaux”,
a-t-il pointé.
Les diplomates soulignent que Mario Draghi défend souvent des idées qui ne sont
pas en phase avec les gouvernements nationaux. Le meilleur exemple remonte à
septembre dernier, lorsqu’il a appelé l’Europe à “fédéraliser une partie des
dépenses d’investissement”. Le mot “fédéralisme” est devenu presque tabou, et
les emprunts dédiés à la défense sur les marchés financiers (ou defense bonds)
sont encore loin de voir le jour.
Draghi-omètre :
SANTÉ : LENTEMENT MAIS SÛREMENT
Peu de commissaires ont repris les messages du rapport Draghi avec autant
d’enthousiasme que celui de la Santé, Olivér Várhelyi. Il s’efforce d’achever
d’ici la fin de l’année une proposition de législation sur les biotechnologies,
qui devrait permettre d’accomplir certaines tâches importantes dans le cadre de
son plan de draghification.
Selon Mario Draghi, le sous-investissement et la bureaucratie sont les
principaux responsables de la faible compétitivité de l’Europe par rapport aux
Etats-Unis et à la Chine en matière d’innovation pharmaceutique et d’essais
cliniques. Le lobby pharmaceutique européen a salué la proposition de budget de
juillet pour l’inclusion d’un programme-cadre de recherche avec un budget accru
de 175 milliards d’euros, mais il affirme que le financement de la recherche en
santé en Europe demeure insuffisant.
Mario Draghi a fait remarquer que le dernier budget d’Horizon Europe allouait
8,2 milliards d’euros à la santé, ce qui est dérisoire par rapport aux 47
milliards d’euros dépensés par les Etats-Unis en 2023. La dernière proposition
de budget de l’UE alloue 22,6 milliards d’euros à la santé, aux biotechnologies
et à la bioéconomie. Un investissement important, mais il y a encore un long
chemin à parcourir.
Sur le plan réglementaire, les recommandations les plus urgentes de l’Italien à
court terme étaient que la Commission maximise l’impact de l’espace européen des
données de santé (EHDS) et mette pleinement en œuvre le règlement relatif à
l’évaluation des technologies de la santé. L’EHDS existe, mais les évaluateurs
nationaux ont eu du mal à obtenir les ressources dont ils ont besoin.
L’une des idées de Mario Draghi, qui consiste en ce que l’UE soutienne des
“centres d’innovation de classe mondiale” sur le modèle des centres
californiens, a déjà été intégrée dans la stratégie sur les sciences de la vie
publiée en juillet. Toutefois, les espoirs de l’industrie de voir un texte
changer la donne reposent toujours sur la législation sur les biotechnologies.
Draghi-omètre :
DURABILITÉ : TOUT EST FAIT, LES ENTREPRISES DISENT MERCI
Le premier grand texte législatif de cette Commission est tout droit sorti du
manuel de Draghi : un projet de loi gigantesque qui réduit toute une série de
lois environnementales pour les entreprises.
Dans le cadre de la proposition de loi de simplification omnibus — qui suit
actuellement le processus législatif —, beaucoup moins d’entreprises seront
soumises à des règles en matière de reporting environnemental, et celles qui le
seront encore verront leurs obligations considérablement réduites.
La portée d’une taxe carbone aux frontières a également été réduite. Les
entreprises sont ravies. Les associations environnementales sont consternées.
Parmi les législateurs, c’est au Parlement européen que la résistance est la
plus forte, mais les groupes de droite ont les moyens de vaincre les opposants
de gauche au projet de loi.
A la suite de la publication du texte en février, la Commission a proposé une
longue liste de réformes qui édulcorent les réglementations environnementales
introduites dans le cadre du Pacte vert européen : des obligations imposées aux
agriculteurs aux réglementations sur les produits chimiques en passant par les
règles contre le greenwashing ; tout cela au nom de la réduction des
“réglementations restrictives” détestées par Mario Draghi.
Draghi-omètre :
AGRICULTURE : LA GRANDE ABSENTE
Le rapport Draghi ne contient aucune proposition concernant l’avenir de
l’agriculture, alors que la politique agricole commune (PAC) représente un tiers
du budget de l’UE. Une recherche Ctrl + F dans le document de 400 pages ne donne
qu’une poignée d’occurrences du mot “agriculture”, principalement en rapport
avec les technologies de l’information, l’intelligence artificielle et
l’observation par satellite.
Ce qui ressort clairement du rapport Draghi, c’est qu’il considère les dépenses
agricoles de l’UE comme une source potentielle d’argent à réallouer vers ses
priorités stratégiques — principalement le renforcement de la compétitivité
industrielle et de la sécurité européenne. La proposition de budget à long terme
et le projet de réforme de la PAC dévoilés en juillet prévoient une réduction de
20% du budget des subventions agricoles, qui passerait ainsi à 300 milliards
d’euros, et ce, sans tenir compte de l’inflation.
La Commission a fait valoir qu’en réalité, le montant allant dans les poches des
agriculteurs restait le même, le financement du développement rural étant
simplement transféré vers des enveloppes gérées par les gouvernements nationaux.
C’est peut-être le cas, mais le rapport Draghi n’en fait pas mention.
Draghi-omètre :
Francesca Micheletti, Carlo Martuscelli, Kathryn Carlson, James Fernyhough,
Mathieu Pollet, Gabriel Gavin, Koen Verhelst, Douglas Busvine, Jacopo Barigazzi,
Jordyn Dahl, Antoaneta Roussi, Rory O’Neill et Gregorio Sorgi ont contribué à
cet article. Ce dernier a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été
édité en français par Jean-Christophe Catalon.
La réorganisation budgétaire concontée par Bruxelles inquiète les défenseurs de
l’environnement.
Mercredi dernier, la Commission européenne a proposé de regrouper un certain
nombre de programmes de financement existants en un seul “Fonds pour la
compétitivité”. Il s’agit d’une des composantes de sa proposition de budget
septennal de l’UE, d’un montant de 1 816 milliards d’euros, qui a suscité la
colère d’Etats membres et de groupes de la société civile.
Dans le cadre du nouveau plan, les objectifs en matière de biodiversité ne
bénéficient d’aucun financement spécifique et seront en concurrence avec les
autres objectifs environnementaux de l’UE, notamment le changement climatique,
la sécurité de l’approvisionnement en eau, l’économie circulaire et la
pollution.
Certains avertissent qu’à moins d’être clairement alloués, les fonds iront
inévitablement aux projets industriels qui s’inscrivent dans la politique de
compétitivité de la Commission, laissant sans financement des programmes
environnementaux non rentables, mais tout aussi urgents.
“[Il existe un] réel danger que la biodiversité soit mise de côté au profit de
priorités industrielles qui peuvent être présentées comme des investissements
verts”, a alerté Ester Asin, directrice du bureau des politiques européennes du
WWF.
L’UE accuse déjà un déficit annuel de financement de protection de la
biodiversité estimé à 37 milliards d’euros, selon la Commission européenne.
Dans la nouvelle structure budgétaire proposée, le programme de financement
environnemental de l’Europe, connu sous le nom de Life (l’instrument financier
pour l’environnement) et doté de 5,45 milliards d’euros, fusionnerait avec
d’autres fonds consacrés au numérique et à la défense pour former une cagnotte
de 409 milliards d’euros destinée à la compétitivité. Les sommes précédemment
allouées spécifiquement à la biodiversité ont également été fusionnées avec une
cible fourre-tout “environnement et climat”.
Le montant global consacré au financement des priorités vertes augmentera, selon
la Commission, car 35% du budget total, soit environ 700 milliards d’euros,
seront consacrés à la réalisation des objectifs du Pacte vert de l’UE.
Environ 43% du Fonds pour la compétitivité sera consacré aux objectifs
climatiques et environnementaux, a indiqué la Commission mercredi, afin de
contribuer à cet objectif global.
“Je pense que ce budget aborde la question de manière globale”, a estimé Jessika
Roswall, commissaire européenne à l’Environnement, auprès de POLITICO. “Nous
avons beaucoup de législations [environnementales] qui sont très bonnes, mais
maintenant nous devons aussi donner des résultats, et c’est exactement ce à quoi
ce budget répond.”
“Je pense que ce budget aborde la question de manière globale”, a estimé Jessika
Roswall, commissaire européenne à l’Environnement, auprès de POLITICO. |
Guillaume Horcajuelo/EPA
Mais l’idée ne fait pas l’unanimité.
“C’est un coup dévastateur pour la nature en Europe et ses citoyens”, a déclaré
Anouk Puymartin, de Birdlife Europe, dans un communiqué, avertissant que la
biodiversité “perd sa place dans le budget de l’UE sans financement spécifique
ni priorité claire”.
COMMENT LES OBJECTIFS DE DURABILITÉ SONT INTÉGRÉS
Avec la nouvelle structure budgétaire, la Commission souhaite que la protection
de l’environnement soit considérée comme une question horizontale plutôt que
comme une priorité financière indépendante.
La structure “veillera à ce que les priorités horizontales soient appliquées de
manière cohérente dans l’ensemble du budget de l’UE, notamment en ce qui
concerne le climat et la biodiversité, le principe ‘ne pas causer de préjudice
significatif’, les politiques sociales et l’égalité femmes-hommes”, est-il écrit
dans le document budgétaire.
Le principe “ne pas causer de dommages significatifs” stipule que les politiques
et les fonds de l’UE ne doivent pas avoir d’impact négatif sur ses six objectifs
environnementaux, qui incluent la protection et la restauration de la nature.
“Ce qui importe maintenant, c’est la manière dont la durabilité est intégrée
dans la gouvernance et la structure du budget de l’UE”, a souligné Cornelius
Müller, policy officer pour la Sustainable Banking Coalition, un lobby de la
finance verte. “L’UE doit intégrer ces principes dans tous les instruments
financiers.”
Mais certains estiment qu’il est essentiel de conserver une partie du
financement axée sur la nature.
Ester Asin, du WWF, appelle à des “méthodologies de suivi robustes et
transparentes”, sans lesquelles l’objectif de 35% risque de “devenir un simple
exercice de relations publiques”.
Dans la structure budgétaire actuelle, en plus de la cible de 30% des dépenses
liées au climat, 7,5% des dépenses annuelles devaient être allouées aux
objectifs de biodiversité en 2024, pour atteindre 10% en 2026 et 2027. La
nouvelle proposition ne prévoit aucun objectif en matière de biodiversité.
Il n’y a pas non plus de fonds spécifiquement alloués à la résilience de l’eau,
l’une des principales préoccupations de Bruxelles selon ses priorités pour la
période 2024-2029. Certains Etats membres parmi les plus touchés par le stress
hydrique, comme l’Espagne et le Portugal, ont demandé que davantage de moyens
soient consacrés à la résilience de l’eau et à la gestion des risques.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en
français par Jean-Christophe Catalon.
BRUXELLES — Le pape venait de mourir. Et Teresa Ribera était en deuil — pas
seulement de l’homme.
Le pape François a incarné une époque où le rêve de Teresa Ribera d’un monde
plus vert, façonné par des institutions internationales puissantes et des avis
scientifiques, semblait enfin se concrétiser.
Dix ans se sont écoulés depuis les moments les plus forts pour Teresa Ribera :
2015, l’année qui a vu l’élaboration de l’Accord de Paris sur le changement
climatique et la proclamation du pape qui a plaidé moralement en faveur de
l’action environnementale.
A la mort de François, en avril, l’Espagnole s’efforçait d’empêcher que tout
cela soit démantelé.
Depuis son arrivée à Bruxelles en décembre en tant que vice-présidente exécutive
de la Commission européenne chargée à la fois de la politique verte et de la
concurrence, elle a mené une bataille — en grande partie secrète — contre des
opposants qui craignent que les efforts de l’UE pour lutter contre le changement
climatique soient inabordables ou qu’ils offrent une victoire facile aux
populistes.
Son influence s’est manifestée cette semaine lorsque la Commission européenne a
affronté à la fois le président français, le mécontentement de la plus grande
force politique de l’UE et la certitude d’un blacklash de l’extrême droite en
présentant un nouvel objectif climatique pour l’Europe.
Teresa Ribera a présenté l’objectif proposé, à savoir une étape de réduction des
émissions pour 2040, comme une réponse à l’opposition croissante à une action
ambitieuse en faveur du climat.
“Pour tous ceux qui contestent la science, cachent les problèmes, demandent un
report, pensent que le monde va rester tel qu’il est et que le marché va tout
résoudre […] la réponse de l’Europe est très claire”, a-t-elle tancé lors d’une
conférence de presse mercredi.
Mais la pression politique a incité la Commission à assouplir l’objectif en
faisant des concessions aux gouvernements, notamment une proposition
controversée visant à sous-traiter une partie des efforts de l’Union européenne
aux pays les plus pauvres.
C’était, comme les sept premiers mois du mandat de Teresa Ribera, un compromis
né de l’évolution de la réalité politique, à laquelle elle s’est efforcée de
résister tout en s’y adaptant.
Le récit de cette période est basé sur des entretiens avec 11 responsables au
sein de la Commission et de gouvernements nationaux, des collaborateurs de
Teresa Ribera et des observateurs attentifs de l’UE. Nombre d’entre eux
hésitaient à parler aux journalistes de l’Espagnole, qui attache une grande
importance à la vie privée et à la loyauté, c’est pourquoi l’anonymat leur a été
accordé. POLITICO a également interviewé Teresa Ribera trois fois au cours de
cette période.
Ses alliés et ses détracteurs l’ont décrite comme isolée, manquant d’alliés
politiques en raison des défaites subies par ses collègues sociaux-démocrates,
et faisant face à des attaques venant de l’extérieur et de l’intérieur de la
Commission. Malgré cela, elle a remporté une série de victoires discrètes.
Le pape François a incarné une époque où le rêve de Teresa Ribera d’un monde
plus vert, façonné par des institutions internationales puissantes et des avis
scientifiques, semblait enfin se concrétiser. | Fabio Frustaci/EPA
Les partis populistes et illibéraux ayant intégré la lutte contre le changement
climatique dans leur liste de critiques, les enjeux, tels que les perçoit Teresa
Ribera, dépassent les objectifs écologiques de l’UE. Presque religieux.
Certainement moraux.
“Aujourd’hui, comme jamais auparavant, le programme vert […] est remis en
question”, a-t-elle écrit dans une lettre chargée d’émotion adressée à El País,
deux jours après la mort du pape François. Cette “contre-réforme”, a-t-elle
ajouté, doit être affrontée de peur que le monde “ne retourne à des temps
sombres”.
VOUS ÊTES EMBAUCHÉE
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, savait
exactement à quoi elle s’attendait lorsqu’elle a demandé à Teresa Ribera de
protéger les ambitions vertes menacées de l’UE.
Le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez a fait passer le message dans une
lettre adressée à Ursula von der Leyen en août 2024, nommant la deux fois
ministre, ancienne négociatrice des Nations unies sur le climat et experte
politique à la Commission.
Pedro Sánchez a vanté son “expérience politique” et ses “connaissances
approfondies” en matière de changement climatique, d’énergie et de protection de
l’environnement, qui, selon lui, ont valu à Teresa Ribera “un grand prestige à
l’échelle internationale et nationale”. La lettre a été communiquée à POLITICO
en vertu des lois sur la liberté d’information.
Teresa Ribera pourrait “générer des consensus et des accords dans le cadre de
négociations internationales complexes”, s’enthousiasmait le Premier ministre
espagnol.
C’était utile pour Ursula von der Leyen. Le Pacte vert européen — un ensemble
d’objectifs et de réglementations couvrant presque tous les secteurs de
l’économie européenne — est un élément clé de l’héritage législatif de la
présidente. Présenté en 2019, il vise non seulement à mettre fin à la
contribution de l’Europe au changement climatique d’ici le milieu du siècle,
mais aussi à rééquilibrer l’impact de l’industrie et de l’agriculture sur la
nature.
Tant von der Leyen que Ribera savaient que des problèmes se profilaient à
l’horizon.
Les élections européennes de 2024 ont augmenté le nombre de parlementaires
d’extrême droite — les agents mêmes de la contre-réforme que Teresa Ribera
pensait affronter —, garantissant que les attaques contre le programme vert
allaient s’intensifier. De plus, le Parti populaire européen (PPE), formation de
centre droit d’Ursula von der Leyen, la plus grande force du Parlement européen,
a commencé à s’opposer à des parties importantes du Pacte vert, invoquant les
coûts pour l’industrie et la nécessité de contrer les discours des extrêmes.
Selon deux personnes ayant une connaissance directe des discussions et deux
personnes informées des discussions, Ursula von der Leyen a dit à Teresa Ribera
qu’elle la choisissait comme première vice-présidente exécutive — c’est-à-dire
comme numéro 2 de la Commission — précisément en raison de ses compétences
écologiques.
Teresa Ribera a compris que son travail se résumait à une mission primordiale :
défendre le Pacte vert.
OBJECTIF 90%
Le soutien d’Ursula von der Leyen à Teresa Ribera s’est manifesté lors des
dernières négociations agitées sur le nouvel objectif climatique de l’UE pour
2040.
Jusqu’à mardi, la forme finale de la proposition de loi — et même sa publication
— restait incertaine.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, savait
exactement à quoi elle s’attendait lorsqu’elle a demandé à Teresa Ribera de
protéger les ambitions vertes menacées de l’UE. | Jose Manuel Vidal/EPA
Sa présentation a déjà été retardée pendant des mois, car le commissaire
européen chargé du Climat, Wopke Hoekstra, dont le travail est supervisé par
Teresa Ribera, a bataillé pour trouver le juste niveau de concessions
politiquement viables.
Après des mois de discussions avec les gouvernements et les parlementaires,
Wopke Hoekstra a suggéré que l’UE s’en tienne à la réduction de 90% des
émissions promise par Ursula von der Leyen l’année dernière, mais qu’elle
sous-traite une partie de ses efforts climatiques aux pays les plus pauvres en
achetant des crédits carbone. Ce compromis a déplu à Teresa Ribera, mais elle a
fini par l’accepter.
Malgré cette concession, une vague d’opposition s’est levée lundi lorsque la
proposition a été présentée aux autres commissaires et à leurs équipes. Teresa
Ribera et Wopke Hoesktra ont même dû faire face à des appels pour retarder
l’annonce, après que le président français Emmanuel Macron a suggéré une pause
lors d’un dîner avec les dirigeants de l’UE la semaine précédente.
Ce dîner a été “un moment important”, retrace un responsable européen au fait
des discussions internes. “Il a montré à tout le monde que les grands pays
n’étaient pas […] du côté de la Commission.”
Au cours du repas, Ursula von der Leyen s’est opposée à Emmanuel Macron,
défendant l’objectif et insistant sur le fait qu’il devait être proposé cette
semaine, affirment trois personnes au fait des discussions.
Elle a présenté les mêmes arguments cette semaine aux commissaires hésitants,
qui sont finalement rentrés dans le rang mardi. Wopke Hoekstra et Teresa Ribera
ont obtenu leur compromis.
DANS LES TRANCHÉES
Teresa Ribera a mené de nombreuses batailles de ce type au cours des sept
derniers mois.
Elle a essayé d’agir comme une gardienne du droit, en appréhendant les documents
de la Commission et en s’assurant qu’ils s’alignent sur les précédents
engagements verts de l’UE.
L’Espagnole n’a pas toujours eu le soutien total de l’Allemande, qui a été prête
à sacrifier un nombre croissant de réglementations écologiques pour répondre aux
préoccupations du PPE tout en essayant de préserver les objectifs climatiques
fondamentaux.
Malgré cela, Teresa Ribera a remporté des victoires importantes.
En janvier, une première version de la grande doctrine économique du second
mandat d’Ursula von der Leyen — ladite “boussole pour la compétitivité” — ne
contenait que quelques références vertes nébuleuses tout en mettant l’accent sur
la déréglementation. Teresa Ribera est intervenue pour s’assurer que la version
finale fasse spécifiquement référence aux initiatives menacées en matière de
politique verte.
Pedro Sánchez, le leader socialiste le plus puissant, est un allié politique de
Teresa Ribera. | Oliver Matthys/EPA
Un mois plus tard, la Commission a lancé un projet de loi “omnibus” visant à
réduire les charges administratives pesant sur les entreprises. Ce projet de loi
a édulcoré les règles relatives à la finance verte et les règles de reporting
des entreprises. Mais il serait allé encore plus loin, laissant des règles clés
entièrement non contraignantes et donc sans effet, si Teresa Ribera n’était pas
intervenue en coulisses, a rapporté POLITICO en février.
La vice-présidente exécutive de la Commission s’est également battue en
coulisses pour tenter de sauver une loi anti-greenwashing qui était en train
d’être enterrée.
En même temps, elle s’est rebellée contre la position publique de l’UE sur des
questions telles que Gaza, les droits des personnes LGBTQ+ et l’immigration.
En mai, après que des rumeurs eurent circulé selon lesquelles Ursula von der
Leyen demandait aux commissaires de ne pas assister à la Pride de Budapest,
interdite, Teresa Ribera s’est ostensiblement présentée à une conférence de
presse sur les progrès en matière de climat, muni d’un carnet de notes aux
couleurs de l’arc-en-ciel.
Sur le réseau social Bluesky, elle a exprimé sa solidarité avec la communauté
LGBTQ+ hongroise des mois avant qu’Ursula von der Leyen ne le fasse. Elle publie
fréquemment des messages soulignant la misère à Gaza, critiquant parfois
carrément Israël, ainsi que la répression de Trump à l’encontre de la recherche
scientifique et des universités. Elle a relayé une tribune de l’ancien chef des
affaires étrangères de l’UE, Josep Borrell, condamnant l’inaction de l’Union sur
Gaza, et a exprimé son soutien aux sauveteurs de migrants en Méditerranée.
Lorsque les Etats-Unis ont bombardé l’Iran en juin, elle a semblé déplorer la
mise à l’écart de l’ordre multilatéral, en écrivant : “Des décennies pour
construire un ordre international fondé sur la charte des Nations unies, les
droits de l’homme et l’Etat de droit.”
LA DAME DE FER
La position de Teresa Ribera implique la solitude.
Elle est sans ambiguïté dans sa doctrine politique socialiste, ce qui est
remarquable dans un paysage politique en mutation.
Lors d’une interview dans ses bureaux, juste après son installation au
Berlaymont, POLITICO a remarqué une photographie des années 1970 accrochée
derrière le canapé moderniste dans laquelle la nouvelle commissaire s’est
assise. Sur cette photo, Margaret Thatcher, alors chef de l’opposition
britannique et bête noire de la gauche britannique, participait à une réunion
sur le même canapé. Teresa Ribera a plaisanté en disant qu’elle pourrait
l’échanger contre une photo de l’actuel Premier ministre travailliste Keir
Starmer. Peu de temps après, la photo avait disparu.
Le centre gauche est en recul en Europe. Le leader socialiste le plus puissant,
Pedro Sánchez, est un allié politique de Teresa Ribera. Mais le Premier ministre
espagnol a été affaibli par une série de mauvais résultats électoraux, une
coalition fracturée et, plus récemment, un important scandale de corruption.
Encouragés, les opposants espagnols de droite et d’extrême droite de Teresa
Ribera ont monté une campagne féroce contre elle dans la presse.
Les défaites électorales ont également réduit le nombre d’élus avec lesquels
Teresa Ribera a défendu le Pacte vert lorsqu’elle était ministre. Ses alliés en
Allemagne, en Autriche, en Belgique et aux Pays-Bas ont disparu.
Au niveau international, l’ordre mondial qu’elle a contribué à façonner est
également soumis à de profondes pressions, tant de la part de la Maison-Blanche
que des populistes à travers l’UE. Elle s’est efforcée d’avancer à pas feutrés,
en s’abstenant de manifester ouvertement son mépris pour le président américain
Donald Trump et ceux qui le soutiennent. Mais elle n’a pas non plus utilisé le
réseau social X d’Elon Musk depuis décembre.
Wopke Hoekstra, un membre du PPE qui a récupéré le dossier du climat à la fin de
2023, a été chargé de rédiger l’objectif de 2040. | Oliver Matthys/EPA
“Elle semblait plus fatiguée et frustrée que la dernière fois que je l’ai vue”,
confie un ancien représentant d’un pays de l’UE qui a récemment rencontré Teresa
Ribera.
L’Espagnole s’appuie sur deux de ses expériences pour prendre du recul dans
l’adversité. Celle, longue, des négociations des Nations unies sur le climat,
qui ont connu de nombreux revers depuis leur lancement dans les années 1990. Et
l’amour profond de sa famille pour l’équipe de football de l’Atlético de Madrid
— l’éternelle outsider de la capitale espagnole, souvent dépassée par son riche
voisin, le Real Madrid.
EN QUÊTE D’AMIS
Là où Teresa Ribera, en tant que politique, semble le plus tenter de retenir la
vague du backlash, c’est à la Commission.
Elle a peu d’alliés au sein du collège des commissaires européens. Il n’y a que
quatre socialistes parmi les 27 membres dans l’équipe d’Ursula von der Leyen —
cinq si l’on compte Maroš Šefčovič, dont le parti slovaque a été suspendu du
groupe.
Le PPE domine le collège. Et les propositions de la Commission ont nettement
évolué pour intégrer les priorités de la droite.
Si l’on exagère souvent l’ampleur du recul de l’UE sur les questions écologiques
— il existe toujours un large consensus sur la nécessité de lutter contre le
changement climatique —, l’air du temps à Bruxelles, alimenté par un intense
lobbying des entreprises, est à l’assouplissement de la réglementation
écologique.
Défense, désindustrialisation, dérégulation… Donald. Tels sont les “D” qui
feront battre le cœur des capitales européennes en 2025. La décarbonation a
perdu de sa superbe.
La Commission affirme que ses récentes réformes n’ont pas compromis la mission
principale du Pacte vert, en particulier en ce qui concerne le climat. Elle
qualifie les changements de “simplification”, en rationalisant les exigences
trop lourdes.
Il s’agit au moins en partie d’un euphémisme, tance François Gemenne, le
politiste belge qui enseigne à HEC Paris.
“Quoi qu’ils puissent dire et proclamer, il y a un certain recul au niveau de
l’UE en ce qui concerne le Pacte vert”, affirme-t-il.
Teresa Ribera a tenté de résister à ce déclin.
“Elle essaie constamment de réduire l’intensité du changement de doctrine au
sein de la Commission”, relate un responsable au sein de l’exécutif européen à
propos de l’Espagnole. Ce n’est pas un rôle populaire “si soudainement votre
priorité en tant que Commission est de faciliter la vie des entreprises [et]
qu’elle croit davantage en une réglementation stricte”.
Les équipes de Ribera et de Hoekstra insistent toutes deux sur le fait qu’elles
entretiennent des relations amicales et constructives. | Oliver Hoslet/EPA
Teresa Ribera “a travaillé en étroite collaboration avec la présidente”, a
assuré Anna-Kaisa Itkonen, porte-parole de la Commission, dans un communiqué
envoyé par e-mail. “Aucun membre du Collège ne travaille de manière isolée, que
ce soit sur le plan politique ou autre.”
En tant que vice-présidente exécutive, Teresa Ribera s’est vu confier de vastes
responsabilités par Ursula von der Leyen, mais un pouvoir diffus. Elle supervise
le travail des autres commissaires quand cela a un lien avec le Pacte vert.
Il y a deux écoles de pensée sur l’intention d’Ursula von der Leyen. D’une part,
la structure dilue le pouvoir de Teresa Ribera, évitant ainsi le genre de fief
politique créé par son prédécesseur à la vice-présidence exécutive, le
socialiste néerlandais Frans Timmermans. D’autre part, cela signifie que les
décisions prises dans le cadre du Pacte vert sont validées par tous les partis,
ce qui pourrait atténuer les attaques du PPE.
Le partage des responsabilités a inévitablement engendré des tensions.
Wopke Hoekstra, membre du PPE qui a pris en charge le dossier du climat à la fin
de 2023, a été chargé de rédiger l’objectif de 2040.
Les équipes de Ribera et de Hoekstra insistent toutes deux sur le fait qu’elles
entretiennent des relations amicales et constructives. L’Espagnole et le
Néerlandais étaient “globalement alignés” sur l’objectif, d’après le responsable
européen précité.
Mais à deux reprises au moins, Teresa Ribera a publiquement devancé le travail
de Wopke Hoekstra, annonçant à POLITICO que l’objectif final serait de 90% et
ajoutant qu’il devrait tenir compte de l’avis d’un conseil scientifique qui
venait d’exclure l’utilisation de crédits carbone internationaux pour atteindre
l’objectif.
Par ailleurs, les collaborateurs de la direction générale de l’action pour le
climat à la Commission, qui travaillent pour Hoekstra, n’ont pas toujours
partagé les documents clés de l’équipe de Teresa Ribera. Alors que le premier
est subordonné à la seconde dans l’organigramme de von der Leyen.
“La façon dont je vois les choses, Wopke Hoekstra domine sur ces questions”,
explique un représentant du PPE. “Ribera est un peu marginalisée au sein de la
Commission. Wopke a les commissaires du PPE qui ont tendance à être de son côté,
et Ribera, en tant que social-démocrate, est assez seule.”
Là où Teresa Ribera, en tant que politique, semble le plus tenter de retenir la
vague du backlash, c’est à la Commission. | Oliver Hoslet/EPA
Pourtant, le duo était là mercredi, présentant ensemble son compromis 2040 —
Hoekstra avec une cravate de travers, Ribera avec une contenance inhabituelle.
Oui, a-t-elle reconnu, l’époque de la montée des préoccupations publiques,
politiques (et papales) qui a donné naissance au Pacte vert et à l’Accord de
Paris n’est “pas le monde d’aujourd’hui”. Mais l’UE ne bat pas en retraite, a
insisté Teresa Ribera : “Nous sommes là.”
Le ton est le même que celui qu’elle a adopté lors de son éloge funèbre du pape
François en avril dernier : nostalgie du passé récent, défense de l’avenir
lointain, mais empêtrée dans les problèmes politiques du présent.
Karl Mathiesen a enquêté à Bruxelles et à Londres. Zia Weise à Bruxelles.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en
français par Jean-Christophe Catalon.