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Comment la Commission européenne compte s’attaquer à la crise du logement
De Lisbonne à Tallinn, les Européens sont accablés par la flambée des prix de l’immobilier. Cette semaine, Bruxelles a l’intention de faire quelque chose pour y remédier. “C’est une vraie crise”, a souligné le commissaire européen au Logement, Dan Jørgensen, lors d’un entretien à POLITICO, avant l’approbation du tout premier plan pour le logement abordable de l’UE. “Et il ne suffit pas d’en parler.” Ainsi, les mesures prévues visent à libérer des fonds publics pour la construction de nouveaux logements, analyser la spéculation sur le marché de l’immobilier, et donner aux autorités régionales et locales des outils pour freiner les locations de courte durée qui contribuent à la pénurie de logements. “Le plan sera un mélange d’actions concrètes au niveau de l’UE et de recommandations que les Etats membres pourront appliquer”, a détaillé Dan Jørgensen. Ce dernier a aussi précisé que la Commission européenne souhaite donner aux gouvernements nationaux, régionaux et locaux les moyens d’apporter de réels changements sur le terrain, sans pour autant outrepasser son rôle dans un domaine où elle n’a pas de compétence officielle. “C’est un réel problème qui touche des millions de personnes, et l’inaction fait le jeu des populistes de droite”, a fait remarquer Dan Jørgensen, mentionnant les partis ultranationalistes qui ont attisé le mécontentement face à la flambée des prix de l’immobilier pour remporter d’importantes victoires électorales dans des pays comme les Pays-Bas et le Portugal. “Normalement, l’UE n’a pas joué un grand rôle dans ce domaine”, a-t-il poursuivi. “Il faut que cela change.” DE L’ARGENT, DES OUTILS ET DE LA TRANSPARENCE La mesure la plus concrète qui sera annoncée cette semaine est la révision des règles relatives aux aides d’Etat, afin de permettre aux gouvernements nationaux de construire plus facilement des logements abordables. Les Etats membres se plaignent depuis longtemps de ne pouvoir utiliser les fonds publics que pour fournir des logements aux familles à faibles revenus. Compte tenu du fait que même les personnes appartenant à la classe moyenne ont aujourd’hui du mal à se loger, la nouvelle réglementation permettra de débloquer de l’argent public pour tous les groupes exclus du marché de l’immobilier. Le plan donnera également aux autorités nationales, régionales et locales les moyens de cibler les appartements touristiques qui exacerbent la pénurie de logements dans des villes comme Barcelone, Florence et Prague. “Je ne suis pas du côté de ceux qui demandent l’interdiction des locations de courte durée”, a prévenu Dan Jørgensen, ajoutant que ces plateformes ont permis aux voyageurs de vivre l’Europe différemment et ont fourni à certaines familles une source de revenus nécessaire. Mais le modèle s’est développé à un rythme “que personne n’aurait pu imaginer, les locations de courte durée représentant 20% des logements dans certaines zones très tendues”, a-t-il pointé. Cela s’est transformé en une “machine à fric au lieu de ce que c’était censé être”. Le commissaire a insisté sur le fait que ce sont les dirigeants nationaux, régionaux et locaux qui choisiront en dernier ressort d’utiliser ou non les outils de contrôle des locations de courte durée. “Nous n’allons pas forcer les gens à faire quoi que ce soit”, a-t-il assuré. “Si vous estimez que le statu quo convient, vous pouvez laisser les choses comme elles sont.” Par ailleurs, une section plus abstraite du plan visera également à lutter contre la spéculation sur le marché de l’immobilier. “C’est une vraie crise”, a souligné le commissaire européen au Logement, Dan Jørgensen, lors d’un entretien à POLITICO. | Lilli Förter/Getty Images Tout en insistant sur le fait qu’il n’est “pas contre ceux qui gagnent de l’argent”, Dan Jørgensen a souligné que le parc immobilier européen était traité comme “l’or, le bitcoin et d’autres investissements réalisés dans le seul but de gagner de l’argent”, en ignorant le rôle vital du logement pour la société dans son ensemble. “Avoir un toit au-dessus de la tête, une maison décente […] est un droit de l’homme.” Dans un premier temps, le plan de cette semaine proposera que l’UE produise une analyse de la spéculation afin de déterminer l’ampleur du problème. Toutefois, Dan Jørgensen a reconnu qu’il pourrait s’avérer difficile d’utiliser les données obtenues pour prendre des mesures concrètes afin de lutter contre la financiarisation du marché. “Bien que personne ne prétende que ce problème n’existe pas, il y a un débat politique sur la question de savoir s’il s’agit d’une bonne ou d’une mauvaise chose.” Mais la régulation est essentielle au bon fonctionnement du marché intérieur, a-t-il ajouté. DES RECOMMANDATIONS Le plan pour le logement de la Commission comprendra également une nouvelle stratégie concernant la construction. Elle visera notamment à réduire les formalités administratives et à créer des normes communes, de sorte que les matériaux de construction fabriqués à des prix compétitifs dans un Etat membre puissent être facilement utilisés pour des projets de logement dans un autre. En outre, un appel d’offres sera lancé pour répondre aux besoins de plus d’un million de sans-abri européens, dont beaucoup ne sont pas citoyens des pays dans lesquels ils dorment dans la rue. “Nous voulons examiner leurs droits et la manière dont ils sont respectés”, a exposé Dan Jørgensen. “Nous parlons d’êtres humains qui ont des besoins, de personnes qui méritent notre aide et notre compassion.” Le commissaire a expliqué que la complexité de la crise du logement nécessite une approche “holistique”, l’amenant à travailler en tandem avec les vice-présidents exécutifs de la Commission, Teresa Ribera (Concurrence) et Roxana Mînzatu (Droits sociaux), ainsi que Stéphane Séjourné (Marché intérieur) et Henna Virkkunen (Technologies numériques), entre autres. Il a également souligné que le paquet de mesures ne constituait pas une prise de pouvoir de la part de la Commission et que les autorités nationales, régionales et locales étaient toujours les mieux placées pour traiter de nombreux aspects de la crise. “Mais”, a-t-il ajouté, “il y a des domaines dans lesquels nous n’avons rien fait et dans lesquels nous pouvons faire quelque chose”. Bien qu’une grande partie du plan consiste en des recommandations que les Etats membres ne seront pas contraints de mettre en œuvre, Dan Jørgensen a mis en garde contre le fait de les ignorer. La Commission propose des solutions, a-t-il développé, et “les décideurs politiques devront rendre des comptes à leurs populations s’ils ne font pas des choses qu’il est évident qu’ils pourraient faire”. “Les citoyens normaux profiteront de toutes les occasions pour faire connaître leurs exigences, que ce soit lors des élections locales, nationales ou européennes”, a poursuivi Dan Jørgensen. “Je le dis respectueusement aux décideurs de toute l’Europe : soit ils prennent ce problème au sérieux, soit ils acceptent de céder le pouvoir aux populistes.” Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais, puis a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.
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Union des droites : ce que Sarkozy a (vraiment) en tête
Lorsque Nicolas Sarkozy, le 1er juillet dernier, a surpris son monde en recevant le président du Rassemblement national, Jordan Bardella, dans ses bureaux de la rue de Miromesnil, à Paris, certains observateurs y ont vu l’expression de sa rancoeur envers Emmanuel Macron. L’ex de l’Elysée avait trouvé là, pensait-on, une façon de faire suer ce président en faveur duquel il a toujours plaidé, jusque-là, auprès de sa famille politique mais qu’il ne pouvait plus voir en peinture.  Il faut dire qu’à l’époque, Sarkozy s’était déjà bien éloigné de l’actuel occupant du Palais. Depuis la dissolution, notamment — une décision qu’il a condamnée. Sa colère contre son lointain successeur était devenue franchement personnelle, en 2025, lorsqu’Emmanuel Macron a permis — disgrâce ultime — qu’on lui retire sa Légion d’honneur (les détails de l’affaire, qui nous ont été confirmés, avaient été rapportés en détail par Le Point).  Mais si “Sarko” recevait le jeune président du RN, dont il a longtemps, en privé, moqué le manque d’expérience, à coups de “Ce pauvre Bardella, qui n’a jamais été président d’un club de ping-pong”, c’était aussi qu’il avait fini par céder aux flatteries incessantes du même pas trentenaire, reconnaissent volontiers certains proches de l’ancien président.  Bardella n’avait-il pas, entre autres hommages peu discrets, laissé un livre de l’ancien président en évidence sur son bureau, lors de ses voeux de janvier 2023 ? Mieux, l’aspirant candidat à la présidentielle écrivait dans son premier livre, Ce que je cherche, paru en novembre 2024 : “L’idée de réunir dans un même élan les Français issus des classes populaires et une partie de la bourgeoisie conservatrice, comme Nicolas Sarkozy le fit en 2007, est pertinente”. “Il (Sarkozy) est sensible au fait qu’on soit gentil avec lui, c’est tout. Ceux qui ont compris ça ont toujours obtenu tout ce qu’ils voulaient”, concède un fidèle d’entre les fidèles de l’ancien locataire de l’Elysée, interrogé par POLITICO. Même son de cloche, en plus raide, chez un stratège du parti lui aussi sollicité — un rien blasé celui-là : “Il est en recherche d’amour, toute sa vie ça a été ça”. Et de conclure, sur les intentions de Nicolas Sarkozy : “C’est moins guidé par ses convictions que par son affect.”  L’analyse est assez largement partagée dans les rangs des Républicains, en ce mois de décembre, alors que Nicolas Sarkozy a franchi un nouveau cap. Six mois après le goût amer laissé par sa décision de recevoir le protégé de Marine Le Pen, les propos tenus par l’ancien président du parti dans son Journal d’un prisonnier (Fayard), rédigé au cours de ses trois semaines d’incarcération à la prison de la Santé et à paraître ce mercredi, en a laissé beaucoup cette fois carrément perplexes.  Qu’a-t-il voulu provoquer, exactement, en écrivant qu’il n’était pas — qu’il n’est plus — favorable à la constitution d’un “front républicain” contre le RN, ce dont il a fait part à Marine Le Pen lorsqu’il l’a appelée pour la remercier de son soutien après sa condamnation, et dans quel intérêt le fait-il ? “Oui, la fin du front républicain, c’est ce qu’on a fait en juin 2024”, persifle ainsi un wauquiéziste. Mais encore : à quoi pense concrètement son entourage, pour les mois et les années qui viennent, en précisant qu’il a voulu parler d’un “rassemblement, le plus large possible, comme il l’a fait en 2007 avec une majorité allant de Villiers à Besson”, tout en refusant d’employer l’expression “union des droites” ? Si l’idée du front républicain contre le RN n’est plus défendue par la majorité des cadres à droite — hormis, notamment, Jean-François Copé, qui estime que Sarkozy a incontestablement “fait la bascule” (vers l’extrême droite) — et encore moins soutenue par ses sympathisants, d’autres sont plus prudents : ainsi de François Fillon, qui, en privé, estime lui aussi que ce principe n’a plus lieu d’être, mais qui considère que le sens des institutions de la Vème république est malgré tout que chaque famille politique de la droite soit représentée à la présidentielle. A la question de savoir si LR “peut encore jouer un rôle” lors de la prochaine présidentielle, Sarkozy répond dans une interview au Point parue hier, “je le crois et surtout je l’espère”. Sans plus de précisions. CENTRE DE GRAVITÉ “C’est le journal d’un prisonnier, c’est pas le journal d’un stratège politique…”, grince un cadre du parti, pour qui la prise de position de Sarkozy reste confuse et ne répond pas à la seule vraie question de fond : celle de l’éventualité d’une gouvernance avec le RN. Beaucoup trouvent pourtant l’ancien détenu très clair. En écrivant que sa famille politique, LR, “n’est pas aujourd’hui en position de force” et “ne peut plus à elle seule espérer incarner l’avenir”, puisqu’elle “aura du mal à être qualifiée au second tour”, l’ex-chef de l’Etat brise un vrai tabou, au-delà de la seule question de l’union des droites : il laisse entrevoir un scénario où les Républicains ne seraient qu’une force supplétive dans le “rassemblement” qu’il appelle de ses voeux.  De quoi mettre Bruno Retailleau, actuel président du parti et ardent défenseur d’une candidature LR à la présidentielle, en “porte-à-faux”, dans les mots de l’un des prédécesseurs du Vendéen à la tête de LR. Au siège, on souligne d’ailleurs avec amertume que Nicolas Sarkozy fait partie de ceux qui “ont vécu des années durant sur le front républicain”, et même “théorisé que l’élection présidentielle se gagne au centre”.  De fait, s’il a toujours revendiqué de parler aux électeurs du RN, et avait déjà franchi un cap, en déclarant au Figaro au mois de septembre être “persuadé que la stratégie du ‘front républicain’ ne marcher[ait] pas une deuxième fois”, l’ancien président s’était en effet, jusque-là, fermement opposé au principe d’une alliance électorale ou gouvernementale. Au nom, officiellement, de sa “fidélité aux valeurs de la droite républicaine”, avait-il dit dans l’entre-deux-tours de la présidentielle de 2022. Mais aussi, plus récemment, pour des raisons tactiques, liées au poids pris par le RN dans l’opinion : “L’union des droites doit se faire par les électeurs, non par les états-majors”, déclarait-il ainsi le 15 juin 2024, après le ralliement d’Eric Ciotti au RN, dans le Journal du Dimanche. “Cette alliance est d’autant plus inopportune quand la droite républicaine est si faible car il s’agit alors d’une absorption”, ajoutait-il, avant de cingler : “Être le supplétif du RN n’est pas une ambition mais un constat de renoncement.” Est-il mûr, cette fois, pour pousser son ancienne famille politique à accepter “l’étreinte de l’ours”, dans les mots de l’un de ses proches ? Un indice : la première motivation de Nicolas Sarkozy, lorsqu’il décida de recevoir Jordan Bardella, fut peut-être plus simple que n’ont cru déceler les observateurs. “Ça faisait des mois qu’il disait ‘non, non, non’. Et puis il a fini par se dire ‘Fuck, je vois le petit’”, confiait à POLITICO le fidèle sarkozyste cité précédemment, juste après son incarcération à la prison de la Santé. Et le même d’ajouter dans un sourire, quoique le plus sérieusement du monde : “C’est parce qu’il est plus détendu, c’est parce que Carla (Bruni-Sarkozy) n’est plus du tout gauche”. La possibilité que le RN ne soit pas représenté par Marine Le Pen en 2027 aurait en outre changé la donne, dans l’esprit de Sarkozy — ce qui ne l’a pas empêché, après sa condamnation, d’être touché du soutien que lui a apporté la triple candidate à la présidentielle, elle-même sous le coup d’une condamnation en première instance pour le moins handicapante. L’ex de l’Elysée a toujours “méprisé” la fille du fondateur du Front national, dans les mots du même. Mais “des trucs se créent” dans l’épreuve judiciaire partagée, décrite par un proche de Sarkozy comme une “mort politique pour l’une, et une humiliation personnelle et sociale pour l’autre”. Sarkozy serait donc en réalité tout simplement en partie séduit par le visage ripoliné du RN et n’a plus d’opposition de principe à ouvrir un dialogue avec les cadres d’un parti dont il avait autrefois réussi à siphonner l’électorat, à l’image d’une large majorité des sympathisants de LR. Une version qui ne convainc pas tout le monde à LR. “Il cherche juste le prochain président qui va l’amnistier et il pense que Bardella a plus de chances que Retailleau”, s’agace le même stratège cité plus haut. “Il est focus sur son agenda personnel”, abonde l’ancien président de LR également cité dans cet article. L’ancien chef de l’Etat n’est en tout cas pas décidé à ce stade à aller plus loin : “Il ne dit pas qu’il faut dupliquer ce qu’il a fait à [Valérie] Pécresse, on n’y est pas”, souligne le même proche cité précédemment. Comprenez : il n’est pas encore dit que Sarkozy ne soutiendra pas le candidat des Républicains en 2027 comme il l’a fait avec la candidate de 2022, veut croire notre homme. “Son candidat, ça pourrait même très bien être Edouard [Philippe]”, insiste le même. Pour qui la seule certitude, à ce stade, est qu’un accord de gouvernement, un jour ou l’autre, devra être conclu avec le RN, mais “le plus raisonnable possible, sur nos bases à nous”. “On va leur expliquer que la retraite à 60 ans, ça n’existe pas…”
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L’UE s’accorde pour assouplir les obligations environnementales des entreprises
BRUXELLES — Plus de 80% des entreprises européennes seront libérées de leurs obligations en matière d’information environnementale après que les institutions de l’UE sont parvenues lundi à un accord sur une proposition visant à assouplir la réglementation verte. L’accord est une victoire législative majeure pour la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Elle qui cherche à faire de l’allègement des démarches administratives pour les entreprises l’un des marqueurs de son second mandat. Toutefois, cette victoire a eu un coût politique : ce dossier a poussé au bord de l’effondrement la coalition qui avait permis sa réélection ; sa propre famille politique, le Parti populaire européen (PPE) de centre droit, s’étant alliée à l’extrême droite pour faire passer l’accord. La nouvelle loi, la première d’une longue série de textes de simplification omnibus, réduira massivement le champ d’application des obligations d’information des entreprises sur leur durabilité introduites au cours de la précédente législature. Derrière cette réduction des formalités administratives, l’objectif est de stimuler la compétitivité des entreprises européennes et de favoriser la croissance économique. L’accord conclut une année d’intenses négociations entre les décideurs européens, les investisseurs, les entreprises et la société civile, qui se sont opposés sur la question de savoir à quel point il fallait réduire les obligations des entreprises en matière reporting sur l’impact environnemental de leurs activités et de leurs chaînes d’approvisionnement, alors même que les effets du changement climatique en Europe ne cessent de s’aggraver. “Il s’agit d’une étape importante dans la réalisation de notre objectif commun, qui est de créer un environnement économique plus favorable pour aider la croissance et l’innovation de nos entreprises”, s’est félicitée Marie Bjerre, ministre danoise des Affaires européennes. Le Danemark, qui assure la présidence du Conseil de l’UE jusqu’à la fin de l’année, a mené les négociations au nom des gouvernements de l’Union. “Cet accord apporte une réduction historique des coûts”, a applaudi Jörgen Warborn (PPE), qui a mené les négociations au Parlement. “Nous avons obtenu quelque chose de très positif pour les entreprises en Europe […]. J’espère que cet omnibus aura son atterrissage final la semaine prochaine à Strasbourg, où nous le voterons en séance plénière.” Marie Bjerre, ministre des Affaires européennes du Danemark, a déclaré que l’accord était une étape importante pour créer un environnement économique plus favorable. | Philipp von Ditfurth/picture alliance via Getty Images Proposé par la Commission en février dernier, cet omnibus vise à répondre aux préoccupations des entreprises qui estiment que les formalités administratives nécessaires pour se conformer aux lois de l’UE sont coûteuses et injustes. Nombre d’entre elles estiment que l’Europe fait de l’excès de zèle en matière de législation et de restrictions environnementales. Et l’accusent d’être responsable de la faiblesse de la croissance économique et de pertes d’emplois, les empêchant de rivaliser avec leurs concurrentes américaines et chinoises. Mais les associations environnementales et de la société civile — ainsi que certaines entreprises — ont fait valoir que ce retour en arrière mettrait en péril l’environnement et la santé humaine. Ce désaccord s’est propagé à Bruxelles, perturbant l’équilibre des pouvoirs au Parlement, puisque le PPE a rompu le fameux “cordon sanitaire” — une règle tacite qui interdit aux partis traditionnels de collaborer avec l’extrême droite — pour adopter des coupes importantes dans la réglementation verte. Il s’agit d’un précédent pour les futures législations européennes, alors que l’UE est confrontée à des priorités parfois contradictoires : stimuler la croissance économique et progresser dans sa transition écologique. Depuis, le terme “omnibus” est devenu une expression courante dans le jargon bruxellois, la Commission ayant présenté au moins 10 autres projets de loi de simplification sur des sujets tels que la protection des données, la finance, l’utilisation des produits chimiques, l’agriculture et la défense. MOINS DE PAPERASSE L’accord conclu par les négociateurs du Parlement européen, du Conseil de l’UE et de la Commission comprend des modifications de deux textes législatifs clés de l’arsenal réglementaire de l’Union sur l’écologie : la directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) et la directive sur le devoir de diligence des entreprises en matière de durabilité (CS3D). A l’origine, celles-ci imposaient aux entreprises, grandes et petites, de collecter et de publier des données sur leurs émissions de gaz à effet de serre, la quantité d’eau qu’elles utilisent, l’impact de la hausse des températures sur les conditions de travail, les fuites de produits chimiques et le respect des droits de l’homme et du droit du travail par leurs fournisseurs, qui sont souvent répartis dans le monde entier. Désormais, les obligations de déclaration ne s’appliqueront qu’aux entreprises employant plus de 1 000 personnes et réalisant un chiffre d’affaires net de 450 millions d’euros, tandis que seules les plus grandes entreprises — avec plus de 5 000 salariés et un chiffre d’affaires net d’au moins 1,5 milliard d’euros — seront soumises à des obligations de devoir de vigilance sur leur chaîne d’approvisionnement. Elles ne sont pas non plus tenues d’adopter des plans de transition, détaillant la manière dont elles entendent adapter leur business model pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il est important de noter que les décideurs se sont débarrassés d’un cadre juridique européen qui permettait aux citoyens de tenir les entreprises responsables de l’impact de leurs chaînes d’approvisionnement sur les droits de l’homme ou les écosystèmes locaux. Les députés européens auront une nouvelle fois leur mot à dire sur l’adoption ou non de l’accord : le vote final étant prévu pour le 16 décembre. Cela signifie que les parlementaires ont la possibilité de rejeter l’accord conclu par les colégislateurs s’ils considèrent qu’il s’éloigne trop de leur position initiale. Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais, puis a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.
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Trump s’en prend aux dirigeants européens dans un grand entretien : “Je pense qu’ils sont faibles”
This story is also available in English. Donald Trump présente l’Europe comme un groupe de pays “en décrépitude” dirigés par des personnes “faibles” dans un grand entretien accordé à POLITICO, sermonnant ses alliés et les décrivant comme incapables de contrôler les flux migratoires et de mettre fin à la guerre en Ukraine. Il signale en outre être prêt à soutenir des candidats à des élections en Europe partageant sa vision du continent.  Cette attaque en règle contre les dirigeants politiques européens représente la dénonciation la plus virulente à ce jour du président américain à l’encontre des démocraties européennes, au risque de provoquer une rupture franche avec des pays comme la France et l’Allemagne aux relations déjà très tendues avec l’administration Trump.  “Je pense qu’ils sont faibles”, dit Trump à propos des dirigeants politiques européens. “Mais je pense aussi qu’ils veulent être tellement politiquement corrects.”  “Ils ne savent pas quoi faire”, ajoute-t-il. “L’Europe ne sait pas quoi faire.”  Les commentaires de Trump sur l’Europe interviennent à un moment particulièrement délicat dans les négociations visant à mettre fin à la guerre menée par la Russie en Ukraine, alors que les dirigeants européens s’inquiètent de plus en plus du risque que les Etats-Unis abandonnent l’Ukraine et ses alliés continentaux face à l’agression russe. Dans l’interview, Trump ne donne aucune assurance aux Européens à ce sujet et déclare que la Russie est manifestement en position de force par rapport à l’Ukraine.  Le président américain s’est exprimé depuis la Maison-Blanche, au cours d’un entretien enregistré lundi avec Dasha Burns, journaliste à POLITICO et animatrice du podcast The Conversation. Donald Trump a été désigné personnalité la plus influente sur la politique européenne pour l’année à venir, dans un classement où ont par le passé figuré à la première place le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy, la présidente du Conseil italienne Giorgia Meloni ou encore le Premier ministre hongrois Viktor Orbán.  Les commentaires du président américain sur l’Europe contrastent fortement avec certaines de ses remarques sur les sujets de politique intérieure dans l’interview. Aux Etats-Unis, Trump et son parti sont confrontés à une série de revers électoraux et à un dysfonctionnement croissant au Congrès, sur fond de mécontentement des électeurs confrontés à des difficultés économiques importantes.   Trump peine à adapter son discours à cette nouvelle réalité : dans l’interview, il attribue une note « A +++++ » à la situation économique du pays, et insiste sur le fait que les prix seraient en baisse dans tous les domaines, tout en refusant d’esquisser des mesures pour faire face à la hausse imminente des primes d’assurance maladie.  Même dans un contexte de turbulences croissantes aux Etats-Unis, Trump reste une figure singulière de la politique internationale.  Ces derniers jours, une vague de consternation a traversé les capitales européennes à la publication du nouveau document sur la stratégie de sécurité nationale de Trump, un manifeste très virulent qui oppose son administration à l’establishment politique européen traditionnel et promet de « cultiver la résistance » intérieure au statu quo européen en matière d’immigration et d’autres questions politiquement sensibles.  Dans l’interview, Trump a encore grossi le trait sur cette vision du monde, décrivant des villes comme Londres et Paris comme croulant sous le poids de l’immigration en provenance du Moyen-Orient et d’Afrique. Sans un changement de politique frontalière, déclare Trump, certains États européens « ne seront plus des pays viables ».  Utilisant un langage incendiaire, Trump qualifie le maire de gauche de Londres, Sadiq Khan, fils d’immigrants pakistanais et premier maire musulman de la ville, de « désastre » et attribue son élection à l’immigration : « Il a été élu parce que beaucoup de gens sont arrivés. Ils votent pour lui maintenant. »  Lundi, le président du Conseil européen, António Costa, a reproché à l’administration Trump ce document sur la sécurité nationale et a exhorté la Maison Blanche à respecter la souveraineté et le droit à l’autonomie gouvernementale de l’Europe.  « Des alliés ne menacent pas d’interférer dans la vie démocratique ou les choix politiques internes de leurs partenaires », a déclaré Costa. « Ils les respectent. »  Dans son entretien avec POLITICO, Trump empiète sur ces limites et déclare qu’il continuera à soutenir ses candidats préférés lors des élections européennes, même au risque d’offenser les sensibilités locales.  « Je serais prêt à soutenir », a déclaré Trump. « J’ai soutenu des personnes, mais j’ai soutenu des personnes que beaucoup d’Européens n’aiment pas. J’ai soutenu Viktor Orbán », le Premier ministre hongrois d’extrême droite que Trump dit admirer pour ses politiques de contrôle des frontières.  C’est la guerre entre la Russie et l’Ukraine, plutôt que la politique électorale, qui semble occuper le plus l’esprit de Trump. Il affirme avoir proposé un nouveau projet de plan de paix, qui a plu selon lui à certains responsables ukrainiens, mais que Zelenskyy lui-même n’aurait pas encore examiné. « Ce serait bien qu’il le lise », déclare Trump.  Zelenskyy a rencontré lundi les dirigeants français, allemand et britannique et a continué à s’opposer à la cession de territoire ukrainien à la Russie dans le cadre d’un accord de paix.  Le président américain déclare ne guère miser sur les dirigeants européens dans la recherche d’une fin à la guerre : « Ils parlent, mais ils ne produisent rien, et la guerre continue encore et encore. »  Dans un nouveau geste de défiance à l’égard de Zelenskyy, politiquement affaibli en Ukraine par un scandale de corruption, Trump renouvelle son appel à ce que l’Ukraine organise de nouvelles élections.  « Ils n’ont pas organisé d’élections depuis longtemps », déclare Trump. « Vous savez, ils parlent de démocratie, mais on en arrive à un point où ce n’est plus une démocratie.»  AMÉRIQUE LATINE  Tout en affirmant poursuivre un programme de paix à l’étranger, Trump déclare qu’il pourrait étendre encore les actions militaires menées par son administration en Amérique latine contre des cibles qu’elle estime liées au trafic de drogue. Trump a déployé une force militaire massive dans les Caraïbes pour frapper les trafiquants de drogue présumés et faire pression sur le régime autoritaire du Venezuela.  Au cours de l’interview, Trump refuse à plusieurs reprises d’exclure l’envoi de troupes américaines au Venezuela dans le cadre d’une initiative visant à renverser le dirigeant autoritaire Nicolás Maduro, qu’il accuse d’exporter de la drogue et des personnes dangereuses vers les États-Unis. Certains dirigeants de la droite américaine ont averti Trump qu’une invasion terrestre du Venezuela constituerait une ligne rouge pour les conservateurs qui ont voté pour lui en partie pour mettre fin aux opérations militaires à l’étranger.  « Je ne veux ni confirmer ni infirmer. Je ne parle pas de cela », déclare Trump à propos du déploiement de troupes terrestres, ajoutant : « Je ne veux pas vous parler de stratégie militaire. »  Mais le président précise qu’il envisagerait d’utiliser la force contre des cibles dans d’autres pays où le trafic de drogue est très actif, notamment au Mexique et en Colombie.  « Bien sûr, je le ferais », a-t-il déclaré.  Trump défend tout juste certaines de ses actions les plus controversées en Amérique latine, notamment sa récente grâce accordée à l’ancien président hondurien Juan Orlando Hernández, qui purgeait une peine de plusieurs décennies dans une prison américaine après avoir été condamné pour un vaste complot de trafic de drogue. Trump déclare qu’il savait « très peu » de choses sur Hernández, si ce n’est que « des personnes très bien informées » lui avaient dit que l’ancien président hondurien avait été injustement pris pour cible par ses adversaires politiques.  « Ils m’ont demandé de le faire et j’ai dit que je le ferais », reconnaît Trump, sans nommer les personnes qui avaient demandé la grâce pour Hernández.  Santé et économie Invité à évaluer la situation l’économique sous son mandat, Trump la qualifie de succès retentissant : « A ++++ ». A propos du mécontentement des électeurs concernant le coût de la vie, Trump déclare que l’administration Biden en est responsable : « J’ai hérité de ce bazar. J’ai hérité d’un vrai bazar ». Le président est confronté à un environnement politique hostile en raison des difficultés financières des Américains. Environ la moitié des électeurs et près de 4 personnes sur 10 ayant voté pour Trump en 2024 ont déclaré dans un récent sondage POLITICO que le coût de la vie n’avait jamais été aussi élevé. Trump déclare qu’il pourrait apporter des modifications supplémentaires à sa politique tarifaire afin de contribuer à faire baisser le prix de certains produits, comme il l’a déjà fait, mais il insiste sur le fait que, dans l’ensemble, les choses vont dans la bonne direction en termes de prix. « Les prix sont tous en baisse », a déclaré Trump, ajoutant : « Tout est en baisse. » Les prix ont augmenté de 3% au cours des 12 mois se terminant en septembre, selon le dernier indice des prix à la consommation.
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L’opposition s’intensifie contre le principe d’“acheter européen” de la Commission
BRUXELLES — Bruxelles s’apprête à se lancer dans un exercice d’équilibriste : comment inciter le secteur public à acheter davantage de produits fabriqués dans l’UE sans être accusé de faire du protectionnisme ? L’exécutif européen devait présenter explicitement cette semaine ce que veut dire en pratique son programme “acheter européen”, en dévoilant sa proposition d’Industrial Accelerator Act. Mais ce lundi, cette mesure, destinée à garantir que des milliards d’euros de marchés publics soient attribués à des entreprises européennes, a été repoussée à la fin du mois de janvier. Ce report intervient alors qu’un groupe de neuf Etats membres — mené par la République tchèque et comprenant l’Estonie, la Finlande, l’Irlande, la Lettonie, Malte, le Portugal, la Slovaquie et la Suède — est monté au créneau. Ces pays craignent que l’Union européenne ne se nuise à elle-même en isolant certains secteurs de l’économie du reste du monde. Cette rébellion contre la proposition législative montre que deux visions s’affrontent sur ce que l’Europe doit faire pour rivaliser avec les Etats-Unis et la Chine. Pour le camp mené par Emmanuel Macron et dominé par les puissances industrielles de l’Union, l’Europe ne peut réussir dans la compétition mondiale que si elle accorde un traitement préférentiel à ses propres champions industriels et technologiques dans l’attribution de grands contrats, tels que les réseaux de transport public. A l’inverse, pour les pays plus petits et à l’approche libérale en matière commerciale, c’est impensable. Ils affirment que leurs économies ne peuvent rester compétitives que si elles sont libres de choisir les meilleurs produits au meilleur prix. Et même si cela signifie se fournir auprès des Chinois ou des Coréens. Depuis des années, ces pays soupçonnent que cette stratégie d’“acheter européen” affaiblira l’économie de l’UE en accordant un traitement préférentiel aux grands groupes franco-allemands, qui seront moins soumis à la pression de la concurrence et pratiqueront des prix injustement élevés à l’égard de leurs fournisseurs et de leurs clients. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a soutenu l’idée de permettre aux gouvernements et aux autres organismes publics d’exprimer une “préférence européenne” en matière de marchés publics, après avoir entamé son second mandat il y a un an. L’Industrial Accelerator Act est un premier test pour ce principe, puisqu’il a été intégré dans cette proposition législative conçue à l’origine pour accélérer les investissements dans des projets de décarbonation dans le cadre du Pacte pour une industrie propre d’Ursula von der Leyen. Au cours du processus de rédaction, le commissaire européen à l’Industrie, le Français Stéphane Séjourné, a intégré le principe d’“acheter européen” dans la proposition, ainsi qu’un contrôle plus strict des investissements étrangers. A MANIPULER AVEC PRÉCAUTION Dans leur contre-attaque, les Tchèques ont appelé Bruxelles à “faire preuve de la plus grande prudence possible lors de l’élaboration de l’approche de la ‘préférence européenne’”, selon un document de position obtenu par POLITICO avant une réunion des ministres de l’Industrie de l’UE lundi. “Adopter des règles disproportionnées sur la ‘préférence européenne’ comme une norme dans nos politiques publiques pourrait risquer […] d’aggraver la méfiance à l’égard du système commercial multilatéral et de l’UE en tant que partenaire fiable et prévisible”, poursuit le document tchèque, qui a été signé par les huit autres pays. Une délégation du syndicat patronal Keidanren — qui compte Toyota et Mitsubishi parmi ses adhérents — a récemment rencontré un membre du cabinet de Stéphane Séjourné pour discuter de l’idée de la préférence européenne, selon une personne au fait du dossier. | Kiyoshi Ota/EPA Ces craintes sont partagées en dehors de l’Europe : une délégation du syndicat patronal japonais Keidanren — qui compte Toyota et Mitsubishi parmi ses adhérents — a récemment rencontré un membre du cabinet de Stéphane Séjourné pour discuter de l’idée de la préférence européenne, selon une personne au fait du dossier. Leur idée est d’exempter les “partenaires [de l’UE] de même sensibilité”, tels que le Japon, de ces exigences. Les préoccupations exprimées dans le document tchèque ont également été reprises par certaines organisations professionnelles européennes — même si, en théorie, elles auraient tout à gagner à ce que leurs gouvernements achètent davantage de produits, de services ou de technologies d’origine nationale. Peter Kofler, président des Danish Entrepreneurs, a mis en garde contre les “murs de protection qui nous isolent de la réalité mondiale”. “Imposer la ‘préférence européenne’ avant que nos solutions ne soient de classe mondiale nous enfermera dans une économie de second rang”, a-t-il prévenu. LA MISE EN ŒUVRE EST ESSENTIELLE D’autres organisations professionnelles se sont montrées ouvertes aux exigences en matière de préférences locales, mais s’inquiètent de la manière dont elles seraient mises en œuvre, ou craignent qu’elles ne soient considérées comme une charge administrative supplémentaire, au moment même où Ursula von der Leyen se donne pour mission de simplifier. Orgalim, un lobby de la tech, s’est prononcé largement en faveur de la proposition, tout en soulignant la nécessité d’éviter “des charges administratives et réglementaires supplémentaires qui étouffent le secteur à un moment où nous avons désespérément besoin de flexibilité pour innover et être compétitifs”. Dans une prise de position antérieure, la Pologne a estimé que les exigences en matière de contenu local pourraient être des “outils importants”, mais que leur succès “dépendra en grande partie de leur calibrage”. Appelant à une approche flexible du “Made in Europe”, les Polonais ont également averti que les pays les plus avancés dans la transition vers les énergies vertes pourraient en bénéficier de manière disproportionnée. Aleksandra Kordecka, experte au sein du cabinet Séjourné, a tenté de dissiper ces inquiétudes lors d’un récent événement. “L’objectif du ‘Made in Europe’, je pense, est que l’argent public aille à l’industrie européenne et aux emplois européens”, a-t-elle exposé. La Commission souhaite créer un environnement permettant aux industries européennes de rivaliser avec les surcapacités chinoises massives, a ajouté Aleksandra Kordecka : “Il ne s’agit absolument pas de fermer complètement le marché.” Jordyn Dahl et Camille Gijs ont contribué à cet article, qui a d’abord été publié par POLITICO en anglais, puis a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.
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Le Royaume-Uni envisage d’interdire les dons en cryptomonnaies aux partis politiques
LONDRES — Le gouvernement britannique envisage d’interdire les dons en cryptomonnaies aux partis politiques, ce qui pourrait sonner l’alerte chez Reform UK et son leader Nigel Farage. En pleine ascension dans les sondages au Royaume-Uni, ce parti populiste a ouvert la porte aux actifs numériques pour les dons au printemps dernier, dans le cadre de la “révolution crypto” qu’il promet pour le Royaume-Uni. Et il en a même déjà accepté. Aucune mesure contre ce procédé ne figure dans le document décrivant les contours du prochain projet de loi du gouvernement britannique sur les élections (ou Elections Bill), présenté comme un plan visant à renforcer la démocratie du pays. Mais les responsables publiques envisagent désormais d’interdire l’usage des cryptomonnaies dans le financement des responsables politiques, selon trois personnes au fait des discussions récentes sur ce projet de loi. Le gouvernement n’a pas démenti qu’une telle mesure était à l’étude, et s’est contenté d’indiquer qu’il “donnerait plus de détails dans [s]on Elections Bill”. Cette année, Reform UK est devenu le premier parti politique britannique à accepter des dons en cryptomonnaie. Nigel Farage a indiqué à Reuters en octobre que sa formation avait reçu “quelques” dons sous forme de cryptoactifs après que la Commission électorale — qui réglemente les dons aux partis politiques — a confirmé qu’elle avait été informée du premier don en cryptomonnaie. Reform UK a mis en place sa propre plateforme pour les dons en cryptomonnaies et a promis des contrôles “renforcés” pour éviter tout abus. Reform UK a mis en place sa propre plateforme pour les dons en cryptomonnaies et a promis des contrôles “renforcés” pour éviter tout abus. | Dan Kitwood/Getty Images Nigel Farage, qui détient des cryptoactifs de long terme, s’est présenté au secteur britannique des cryptos comme leur “seul espoir”. Il cherche ainsi à imiter son allié de longue date, le président américain Donald Trump, qui a largement adhéré aux monnaies numériques. Nigel Farage a souligné qu’il soutenait publiquement la filière depuis “bien avant Trump”. DIFFICILE À TRACER Le plan initial de l’exécutif pour son Elections Bill comprend une série de mesures allant de l’instauration du droit de vote à 16 ans au renforcement des pouvoirs de la Commission électorale. Aucune mesure ne figure contre les dons en cryptomonnaies, mais le gouvernement, dirigé par les travaillistes — qui sont loin derrière Reform UK dans les sondages —, est sous pression pour instaurer une interdiction. Parmi ceux qui ont suggéré un durcissement figurent le ministre Pat McFadden, le président du comité spécial des affaires économiques et du commerce à la Chambre des communes, Liam Byrne, et le président du groupe parlementaire transpartisan sur la lutte contre la corruption et l’équité fiscale, Phil Brickell. Les experts en transparence ont alerté qu’il pouvait être difficile de tracer l’origine des dons en cryptomonnaies. Cela fait craindre que les dons venus de l’étranger aux partis politiques et aux candidats — interdits dans presque tous les cas de figure par la loi au Royaume-Uni —, ainsi que les bénéfices tirés d’activités criminelles et les opérations de blanchiment d’argent puissent passer à travers les mailles du filet. Le projet de loi électorale des travaillistes devrait également imposer de nouvelles règles aux partis politiques et à leurs donateurs. Il devrait prévoir un durcissement sur les dons provenant de sociétés-écrans et d’associations non déclarées, et pourrait obliger les partis à enregistrer et à conserver une évaluation des risques liés aux dons susceptibles de présenter un risque d’ingérence étrangère. Les cryptomonnaies sont un nouveau champ de bataille en matière d’ingérence étrangère. Les services de renseignement russes adoptent de plus en plus les monnaies numériques pour échapper aux sanctions et financer des actions de déstabilisation — comme lors des élections en Moldavie — depuis que Moscou a été coupé du système bancaire mondial à la suite de l’invasion de l’Ukraine. La question de l’intervention du Kremlin dans la politique britannique a refait surface ces derniers mois après que Nathan Gill — ancien chef de Reform au Pays de Galles et ex-député européen du Brexit Party de Nigel Farage — a été condamné à dix ans et demi de prison le mois dernier parce qu’il a été rémunéré pour faire des déclarations prorusses au Parlement européen. Nigel Farage a pris ses distances avec Nathan Gill, décrivant l’ancien député européen comme une “pomme pourrie” qui l’avait trahi. Cela n’a pas empêchait le Parti travailliste de passer à l’offensive : le Premier ministre Keir Starmer demandant à Nigel Farage de lancer une enquête interne sur les activités de Nathan Gill. Selon un porte-parole du ministère du Logement, des Communautés et des Collectivités locales, qui est responsable du projet de loi : “Le système de financement politique dont nous avons hérité a rendu notre démocratie vulnérable aux ingérences étrangères.” “Nos nouvelles règles strictes en matière de dons en politique, telles que définies dans notre stratégie électorale, protégeront les élections au Royaume-Uni tout en veillant à ce que les partis puissent continuer à se financer.” Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais, puis a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.
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Derrière “Trop c’est trop”, des patrons rêvent de faire revivre le mouvement des Pigeons
PARIS — D’ordinaire, le poing levé est davantage l’apanage des militants anticapitalistes que celui des employeurs. Pourtant, c’est ce symbole qu’a choisi le mouvement patronal  “Trop c’est trop”. Ce collectif formé par 2 000 signataires d’une tribune publiée début novembre dans L’Express pour dénoncer la “dérive fiscale” et un débat budgétaire contraire à l’intérêt des entreprises, est en cours de structuration, a appris POLITICO. Un compte LinkedIn “Trop c’est trop !” est déjà entré sur le ring lundi soir, et sera bientôt suivi par un compte sur X afin de donner davantage d’écho à l’exaspération fiscale des patrons.  Ce vent de colère s’est fait ressentir jusqu’à Matignon. Son locataire, Sébastien Lecornu, à la recherche d’un compromis pour faire atterrir les textes financiers, a pris la plume lundi pour leur répondre. Une réaction insuffisante pour tempérer les ardeurs du duo à l’origine du texte : Erwan Le Noan, du cabinet de conseil Altermind, et Eric Maumy, PDG du groupe April. Les deux instigateurs du mouvement veulent continuer à faire entendre la voix des patrons au-delà des débats budgétaires, et en particulier lors des futures échéances électorales. OPÉRATION COUP DE POING “L’idée, c’est de capitaliser sur cette mobilisation et de continuer à exister dans le débat public”, nous répond Erwan Le Noan. L’essayiste-consultant explique avoir été motivé à mettre sur pied cette “plateforme permettant d’accroître la parole” des patrons, après avoir reçu plusieurs centaines de mails de la part de dirigeants d’entreprise en réaction à la tribune. Cette initiative n’est pas sans rappeler le mouvement contestataire des Pigeons, né en 2012, au début du quinquennat Hollande sur fond de hausse de taxation du capital. “Je nous souhaite le même succès”, rebondit Le Noan, qui est en contact avec Geoffroy Roux de Bézieux, Virginie Calmels (CroissancePlus), Stanislas de Bentzmann (Devoteam), ou encore Philippe d’Ornano (Sisley/Meti). Ce dernier, signataire de la tribune, justifie son activisme auprès de POLITICO par le fait que “les gens rationnels ont tendance à penser que des mesures irrationnelles ne passeront jamais, mais si l’on ne fait pas gaffe, ces mesures finissent par passer, il faut donc faire un travail d’explication”. “Les entreprises sont inquiètes comme elles ne l’ont pas été depuis des années, le fait de structurer ce mouvement pour parler d’une seule voix permettra d’avoir plus d’impact que si chacun parle de son côté”, abonde un autre signataire de la tribune, Olivier Schiller, le président de l’ETI Septodont. Pour donner un écho médiatique à l’initiative, l’agence de communication The Arcane, fondée par Marion Darrieutort, s’active en coulisses. UN COLLOQUE AUX FAUX AIRS DE MEETING Si “Trop c’est trop !” n’a pas vocation à se transformer en parti politique, en organisation ou en think tank, le mouvement sera sous le feu des projecteurs le 17 décembre. Non pas pour un meeting, comme le Medef l’avait imaginé en octobre avant de reculer, mais pour tenir un colloque organisé avec L’Express, salle Gaveau à Paris. Les 2 000 signataires seront conviés et assisteront à des interventions sur, entre autres, “les Français et leurs entreprises” ou “la croissance française plutôt que les taxes”. D’après l’invitation consultée par POLITICO, Nicolas Dufourcq (Bpifrance) ou Agnès Verdier-Molinié (Ifrap), ainsi que plusieurs dirigeants signataires de la tribune, dont Patrick Martin, se succéderont sur scène.
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La commissaire européenne Teresa Ribera accuse les Etats-Unis de “chantage” dans les négociations commerciales
BRUXELLES — La commissaire européenne chargée de la Concurrence, Teresa Ribera, n’a pas mâché ses mots contre l’administration Trump, l’accusant d’utiliser le “chantage” pour contraindre l’UE à assouplir sa réglementation du numérique. Le secrétaire américain au Commerce, Howard Lutnick, a suggéré lundi à Bruxelles que les Etats-Unis pourraient modifier leur approche en matière de droits de douane sur l’acier et l’aluminium si l’UE revoyait ses règles en matière de numérique. Les responsables européens ont interprété ses remarques comme visant les réglementations phares de l’UE, notamment celle sur les marchés numériques (DMA). “C’est du chantage”, a considéré la commissaire espagnole dans un entretien à POLITICO mercredi. “Le fait que ce soit leur intention ne signifie pas que nous acceptons ce genre de chantage.” Teresa Ribera — qui, en tant que première vice-présidente exécutive de la Commission, est la numéro 2 de l’exécutif européen derrière la présidente Ursula von der Leyen — a souligné que la réglementation européenne du numérique ne devrait pas avoir de lien avec les négociations commerciales. L’équipe de Donald Trump cherche à réviser l’accord conclu par le président américain avec Ursula von der Leyen dans son golf écossais en juillet. Ces déclarations interviennent à un moment sensible des négociations commerciales en cours. Washington considère le DMA comme discriminatoire, parce que les grandes plateformes technologiques qu’il réglemente — comme Microsoft, Google ou Amazon — sont presque toutes américaines. Il s’insurge également contre le règlement sur les services numériques (DSA), qui vise à limiter les discours haineux illégaux et la désinformation en ligne, car il est conçu pour encadrer les réseaux sociaux comme X d’Elon Musk. Teresa Ribera a rappelé que ces règles étaient une question de souveraineté, et qu’elles ne devraient pas entrer dans le champ d’une négociation commerciale. “Nous respectons les règles, quelles qu’elles soient, qu’ils ont établies pour leurs marchés : le marché numérique, le secteur de la santé, l’acier, tout ce que vous voulez […] les voitures, les normes”, a-t-elle posé en parlant des Etats-Unis. “C’est leur problème, leur réglementation et leur souveraineté. Il en va de même ici.” Teresa Ribera, avec la commissaire aux Technologies numériques Henna Virkkunen, supervise le DMA, qui veille au bon comportement des grandes plateformes numériques et à une concurrence équitable. Elle a vivement réagi aux propos tenus par Howard Lutnick lors de sa rencontre avec des responsables et des ministres européens lundi, martelant que “les règles européennes en matière de numérique ne sont pas à négocier”. Henna Virkkunen tenait la même ligne mardi. Lundi, elle a présenté à ses homologues américains le paquet de mesures de simplification de l’UE, comprenant la proposition d’omnibus numérique. Ce paquet a été présenté comme une initiative européenne visant à réduire les formalités administratives, mais certains l’ont interprété comme une tentative de répondre aux préoccupations des Big Tech américaines en matière de régulation. Le secrétaire américain au Commerce, Howard Lutnick, a suggéré lundi à Bruxelles que les Etats-Unis pourraient modifier leur approche en matière de droits de douane sur l’acier et l’aluminium si l’UE revoyait ses règles en matière de numérique. | Nicolas Tucat/Getty Images Interrogée sur les raisons qui l’ont poussée à faire une déclaration aussi forte, Teresa Ribera a répondu que les remarques d’Howard Lutnick constituaient “une attaque directe contre le DMA”, avant d’ajouter : “Il est de ma responsabilité de défendre le bon fonctionnement du marché numérique en Europe.” DES FISSURES APPARAISSENT Malgré la réplique intransigeante de Teresa Ribera, la solidarité des Etats membres envers le DMA commence doucement à se fissurer. Après la réunion de lundi, Howard Lutnick a pointé que certains ministres européens du Commerce n’étaient pas aussi réticents que la Commission à l’idée de revoir les règles numériques de l’UE : “Je vois beaucoup de ministres […] certains sont plus ouverts d’esprit que d’autres”, a-t-il observé sur Bloomberg TV, affirmant que si l’Europe veut des investissements américains, elle doit changer son modèle de régulation. Parmi les participants, au moins une Européenne semble d’accord. L’Allemande Katherina Reiche, qui s’est exprimée en marge de la réunion, a déclaré à la presse qu’elle était favorable à un nouvel assouplissement des règles de l’UE en matière de numérique. “L’Allemagne a clairement fait savoir qu’elle voulait avoir la possibilité de jouer un rôle dans le monde numérique”, a exposé Katherina Reiche, citant en particulier le DMA et le DSA. Les efforts de lobbying déployés par Washington contre les règles européennes sur le numérique s’inscrivent dans le cadre d’une bataille plus large menée par les Etats-Unis au niveau mondial pour affaiblir les lois sur le numérique dans les pays étrangers. Ce mois-ci, la Corée du Sud a cédé au lobbying de l’administration Trump en revenant en arrière sur son propre projet d’encadrement de la concurrence dans le secteur numérique. Le représentant américain au commerce prépare son rapport 2026 et lance une nouvelle série de consultations dans les semaines à venir. Entre-temps, la Commission poursuit son évaluation des règles dans le cadre de son Digital Fairness Fitness Check et de la révision en cours du DMA. Mais entre le lobbying de Washington et les Etats membres qui se désolidarisent, la question n’est pas seulement de savoir ce à quoi va aboutir la révision du DMA, mais s’il peut survivre à la guerre commerciale. Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais, puis a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.
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Règlement sur les marchés numériques
Municipales : les notes de frais des maires, nouvelle arme pour faire campagne
PARIS — A quoi exactement ont servi les 9 000 euros de frais déclarés depuis l’année dernière par le maire d’Angers, Christophe Béchu ? “Les contribuables ont le droit de savoir”, estime Noam Leandri. Cet Angevin devrait figurer en bonne place sur la liste de rassemblement de la gauche pour reprendre l’Hôtel de ville à Béchu, lui-même un proche d’Edouard Philippe, lors des élections municipales de mars. C’est ce qui l’a motivé à demander il y a un mois à la mairie et à la métropole les justificatifs des frais de l’élu. Sans réponse à ce stade, il a saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) et ira devant le tribunal si le refus persiste. Le sujet a empoisonné le premier déplacement officiel du maire sortant, qui a assuré n’avoir “rien à cacher” et indique que le retard dans la transmission de ses notes de frais est dû à un problème d’adresses mail. “En 2024, j’ai déclaré 2 500 euros de frais. Moi, je ne me suis pas acheté des robes”, a grincé Christophe Béchu, dans une allusion aux polémiques autour des notes de frais des Parisiennes Jeanne d’Hauteserre et Anne Hidalgo (voir plus bas). Précisons toutefois qu’en 2024, le maire d’Angers n’a été en poste que quatre mois cette année-là, après sa sortie du gouvernement. De fait, c’est la nouvelle mode : dans plusieurs villes, les notes de frais sont utilisées par des opposants, certains s’interrogeant sur l’utilité de dépenses en cravates ou sur le montant raisonnable d’un déjeuner entre un maire et ses invités. A Lyon, le candidat UDR-RN s’est par exemple plaint sur les réseaux sociaux que “les Lyonnais paient les virées shopping de Grégory Doucet”, le maire de Lyon écologiste, tickets de caisse à l’appui. Mais ces dépenses restent raisonnables et dans les clous : si le maire peut utiliser jusqu’à 3 000 euros de frais de représentation par an, il n’a dépensé que 4 000 euros en tout depuis son arrivée à l’Hotel de ville en 2020. A Leucate, une conseillère municipale d’opposition a déposé une plainte avec Anticor contre le maire, qui dispose d’une enveloppe de 15 000 euros annuels et la dépense sans conserver de justificatifs. “Mes frais correspondent exclusivement aux déplacements liés aux responsabilités nationales que j’assume au sein d’associations où se défendent les communes, le tourisme, le littoral et le nautisme — donc Leucate”, a répondu le maire sur Facebook, qui critique “une campagne d’une rare médiocrité”. UNE TRANSPARENCE PRÉVUE PAR LA LOI Aurore Granero, maître de conférences en droit public et membre de l’Observatoire de l’éthique publique, salue le débat “légitime” sur le sujet, expliquant que “chaque citoyen doit savoir comment est utilisé l’argent public”, mais met en garde sur ses possibles dommages collatéraux. “Il ne faut pas jeter l’opprobre sur l’ensemble des élus, alors que la plupart effectuent leur mandat bénévolement. C’est jeter de l’huile sur le feu”, prévient-elle. D’autant que la question des économies budgétaires revient sans cesse dans le débat. Pour la chercheuse, il faut bien sûr davantage de transparence pour “plus de crédibilité”, mais il faut aussi davantage de pédagogie pour “montrer aux citoyens la lourdeur et les responsabilités des mandats des élus locaux”. Depuis la décision du Conseil d’Etat qui a obligé la maire de Paris à partager ses notes de frais à un journaliste néerlandais, Stefan de Vries, après des années de refus, il est juridiquement incontestable que ces documents doivent être communiqués à tous ceux qui le réclament — et peuvent être aussi publiés. Mais certains élus traînent encore des pieds. L’association Transparence citoyenne, qui a demandé au printemps 2024 les notes de frais des maires de toutes les villes de plus de 10 000 habitants, a dû engager des recours devant les tribunaux dans une dizaine de cas, et si la quasi-totalité des communes se sont depuis exécutées, deux villes résistent encore : Nice, dirigée par Christian Estrosi (Horizons) et Perpignan, tenue par Louis Aliot (Rassemblement national). Nos confrères de Médiacités, qui ont demandé ces documents pour les présidents de région, font encore face au refus de Carole Delga (PS) ou Laurent Wauquiez (LR), obligeant le média local à se tourner vers le tribunal administratif, ou le Conseil d’Etat, saisi — sans succès — par le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, assez hostile à la transparence. FRAIS MÉDIATIQUES, ENGAGEMENTS SYMBOLIQUES ? L’action de Transparence citoyenne, et notamment son combat le plus médiatique sur les notes de frais de la maire de Paris de ces dernières années, a permis d’imposer le sujet des frais de mandat dans le débat médiatique et citoyen. Les frais ont été obtenus de haute lutte par l’association pour Anne Hidalgo. Dans la foulée, la mairie a décidé de partager les mêmes informations pour tous les maires d’arrondissement, transformant les pages politiques des journaux en litanie de marques de luxe et adresses de bonnes tables. Beaucoup des conversations autour des notes de frais prennent leur source dans l’action de Transparence citoyenne — une association fondée notamment par un ancien militant LR et auteur pour le très droitier “Livre noir” (ancêtre de “Frontières”), comme l’avait révélé POLITICO, mais qui se veut apolitique. Les demandes en masse du printemps 2024 devaient alimenter une étude sur les dépenses des élus avant les élections, explique à POLITICO Guillaume Leroy, autre fondateur de l’association. Les refus trop fréquents des municipalités ont cependant repoussé l’échéance. Pour marquer le coup, l’association travaille à une charte autour de sept engagements, à faire signer aux maires et candidats. Ceux-ci s’engageraient entre autres à une publication automatique des notes de frais, à une limitation des frais de bouche et à une transparence sur les invités, imagine Guillaume Leroy. L’association épluche les nombreuses réponses reçues — toutes accessibles en ligne — en essayant de contacter les maires pour comprendre certaines incongruités. Certains, confie encore Leroy, disent ne jamais avoir été contrôlés, ne pas garder les justificatifs et ne pas savoir ce qu’il est possible ou pas de se faire rembourser. Les frais de représentation sont en effet peu encadrés. Ce qui relève ou non de dépenses remboursables est souvent laissé à l’appréciation de l’élu. La Cour des comptes recommande régulièrement aux conseils municipaux d’établir des listes des dépenses acceptables pour poser un cadre. Et de mettre en place un contrôle interne. Le contrôle externe, lui, peut compter sur les candidats aux élections municipales.
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Elections municipales 2026
De l’eldorado au bain de sang : comment TotalEnergies s’est engluée au Mozambique
PARIS — Lorsque Patrick Pouyanné a décidé d’investir des milliards dans un gigantesque gisement de gaz naturel situé dans une zone de guerre, il a pris cette décision seul, après un seul dîner avec la patronne d’un énergéticien concurrent. C’était fin avril 2019, et Vicki Hollub, PDG d’Occidental Petroleum, une société établie à Houston, était engagée dans une bataille à la David contre Goliath avec le mastodonte américain de l’énergie Chevron pour racheter Anadarko, une autre entreprise pétrogazière texane. Warren Buffett était prêt à soutenir Vicki Hollub en apportant 10 milliards de dollars, mais ce n’était pas assez. Alors la femme d’affaires s’est envolée pour Paris afin de rencontrer Patrick Pouyanné, le PDG de la major tricolore, qui s’appelait alors Total, et faisait partie du top 5 des Big Oil. La proposition de Vicki Hollub : le Français investirait 8,8 milliards de dollars en échange des quatre gisements de gaz africains d’Anadarko, dont une vaste réserve en eaux profondes au large du nord du Mozambique, une région en proie à une insurrection islamiste. Patrick Pouyanné, qui avait déjà approché Anadarko au sujet des mêmes actifs, a accepté en quelques minutes. “Quels sont les atouts de Total ?”, a expliqué son PDG lors d’un événement organisé par l’Atlantic Council à Washington quelques semaines plus tard. “Le GNL”, a-t-il répondu, et “le Moyen-Orient et l’Afrique”, régions où l’entreprise est présente depuis ses débuts à l’époque coloniale. “Donc, ça correspond exactement et parfaitement.” Si Total, “une grande entreprise”, peut être “si agile”, a-t-il exposé, c’est grâce à l’efficacité de son processus de décision, entre les mains d’un homme, et à la clarté de sa vision consistant à passer du pétrole au GNL, extrait dans des pays étrangers peu réglementés. “Il s’agiss[ait] juste d’envoyer un e-mail à ma collègue [Hollub]”, a-t-il ajouté. “C’est comme ça qu’on conclut de bons deals.” Six ans plus tard, on peut se demander si Patrick Pouyanné ne s’est pas un peu trop précipité. Le 17 novembre dernier, une ONG européenne de défense des droits humains a déposé une plainte pénale devant le Parquet national antiterroriste français à Paris accusant TotalEnergies de complicité de crimes de guerre, de torture et de disparitions forcées dans le nord du Mozambique. Les allégations portent sur la détention et l’exécution par l’armée mozambicaine de civils autour de la guérite d’une vaste usine de liquéfaction de gaz que TotalEnergies construit sur la péninsule d’Afungi, située au sud de la frontière avec la Tanzanie. Des faits d’abord révélés par POLITICO. La plainte, déposée par le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits humains (ECCHR), une association de défense des droits humains, affirme que TotalEnergies s’est rendue complice de ce qui est désormais appelé le “massacre des conteneurs” en ayant “directement financé et soutenu matériellement” les soldats mozambicains responsables des exécutions, entre juin et septembre 2021. “TotalEnergies savait que les forces armées mozambicaines avaient été accusées de violations systématiques des droits humains, mais a continué à les soutenir dans le seul but de sécuriser ses propres installations”, a déclaré Clara Gonzales, codirectrice du programme sur les entreprises et les droits humains pour l’ECCHR, une association berlinoise d’avocats, spécialisée en droit international, et qui a passé l’année écoulée à corroborer ces atrocités. En réponse à cette plainte, un porte-parole de l’entreprise à Paris a déclaré dans un communiqué : “TotalEnergies prend ces allégations très au sérieux [et] se conformera aux prérogatives légales d’enquête des autorités françaises”. L’année dernière, en réponse aux questions de POLITICO, la major, par l’intermédiaire de sa filiale Mozambique LNG, a déclaré qu’elle “accueillait favorablement les enquêtes menées par les autorités ayant une compétence légitime ou par des organisations véritablement indépendantes, compétentes et impartiales qui fonctionnent de manière transparente”. Cette semaine, le porte-parole a réitéré cette position. Interrogé sur ces meurtres en mai dernier à l’Assemblée, le PDG a estimé que “les gens qui répandent des allégations devraient apporter des preuves de leurs dires ; évidemment, ils n’en ont apporté aucune”. Interrogé cette semaine sur LCI au sujet de cette plainte, Patrick Pouyanné a de nouveau rejeté les accusations, expliquant qu’elles participent d’une “campagne de dénigrement” motivée par le fait que TotalEnergies produit des combustibles fossiles. La plainte pour crimes de guerre s’appuie sur les révélations de POLITICO et d’autres preuves provenant de sources ouvertes. Sur l’année écoulée, les massacres des conteneurs ont été confirmés par Le Monde et Source Material, une ONG britannique de journalisme d’investigation. Le professeur Joseph Hanlon, expert du Mozambique, a également affirmé que ces atrocités sont “bien connues localement” et qu’une enquête menée par UK Export Finance (UKEF) — l’agence de crédit-export du Royaume-Uni, qui examine actuellement l’octroi d’un prêt de 1,15 milliard de dollars au projet de Total — a entendu les témoignages des survivants. Le massacre était apparemment une représaille à une attaque sanglante menée trois mois plus tôt par des rebelles affiliés à l’Etat islamique contre la ville voisine de Palma, qui avait fait 1 354 morts parmi les civils, dont 55 employés de Total, selon un sondage en porte-à-porte conduit par POLITICO. Parmi les personnes assassinées par les djihadistes, 330 ont été décapitées. TotalEnergies a précédemment indiqué que le Mozambique n’avait pas encore publié le bilan officiel du massacre de Palma. En mars, le procureur de la République a annoncé l’ouverture d’une enquête contre TotalEnergies pour homicide involontaire et non-assistance à personne en danger après les accusations contre l’entreprise d’avoir abandonné ses sous-traitants lors du massacre. Après le départ des rebelles, les commandos mozambicains établis dans la concession gazière de Total ont rassemblé 500 villageois et les ont accusés de les soutenir. Ils ont séparé les hommes des femmes et des enfants, violé plusieurs femmes, puis entassé les 180 à 250 hommes dans deux conteneurs métalliques sans fenêtre qui formaient une fortification rudimentaire à l’entrée du site industriel de la major française. Les soldats y ont gardé leurs prisonniers pendant trois mois, sous une chaleur de 30 degrés. Selon onze survivants et deux témoins, certains sont morts asphyxiés. Nourris de poignées de riz et de bouchons de bouteilles d’eau, d’autres sont décédés de faim ou de soif. Quant aux autres, les soldats en ont frappé et torturé bon nombre, puis ils ont commencé à les emmener par groupes et à les exécuter. Seuls 26 hommes ont survécu, sauvés lorsqu’une force d’intervention rwandaise, déployée pour combattre l’Etat islamique, a découvert l’opération. Une deuxième enquête menée de maison en maison par POLITICO a permis d’identifier 97 des personnes tuées ou disparues. Au-delà de la plainte pour crimes de guerre et de l’enquête britannique, ces meurtres font également l’objet de trois autres enquêtes distinctes : celle du procureur général du Mozambique, celle de la Commission nationale des droits de l’homme du Mozambique et celle du Parlement néerlandais, qui examine le financement de 1 milliard de dollars accordé par le gouvernement des Pays-Bas au projet de TotalEnergies. La plainte de cette semaine a été déposée au Parquet national antiterroriste français, dont les attributions comprennent les crimes de guerre. Le procureur décidera s’il y a lieu d’ouvrir une enquête formelle et de nommer un juge d’instruction. Si l’affaire est jugée recevable, TotalEnergies risque un procès pour crimes de guerre. Cela entacherait sérieusement la réputation de cette entreprise, qui occupait autrefois une place centrale dans l’identité nationale française, et de son PDG, dont la détermination sans faille en avait fait une icône du monde des affaires. Si le tribunal venait à déclarer la société ou ses dirigeants responsables des meurtres commis dans les conteneurs, les sanctions pourraient aller d’amendes à, en théorie, des peines de prison pour toute personne incriminée. Comment TotalEnergies en est-elle arrivée là ? Comment Patrick Pouyanné en est-il arrivé là ? “POUYANNÉ PETROLEUM” Né en Normandie en 1963, fils de fonctionnaires — son père était directeur des douanes et sa mère travaillait aux PTT — Patrick Pouyanné s’est hissé parmi l’élite française en étant admis à l’Ecole polytechnique, la plus prestigieuse école d’ingénieurs du pays, puis à l’Ecole des mines, où sont formés les futurs capitaines d’industrie français. Après quelques années dans les cabinets ministériels, notamment celui d’Edouard Balladur à Matignon et de François Fillon aux Technologies, il a rejoint Elf Aquitaine en tant que directeur de l’exploration en Angola en 1996. Il déménagea ensuite au Qatar en 1999, année de la fusion entre Total et Elf, avant d’être nommé directeur général de Total en 2014 après le décès du PDG d’alors, Christophe de Margerie, mort dans un accident d’avion à Moscou. Patrick Pouyanné dirige avec pragmatisme et détermination. “Etre numéro un dans un groupe comme Total […] c’est se retrouver seul”, confiait-il en 2020. “Quand je dis ‘je ne suis pas d’accord’, parfois les murs tremblent. J’en suis conscient.” En une décennie aux manettes, Patrick Pouyanné, 62 ans, a transformé un groupe de 100 000 salariés présent dans 130 pays en un one man show, surnommé avec ironie “Pouyanné Petroleum” dans le secteur. Ses fréquentes apparitions publiques et sa poigne ont fait de lui une figure célèbre du monde des affaires international. “Patrick a fait un excellent travail pour piloter TotalEnergies dans un environnement complexe, délivrer des résultats financiers extrêmement solides, et engager la Compagnie dans la transition énergétique plus rapidement et résolument que ses pairs”, décrivait Jacques Aschenbroich, administrateur référent du groupe, en 2023. “Je ne suis pas sûr que tout le monde est heureux de travailler avec lui”, tempère Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du Centre énergie et climat de l’Institut français des relations internationales (Ifri) confirme : “Son implication est sa force. Peu d’entreprises ont cette vitesse et cette rapidité d’exécution. Il est capable de prendre une décision rapidement, d’une manière beaucoup plus rapide et agile.” Mais, Marc-Antoine Eyl-Mazzega tempère aussi : “Je ne suis pas sûr que tout le monde est heureux de travailler avec lui ; il y a souvent des départs. Il est assez direct et franc.” Les salariés le surnomment “bulldozer”, en raison de sa carrure imposante et ses méthodes autoritaires. Ce surnom n’est pas toujours affectueux. Un ancien cadre de Total qui traitait régulièrement avec lui se souvient d’une personne désagréablement agressive, “tapant du poing sur la table”. Selon le même, cela a eu pour effet de priver les équipes de tout pouvoir : “La structure de Total essaie de deviner ce que Pouyanné veut faire. On ne peut prendre aucune décision sans passer par le PDG.” Auprès de POLITICO, TotalEnergies a qualifié ces descriptions de “déplacées et sans fondement”. “NE NOUS DEMANDEZ PAS DE FAIRE LA MORALE” Ce qui ne fait aucun doute, c’est la manière dont Patrick Pouyanné a utilisé son autorité pour façonner la réponse de Total au grand casse-tête du XXIe siècle en matière de pétrole et de gaz : comment concilier la demande en énergies fossiles et celle visant à en sortir. Sa solution a été de diversifier l’activité, en éloignant l’entreprise des combustibles à fortes émissions pour en faire un fournisseur d’énergie éthique et diversifié, axé sur le gaz à faible teneur en carbone, le solaire et l’éolien, et en s’engageant à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Ce virage a été symbolisé par le changement de nom du groupe, rebaptisé TotalEnergies par Patrick Pouyanné en 2021. Un deuxième élément, moins connu, de la stratégie du PDG a consisté à déplacer les activités restantes dans les énergies fossiles dans des pays qui ne sont pas soumis à la réglementation occidentale. S’adressant au public à Chatham House à Londres en 2017, Patrick Pouyanné a confié que ce qui l’avait décidé à privilégier les réserves pétrogazières situées dans les régions les plus pauvres, les plus éloignées et les moins surveillées de la planète, c’était les sanctions imposées au géant britannique BP aux Etats-Unis à la suite de l’explosion de la plateforme Deepwater Horizon en 2010, qui avait fait 11 morts et provoqué une gigantesque marée noire dans le golfe du Mexique. Aux yeux du Français, ces amendes, comprises entre 62 et 142 milliards de dollars selon les calculs utilisés, représentaient un “risque juridique” excessif pour les activités liées au pétrole et au gaz en Occident. Certes, d’autres territoires à la situation plus instable comportent aussi leur lot de risques. Mais, à Chatham House, Patrick Pouyanné disait estimer le coût d’un échec de tout projet en dehors de l’Occident à un montant, plus gérable, compris entre 2 et 3 milliards de dollars. En matière d’évaluation des risques, c’était une stratégie efficace. “D’autres acteurs mettraient beaucoup de moyens dans des cabinets et écriraient 70 rapports pour conclure qu’un projet est risqué”, avance Marc-Antoine Eyl-Mazzega de l’Ifri. “Patrick Pouyanné, en revanche, est prêt à prendre des risques.” Interrogé par le Sénat en 2024 sur sa façon de déterminer où investir, le patron a reconnu que les calculs économiques importaient plus que l’éthique. “Ne nous demandez pas de faire la morale”, avait-il lancé. “UNE FAILLITE NE METTRA [PAS] TOTAL EN DANGER” Les premiers prospecteurs pétroliers et gaziers sont arrivés dans le nord du Mozambique en 2006. Lorsque Anadarko a découvert du gaz à 40 kilomètres au large des côtes en 2010, on parlait du Mozambique comme du nouveau Qatar. D’une superficie de 10 500 kilomètres carrés, soit environ un tiers de la Belgique, le bloc 1 du bassin de Rovuma était décrit comme un monstre contenant, selon les estimations, 2 100 milliards de mètres cubes de gaz, soit 1% de toutes les réserves mondiales. Un champ voisin, le bloc 4, dont on pensait qu’il en renfermait davantage, a rapidement été racheté par ExxonMobil. Pour faire face au volume de production, le consortium d’Anadarko sur le bloc 1 a élaboré un plan pour la construction d’une usine de liquéfaction de 20 milliards de dollars. Avec le gisement d’ExxonMobil, le coût de l’exploitation du gaz au Mozambique était estimé à 50 milliards de dollars, ce qui en ferait le plus gros investissement privé jamais réalisé en Afrique. Mais en 2017, une insurrection liée à l’Etat islamique est venue menacer ces ambitions. Deux ans avant que TotalEnergies ne rachète les 26,5% de parts d’Anadarko dans le bloc 1, ce qui avait débuté comme une révolte spontanée contre la corruption au sein du gouvernement dans la province du Cabo Delgado au nord s’est transformé en une rébellion islamiste. Les insurgés gagnaient sans cesse du terrain, déplaçant des centaines de milliers de personnes, et procédaient régulièrement à des décapitations massives. L’installation était encore en travaux, mais elle était déjà régulièrement prise pour cible. Elle était gérée par des Européens et des Américains, qui cherchaient à faire gagner de l’argent à des entreprises situées à des milliers de kilomètres, tout en déplaçant 2 733 villageois pour construire leur concession et en interdisant aux pêcheurs d’accéder aux eaux autour de leurs sites de forage. Après plusieurs attaques contre des véhicules entrant et sortant de l’usine, les djihadistes ont tué deux personnes travaillant sur le projet lors d’une attaque dans un village et ont démembré un chauffeur sur la route en février 2019. Un autre risque venait du fait que le port d’armes était interdit aux étrangers. L’usine dépendait donc de l’armée et de la police mozambicaines pour sa sécurité, deux institutions dont les crimes et la répression sont connus et bien documentés. Au début, Patrick Pouyanné semblait serein. Le champ de gaz échappait au droit occidental et international, Maputo n’ayant pas ratifié le Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale. Et le Français semblait considérer la poursuite de projets à haut risque et à haut rendement comme une obligation pour une entreprise aux moyens financiers importants. En mai 2019, peu après avoir signé le contrat d’Afungi, il a déclaré à l’Atlantic Council que Total était une entreprise si grande qu’elle n’avait pas à s’inquiéter, du moins pas comme d’autres entreprises ou pays moins importants. “Nous aimons le risque, c’est pourquoi nous avons décidé de nous lancer dans l’aventure mozambicaine”, avait-il lancé. “Même dans le cas d’une faillite, [ça] ne mettra [pas] Total en danger.” En septembre 2019, lorsque le rachat par Total a été officiellement finalisé, l’entreprise a assuré dans un communiqué de presse : “Le projet Mozambique LNG est largement dérisqué.” “La mention ‘largement dérisqué’ renvoie aux fondamentaux commerciaux et financiers du projet”, a répondu TotalEnergies dans l’une de ses nombreuses déclarations à POLITICO. “En déduire que c’était rejeter les préoccupations en matière de sécurité revient à méconnaître fondamentalement le fonctionnement du secteur.” Pourtant, pour les personnes travaillant sur le projet, cette déclaration était surprenante, étant donné qu’un employé de Mozambique LNG avait récemment été découpé en morceaux. A peu près à la même époque, les chefs de projet d’Anadarko, dont beaucoup travaillaient désormais pour Total, ont tenté d’alerter leur nouveau patron sur le danger que représentait l’insurrection. C’est pourtant lorsqu’ils ont rencontré Patrick Pouyanné que “tout a commencé à se dégrader”, relate l’un d’eux. L’équipe, qui a travaillé pendant des années sur le projet au Mozambique, a ri jaune lorsque le PDG est venu leur faire un discours “sur la brillante stratégie de Total et la manière brillante dont Total allait mener à bien ce projet”, raconte un autre. Patrick Pouyanné a ajouté qu’il avait “un héros français” à la tête de la sécurité de l’entreprise : Denis Favier, qui dirigeait le GIGN lors de la prise d’otages de Marignane en 1994, et qui a mené la traque des frères Kouachi après l’attentat de Charlie Hebdo en 2015 en tant que directeur de la gendarmerie nationale. “C’est facile pour lui”, considérait Patrick Pouyanné. Interrogée sur la transition d’Anadarko à Total, la major française a affirmé qu’elle était attentive à toutes les préoccupations exprimées par les anciens employés d’Anadarko. “Nous n’avons pas connaissance d’un tel rejet des préoccupations en matière de sécurité par TotalEnergies ou sa direction”, a déclaré la société. “Il est incorrect d’affirmer que les conseils venus du terrain n’ont pas été écoutés.” Pourtant, après avoir rencontré Patrick Pouyanné, l’ancienne équipe d’Anadarko a réuni son personnel au Mozambique pour les briefer sur leur nouveau patron, selon une personne présente. “Eh ben putain”, a lancé un chef de projet. “Nous avons un problème.” “TRÈS VULNÉRABLE” Un troisième ancien employé d’Anadarko, qui est resté travailler pour Total, affirme que, lorsque la major française a pris le relais, elle a également suspendu la décision de transférer la plupart des prestataires et du personnel des hôtels et des complexes de Palma vers son site protégé d’Afungi, une mesure coûteuse qu’Anadarko prévoyait de prendre en réponse à la détérioration de la sécurité. “J’avais travaillé tellement dur pour éliminer ce danger”, se désole cet employé. “Palma était très vulnérable. Presque personne n’était censé [y] être. Mais Total ne voulait pas m’écouter.” D’autres mesures, comme regrouper les flux de véhicules venant ou partant d’Afungi en convois escortés par des drones, ont également pris fin. Un sous-traitant qui traversait régulièrement le territoire rebelle a décrit la différence entre Anadarko et Total comme “le jour et la nuit”. Puis, en juin 2020, les rebelles ont pris la ville de Mocimboa da Praia et tué au moins huit sous-traitants. Fin décembre de la même année, ils ont lancé une nouvelle offensive qui les a menés aux portes de Total. A ce moment-là, Patrick Pouyanné a fait marche arrière et a pris en charge personnellement la supervision des opérations de sécurité, selon le premier responsable d’Anadarko cité. Bien qu’il n’ait aucune expertise en matière de sécurité, “[il] a dû se plonger dans les moindres détails”. Le deuxième cadre a confirmé ces propos. “Il est passé de ‘Je m’en fiche, nous avons les meilleurs agents de sécurité du secteur pour gérer cela’ à ‘Oh mon Dieu, c’est un désastre, laissez-moi micromanager et tout diriger’”, retrace-t-il. Le groupe “n’avait connaissance d’aucune […] critique selon laquelle Patrick Pouyanné manquerait de l’expertise nécessaire”, a déclaré TotalEnergies, ajoutant que son PDG avait “une expérience directe des évacuations d’urgence [depuis] que Total avait dû évacuer son personnel du Yémen en 2015”. La progression des insurgés vers les abords d’Afungi a incité le dirigeant à ordonner l’évacuation de tout le personnel de TotalEnergies. En revanche, de nombreux prestataires et sous-traitants, dont certains avaient pris du retard en raison du Covid, ont reçu l’ordre de continuer à travailler, selon des échanges d’e-mails entre prestataires consultés par POLITICO. “Mozambique LNG n’a fait aucune distinction entre ses propres employés, ses prestataires ou ses sous-traitants lorsqu’elle a donné ces instructions”, a assuré le groupe, précisant qu’il n’était pas responsable des décisions de ses prestataires. Puis, en février 2021, Patrick Pouyanné s’est rendu à la capitale Maputo pour négocier un nouvel accord de sécurité avec le président mozambicain de l’époque, Filipe Nyusi. A l’issue de cette rencontre, les deux hommes ont annoncé la création d’une Joint Task Force, une unité de 750 soldats et policiers armés qui serait stationnée à l’intérieur du complexe. L’accord prévoyait que ces troupes protégeraient un rayon de 25 kilomètres autour de l’usine, y compris Palma et plusieurs villages. Dans la pratique, en concentrant des centaines de soldats et de policiers à l’intérieur du périmètre clôturé, Palma s’est retrouvée relativement exposée. “Il est inexact d’affirmer que Palma était mal défendue”, a démenti l’entreprise. “Cependant, il est indéniable que ces forces de sécurité ont été dépassées par l’ampleur et la violence des attentats terroristes de mars 2021.” TotalEnergies a également ajouté qu’il n’était pas exact de dire que “Patrick Pouyanné a personnellement géré l’accord de sécurité mettant en place la Joint Task Force”. “UNE CATASTROPHE” A l’époque, les conseillers en droits humains du groupe mettaient en garde qu’en renforçant l’alliance de TotalEnergies avec les services de sécurité mozambicains par la création de la Joint Task Force — à laquelle l’entreprise avait accepté de verser ce qu’elle qualifie d’“indemnités de difficulté” par l’intermédiaire d’un tiers, ainsi que de la fournir en équipement et de l’héberger dans son enceinte —, Patrick Pouyanné la rendait de fait partie prenante au conflit et l’impliquait dans toute violation des droits humains commise par les soldats. Tout aussi inquiétante était l’insistance de TotalEnergies, selon un responsable de la sécurité de l’usine et le compte rendu d’une présentation du groupe sur la sécurité communiqué dans le cadre d’une demande d’accès à l’information aux Pays-Bas, pour que toutes les décisions importantes en matière de sécurité soient prises par une équipe dédiée de 20 personnes située à 8 000 kilomètres de là, à Paris. Cette centralisation semble expliquer pourquoi, lorsque les islamistes ont finalement envahi Palma le 24 mars 2021, Total a été parmi les derniers à en être informés. Un prestataire occidental, responsable de la sécurité, a expliqué avoir retiré son personnel 10 jours avant l’assaut, sur la base d’informations dont il disposait concernant la présence d’armes à feu et de jeunes hommes prépositionnés dans la ville. Dans les jours qui ont précédé l’attaque, les villageois des environs de Palma ont averti leurs amis et leurs proches en ville qu’ils avaient vu les islamistes avancer. Des messages WhatsApp consultés par POLITICO indiquent que des sous-traitants ont signalé la même chose à la sécurité de l’usine les 22 et 23 mars. Pourtant, à 9 heures du matin le 24 mars, TotalEnergies à Paris annonçait que la situation était sûre et que son personnel pouvait y retourner. Quelques heures plus tard, les islamistes attaquaient. “Ni Mozambique LNG ni TotalEnergies n’ont reçu d’‘avertissements préalables’ spécifiques concernant une attaque imminente avant le 24 mars”, a déclaré le groupe. Face à une avancée sur trois fronts de plusieurs centaines d’assaillants, le responsable de la sécurité de l’usine a déclaré que le management vertical de TotalEnergies était incapable d’y faire face. Le personnel sur le terrain n’a pas pu réagir à l’évolution de la situation, paralysé par la nécessité de demander l’approbation de Paris pour toute décision. Selon le responsable de la sécurité, le bureau national de Total à Maputo était également dans le flou, incapable de suivre les événements en temps réel ni autorisé à réagir. “QUI PEUT NOUS AIDER ?!” Deux décisions, prises au moment où l’attaque se déroulait, ont aggravé les ravages causés par les islamistes. La première a été le refus de Total de fournir du kérosène au Dyck Advisory Group (DAG), une petite société militaire privée sous-traitante de la police mozambicaine. La police et l’armée ayant été débordées, les petits hélicoptères du DAG représentaient la seule force militaire opérationnelle à Palma et la seule unité effectuant des sauvetages humanitaires. Mais les hélicoptères du DAG étaient limités par le faible approvisionnement en carburant, ce qui les obligeait à voler pendant une heure pour se ravitailler et à immobiliser leur flotte par intermittence. Etant l’un des plus grands fabricants mondiaux de kérosène et disposant de stocks importants dans son usine, Total était en mesure d’apporter son aide. Mais lorsque le DAG l’a sollicité à Paris, le groupe français a refusé. “La décision venait d’en haut”, a affirmé Max Dyck, le directeur de DAG, “et c’était ainsi que les choses devaient se passer”. Total a reconnu avoir refusé de fournir du carburant à DAG — en raison de préoccupations liées à l’historique de cette entreprise en matière de droits humains, selon la major —, mais a mis du carburant à la disposition des services de sécurité mozambicains. DAG a depuis engagé un avocat pour enquêter sur son passif, qui l’a innocenté. Une deuxième décision problématique fut un ordre, venant des cadres de Total à Paris dans les mois précédant le massacre, selon le responsable de la sécurité du site, qu’en cas d’attaque des rebelles, les gardes à l’entrée de la concession ne devaient laisser entrer personne. Cette instruction ne pouvait avoir été donnée que par quelqu’un qui ne connaissait pas la géographie de la région, a considéré le responsable de la sécurité du site. Si les islamistes bloquaient les trois routes menant à Palma, comme le prescrivent les tactiques conventionnelles, les seules issues possibles pour les 60 000 habitants seraient la mer ou les airs, deux voies qui passent par les infrastructures de TotalEnergies, avec son port et son aéroport. En bloquant le passage aux civils, l’entreprise les exposerait au danger. C’est ce qui s’est passé. TotalEnergies s’est rapidement retrouvée avec 25 000 civils en fuite à ses portes, selon un rapport interne de l’entreprise obtenu grâce à une demande d’accès à l’information déposée par Recommon, une ONG italienne. Parmi la foule se trouvaient des centaines de sous-traitants et d’ouvriers. Des témoins ont décrit à POLITICO des familles suppliant les gardes de TotalEnergies de les laisser entrer. Des mères tendaient leurs bébés pour qu’ils soient déposés devant les portes. Mais, depuis Paris, l’entreprise a refusé d’autoriser ses gardes à ouvrir. Le 28 mars, cinquième jour de l’attaque, la direction à Paris a autorisé un ferry à évacuer 1 250 employés et ouvriers du site, puis à effectuer un seul aller-retour pour récupérer 1 250 civils qui s’étaient introduits dans le périmètre, laissant encore des dizaines de milliers de personnes bloquées à ses portes. Le 29 mars, un responsable des relations communautaires de TotalEnergies à Paris a passé un appel paniqué à Caroline Brodeur, une connaissance chez Oxfam America. “Il m’a dit : ‘Il y a une situation sécuritaire très grave au Mozambique !’”, se souvient Caroline Bordeur. “‘Une escalade de la violence ! Nous devons évacuer les gens ! Qui peut nous aider ? Quelle ONG peut nous soutenir sur le plan logistique ?’” Trente minutes plus tard, le même a rappelé. “Attendez”, lui a-t-il dit. “Ne faites rien”, expliquant avoir été empêché par les cadres de TotalEnergies. Aucune personne extérieure ne devait être impliquée. “Je pense qu’il essayait de faire ce qu’il fallait”, a estimé Caroline Brodeur lors d’un échange avec POLITICO. “Mais après cela, Total est restée silencieuse.” Au cours des deux mois suivants, les djihadistes ont tué des centaines de civils à Palma et dans les environs, ainsi que sur le site de Total, avant d’être chassés par la force d’intervention rwandaise. Pour le deuxième ex-cadre d’Anadarko et de Total, les rebelles auraient pu attaquer Palma, quel que soit le responsable du projet gazier. Mais la gestion lointaine et centralisée de Total a rendu “la catastrophe […] inévitable”. TotalEnergies a déclaré que sa réponse à l’attaque “avait atténué autant que possible les conséquences”. Confirmant l’appel téléphonique à Oxfam, le groupe a ajouté : “Aucun membre de TotalEnergies n’a cherché à empêcher toute aide extérieure.” Et il a particulièrement insisté sur le fait que Patrick Pouyanné n’était pas en faute. “Les accusations selon lesquelles la gestion de TotalEnergies par Patrick Pouyanné aurait exacerbé les ravages causés par les attaques au Mozambique sont totalement infondées”, a-t-elle souligné. “Patrick Pouyanné prend très au sérieux la sécurité et la sûreté du personnel.” Lors d’une interview donnée à LCI, Patrick Pouyanné a défendu les actions de son entreprise. “Nous avons complètement évacué le site”, a-t-il déclaré. “On n’était pas présent à ce moment-là.” Il a ajouté qu’il considérait que TotalEnergies — dont les équipes ont aidé “plus de 2000 civils à évacuer la zone” — “avait mené des actions héroïques”. “UN DÎNER PRESQUE PARFAIT” Les déboires de TotalEnergies au Mozambique s’inscrivent dans un contexte plus large dans lequel l’entreprise a vu son rang et son image se détériorer. Des manifestations pour le climat avaient pour rituel de se tenir chaque année devant son assemblée générale, dans le centre de Paris, jusqu’en 2023, où la police a dispersé les militants à coups de matraques et de gaz lacrymogènes. Depuis deux ans, TotalEnergies s’est retranchée derrière un barrage de contrôles de sécurité et de policiers antiémeutes dans ses bureaux de La Défense. Alors que le groupe envisageait 2024, date de son centenaire, comme une année de fête, elle l’a surtout passée à regarder son apogée dans le rétroviseur. Lorsque Patrick Pouyanné a pris la direction de Total en 2014, elle était la plus grande entreprise française et la 37e au niveau mondial. Aujourd’hui, elle est la 7e en France et ne figure même pas dans le top 100 mondial. Plusieurs médias ont profité du centenaire de TotalEnergies pour pointer du doigt ses tares répétées en matière de pollution, de corruption, de sécurité des travailleurs et de changement climatique. Patrick Pouyanné est également à l’origine d’une rupture avec l’establishment français. Lorsqu’il a suggéré l’année dernière de coter la multinationale à New York pour booster le cours de l’action, Emmanuel Macron l’a réprimandé en public. Le fossé s’est creusé davantage quelques semaines plus tard quand la commission d’enquête du Sénat sur TotalEnergies a recommandé dans ses conclusions que l’Etat entre au capital du groupe par un mécanisme lui offrant un droit de regard et de veto sur certaines décisions. L’entreprise a fait l’objet de cinq poursuites judiciaires distinctes, civiles et pénales, pour violation de la loi en matière de protection du climat et d’éthique des affaires. Dans une sixième affaire, intentée par des associations écologistes à Paris le mois dernier, un juge a ordonné à TotalEnergies de retirer de son site web un message affirmant que la société contribuait à la lutte contre le changement climatique. Compte tenu de ses investissements continus dans les énergies fossiles, cette affirmation était trompeuse, a estimé le juge, qui a ordonné à TotalEnergies de remplacer son message et d’afficher la décision du tribunal. La militante suédoise Greta Thunberg, elle aussi, a mené des manifestations contre l’oléoduc de TotalEnergies en Afrique de l’Est. Ce projet, qui vise à transporter du pétrole sur 1 600 kilomètres depuis l’Ouganda jusqu’à l’océan Indien en passant par la Tanzanie, est également accusé de violations des droits humains, ce qui lui vaut les critiques du Parlement européen ainsi que de 28 banques et 29 compagnies d’assurance qui ont refusé de le financer. Patrick Pouyanné a également vu son image personnelle ternie. Le patron était sous le feu des critiques en 2022 : alors que les Français venaient à peine de traverser la crise du Covid et affrontaient la flambée des prix des carburants, lui défendait son salaire annuel de 5 944 129 euros. Dans un tweet, il se disait “fatigué” d’être accusé d’avoir bénéficié d’une augmentation de 52%. Son salaire, avait-il ajouté, avait simplement été ramené à son niveau d’avant la pandémie. Du jour au lendemain, il est devenu le visage inacceptable du capitalisme français. “Pouyanné vit dans une autre galaxie, très très lointaine”, commentait un chroniqueur télé. Sous une photo du PDG, le député Insoumis Thomas Portes avait tweeté : “Un nom, un visage. Le bloqueur du pays.” Ce ressentiment est si vif et si répandu qu’en 2023, l’entreprise a publié un guide à l’intention de ses employés sur la manière de le gérer. Intitulé “Un dîner presque parfait”, ce livret présente des arguments et des données que les salariés peuvent utiliser pour répondre aux éventuelles critiques de leurs proches. “Avez-vous déjà été interrogés, lors d’un dîner en famille ou entre amis, sur une polémique concernant la Compagnie ?”, peut-on y lire. “Aviez-vous les éléments factuels nécessaires pour répondre à vos convives ?” “FAUSSES ACCUSATIONS” La plainte pour crimes de guerre a été déposée en France, alors que les faits supposés se sont déroulés au Mozambique, parce que celle-ci indique que le pays d’établissement de TotalEnergies établit la compétence juridictionnelle. Cette affaire illustre l’extension de la justice internationale, à savoir la poursuite dans un pays de crimes commis en dehors de son territoire. Né à Nuremberg et à Tokyo au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le mouvement en faveur de la justice internationale a récemment vu ses principes utilisés par des tribunaux nationaux et internationaux pour traduire en justice des chefs de guerre et des dictateurs, ainsi que par des tribunaux nationaux pour poursuivre des citoyens ou des entreprises impliqués dans des abus commis à l’étranger, là où les systèmes judiciaires locaux sont faibles. Les tribunaux américains ont ordonné à ExxonMobil et au géant de la banane Chiquita de comparaître pour complicité dans les atrocités commises à la fin des années 1990 et au début des années 2000 par des soldats ou des milices payés pour protéger leurs sites, respectivement en Indonésie et en Colombie. Exxon a conclu un accord une semaine avant l’ouverture de son procès en 2023. En juin 2024, un tribunal de Floride a condamné Chiquita à verser 38 millions de dollars aux familles de huit Colombiens assassinés ; l’appel de Chiquita a été rejeté en octobre de la même année. En Suède, deux dirigeants de Lundin Oil sont actuellement jugés pour complicité de crimes de guerre après que les troupes soudanaises et les milices gouvernementales ont tué environ 12 000 personnes entre 1999 et 2003 en nettoyant la zone autour d’un site de forage de l’entreprise. Les dirigeants nient les accusations portées contre eux. L’ECCHR a engagé plusieurs procédures judiciaires dans différents pays. En 2016 notamment, elle a déposé avec l’ONG Sherpa une plainte pénale à Paris contre le cimentier Lafarge, accusant son usine syrienne d’avoir versé des millions de dollars à l’Etat islamique en échange de sa protection. Lafarge et huit de ses dirigeants sont jugés à Paris ce mois-ci pour financement du terrorisme et violation des sanctions internationales — des accusations qu’ils réfutent. La plainte pour crimes de guerre contre TotalEnergies cite des documents internes, obtenus grâce à des demandes d’accès à l’information en Italie et aux Pays-Bas, qui montreraient que le personnel du site savait que les soldats commettaient régulièrement des violations des droits humains contre des civils alors qu’ils travaillaient pour l’entreprise. Il y avait “des accusations régulières de la communauté concernant des violations des droits humains commises par la JTF [Joint Task Force]”, peut-on lire dans l’un de ces documents, notamment “des violences physiques et des arrestations/disparitions”. Le rapport fait également référence à “des soldats qui auraient été présumés impliqués dans une affaire [de droits humains] en août [2021]”. Ces faits ont été jugés si graves que TotalEnergies a suspendu le paiement des salaires des 1 000 soldats de la Joint Task Force et que l’armée a expulsé 200 d’entre eux de la région, selon le document interne. La plainte déposée par l’ECCHR est contre TotalEnergies et contre X, afin de laisser ouverte la possibilité d’ajouter les noms de dirigeants de l’entreprise non spécifiés. Parmi les personnes citées dans les 56 pages du document figurent Patrick Pouyanné et cinq autres dirigeants et salariés de TotalEnergies. Denis Favier, le responsable de la sécurité de l’entreprise, n’en fait pas partie. TotalEnergies a refusé de rendre disponibles ses  dirigeants ou les responsables de sa sécurité pour des interviews. Interrogé en avril 2024 par le Sénat sur les activités de son entreprise au Mozambique, le PDG a affirmé pouvoir “assurer la sécurité de l’enceinte industrielle dans laquelle [il] pourrai[t] opérer, mais non de la région”, soulignant que “la sécurité du Cabo Delgado relève de la responsabilité non pas de TotalEnergies, mais de l’Etat du Mozambique”. Interrogé en mai dernier par l’Assemblée nationale sur les exécutions dans les conteneurs, Patrick Pouyanné a réaffirmé sa confiance dans l’Etat mozambicain en déclarant : “Ces pays progresseront si nous avons confiance dans leurs institutions. Nous devons cesser de leur faire la leçon à tout propos.” Oubliant apparemment qu’il avait contribué à négocier un accord de sécurité prévoyant le déploiement de soldats mozambicains dans les locaux de Total, il a ajouté : “Je vous confirme que TotalEnergies n’a rien à voir avec l’armée du Mozambique.” Un porte-parole de l’entreprise a précisé cette semaine que “TotalEnergies n’est pas impliqué dans les opérations, le commandement ou la gestion des forces armées mozambicaines”. Outre la plainte pour crimes de guerre, les activités de TotalEnergies au Mozambique font déjà l’objet d’une information judiciaire ouverte en mars en France. L’entreprise est accusée d’homicide involontaire pour ne pas avoir assuré la sécurité de ses sous-traitants restés à Palma lorsque de l’attaque par le groupe lié à l’Etat islamique. Alors que POLITICO avait déjà révélé que 55 travailleurs du projet avaient été tués, TotalEnergies, par l’intermédiaire de sa filiale Mozambique LNG, a initialement affirmé n’avoir perdu aucun employé. “Tous les employés de Mozambique LNG, ses prestataires et ses sous-traitants, ont été évacués en toute sécurité du site du projet Mozambique LNG”, a déclaré Maxime Rabilloud, directeur général de Mozambique LNG, à POLITICO l’année dernière. Malgré cette affirmation, la mort d’au moins un sous-traitant britannique, Philip Mawer, fait l’objet d’une enquête officielle au Royaume-Uni. En décembre 2024, le service de presse du groupe à Paris a changé sa position sur l’attaque de Palma. “TotalEnergies n’a jamais nié la tragédie qui s’est produite à Palma et a toujours reconnu la perte tragique de vies civiles”, a-t-il déclaré à POLITICO. Pour la première fois, il a également admis qu’un “petit nombre” de travailleurs du projet avaient été stationnés à l’extérieur de son complexe sécurisé pendant l’attaque et exposés au carnage. L’enquête pour homicide involontaire prendra des années. La décision d’ouvrir une enquête formelle sur les nouvelles accusations portées contre TotalEnergies pour complicité de crimes de guerre, sans parler de porter l’affaire devant les tribunaux, ne devrait pas arriver avant 2026, au plus tôt. L’homicide involontaire est passible d’une peine de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende, pouvant même aller jusqu’à cinq ans et 75 000 euros en cas de “violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité”. Pour la complicité de crimes de guerre, la peine peut aller de cinq ans à la perpétuité. “POUVEZ-VOUS RÉELLEMENT VOUS REGARDER DANS LE MIROIR ?” Ces accusations de crimes de guerre ajoutent une nouvelle incertitude aux efforts déployés depuis vingt ans pour développer les gisements gaziers du Mozambique. Au lendemain du massacre de Palma en 2021, TotalEnergies a déclaré un cas de “force majeure”, une mesure juridique permettant de suspendre le projet en raison d’événements exceptionnels. Les quatre années et demie d’arrêt qui ont suivi ont coûté 4,5 milliards de dollars à TotalEnergies, en plus des 3,9 milliards que Patrick Pouyanné a débloqués pour racheter les parts d’Anadarko dans Mozambique LNG. Des milliards de dollars supplémentaires sont à prévoir avant que le site ne commence enfin à produire du gaz, ce qui, selon les prévisions actuelles de Total, devrait intervenir en 2029. L’information judiciaire pour homicide involontaire et la plainte pour crimes de guerre pourraient entraîner de nouveaux retards en déclenchant des procédures au titre du devoir de vigilance chez les investisseurs de TotalEnergies, les empêchant ainsi d’accorder des prêts de 14,9 milliards de dollars, sans lesquels Patrick Pouyanné a prévenu que son projet phare s’effondrerait. Par ailleurs, un prêt d’une agence gouvernementale américaine de 4,7 milliards de dollars à Total fait également l’objet d’une contestation en justice par les Amis de la Terre. Un porte-parole de TotalEnergies a déclaré cette semaine que le projet était en mesure de “satisfaire aux exigences en matière de due diligence requises par les prêteurs”. Tout cela intervient alors que la situation sur le terrain reste instable. Après une contre-offensive rwandaise réussie de 2021 à 2023, l’insurrection a repris, les islamistes menant des raids à travers Cabo Delgado, notamment à Palma et dans le port régional de Mocimboa da Praia. Selon l’Organisation internationale pour les migrations, 112 185 personnes ont fui les violences entre le 22 septembre et le 13 octobre. Parmi les personnes tuées au cours des derniers mois, deux travaillaient pour le projet gazier : un traiteur, assassiné à Palma, et un agent de sécurité, décapité dans un village au sud de la ville. L’entreprise a régulièrement répété que les récentes évolutions juridiques et la recrudescence des attaques des groupes liés à l’Etat islamique n’auront aucune incidence sur son projet de réouverture officielle de ses activités au Mozambique d’ici la fin de l’année. “Cette nouvelle plainte n’a aucun lien avec l’avancement du projet Mozambique LNG”, a indiqué un porte-parole cette semaine. Patrick Pouyanné lui-même a également passé une grande partie de cette année à insister sur le fait que le projet était “de nouveau sur les rails” et que son financement était assuré. En octobre, le groupe a levé la clause de force majeure afin de relancer le projet. Toutefois, dans une lettre consultée par POLITICO, Patrick Pouyanné a également écrit au président mozambicain Daniel Chapo pour lui demander de prolonger de dix ans sa licence de forage et de lui accorder 4,5 milliards de dollars afin de couvrir ses dépassements de coûts. Le Mozambique — dont le PIB s’élevait à 22,42 milliards de dollars en 2024, soit environ un dixième du chiffre d’affaires annuel de TotalEnergies (195,61 milliards de dollars) — n’a pas encore répondu. Une dernière question se pose pour le PDG de TotalEnergies : une accusation officielle de crimes de guerre va-t-elle alimenter l’opposition à son leadership parmi les actionnaires ? Lors de l’assemblée générale annuelle de 2024, un cinquième des actionnaires a rejeté la stratégie de transition climatique de l’entreprise, la jugeant trop lente, et un quart a refusé de soutenir Patrick Pouyanné pour un quatrième mandat de trois ans. En 2025, plusieurs investisseurs institutionnels ont exprimé leur opposition à Patrick Pouyanné en votant contre sa rémunération. Cependant, il semble peu probable que sa popularité s’améliore, en interne comme en externe. “Patrick Pouyanné, c’est le meilleur ennemi de tout le monde, c’est un bouc émissaire sur lequel on adore taper”, relève Olivier Gantois, président de l’Ufip-EM, un lobby du pétrole et du gaz. Récemment, le PDG de 62 ans a commencé à se montrer inhabituellement plaintif. Lors de l’assemblée générale de TotalEnergies en 2022, il avait notamment lancé que les actionnaires rebelles “n’aiment pas les émissions” de CO2, mais “ils aiment le dividende”. A celle de l’année dernière, il s’était plaint du fait que le groupe se trouvait dans une position impossible. “Nous essayons de trouver un équilibre entre la vie d’aujourd’hui et celle de demain”, avait-il énoncé. “Ce n’est pas parce que TotalEnergies s’arrêtera de produire [des énergies fossiles] que la demande disparaîtra.” Les statuts de TotalEnergies exigent que Pouyanné prenne sa retraite avant ses 67 ans, qu’il aura en 2030, soit à peu près au moment où TotalEnergies prévoit actuellement de commencer la production de gaz au Mozambique. Henri Thulliez, l’avocat qui a déposé les deux plaintes pénales contre TotalEnergies à Paris, prédit que les successeurs de Patrick Pouyanné seront moins attachés au projet, pour la simple et bonne raison que le Mozambique s’est avéré être un mauvais pari. “Vous investissez des milliards dans le projet, et celui-ci est complètement suspendu depuis quatre ans maintenant”, pointe Henri Thulliez. “Tous vos financeurs hésitent. Vous êtes potentiellement confronté à deux procès en France, et peut-être aussi ailleurs plus tard. Vous devez vous demander : à quoi sert tout cela ?” Quant à Patrick Pouyanné, deux questions hanteront ses dernières années chez TotalEnergies, suggère-t-il. Premièrement : “Les actionnaires peuvent-ils se permettre de vous garder à votre poste ?” Deuxièmement : “Pouvez-vous réellement vous regarder dans le miroir ?” Aude Le Gentil et Alexandre Léchenet ont contribué à cet article, qui a été initialement publié en anglais par POLITICO, puis édité en français par Jean-Christophe Catalon.
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