PARIS — Trop, c’est trop ? Après une année politique sens dessus dessous, le
Conseil constitutionnel se retrouve sous une masse de dossiers à traiter
rapidement cet été, au point que Richard Ferrand, qui préside la haute
juridiction depuis mars, a lui-même lancé l’alerte auprès de l’exécutif.
S’il ne l’a fait que de façon informelle, l’ancien président de l’Assemblée a en
effet interpellé le ministre des Relations avec le Parlement, Patrick Mignola,
sur le risque d’un embouteillage de textes arrivant Rue de Montpensier en cette
fin de saison parlementaire, selon les informations de POLITICO. “On est en
limite de capacité”, a-t-il prévenu en substance, constatant que les Insoumis
saisissent désormais “quasi systématiquement” les Sages après l’adoption d’un
texte.
Le Conseil vient d’ailleurs de rendre jeudi une décision sur la loi relative au
droit de vote par correspondance des personnes détenues, à la suite d’une
saisine par les élus mélenchonistes.
De plus, plusieurs lois ont été adoptées définitivement au cours de la session
extraordinaire de ce mois de juillet : parmi ces réformes “volumineuses et
importantes”, souligne une source au Conseil constitutionnel, le changement du
mode de scrutin à Paris-Lyon-Marseille, la loi pour la refondation de Mayotte,
la proposition de loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes
condamnées pour des faits particulièrement graves, ou encore la proposition de
loi dite Duplomb sur les contraintes du métier d’agriculteur.
Cette future loi a fait l’objet de trois saisines à elle toute seule : deux par
les députés (LFI, Ecologistes, PCF d’un côté ; PS de l’autre) et une par la
gauche sénatoriale réunie. Or, les Sages n’ont qu’un délai de trente jours pour
se prononcer lorsqu’ils sont saisis par les parlementaires.
D’après les chiffres réunis par POLITICO, 2025 rassemble déjà un nombre très
élevé de saisines : 16 en juillet, alors que l’année est loin d’être terminée.
C’est plus, par exemple, que lors des trois dernières sessions parlementaires.
Recordman de la discipline, La France insoumise a lancé ou participé à 11
d’entre elles en 2025, et devrait donc battre son record de 2023 (12 saisines).
“On ne va pas s’en excuser, c’est un droit fondamental”, souligne Gabrielle
Cathala. Selon la députée LFI, “plusieurs textes votés par le socle commun avec
l’extrême droite ont réduit les libertés” ces derniers mois.
Elle en veut pour preuve la loi sur la justice des mineurs délinquants, poussée
par le patron des députés EPR Gabriel Attal et “largement censurée” par les
Sages en juin, après une triple saisine des parlementaires, dont les troupes de
Mathilde Panot.
Autre nouveauté majeure depuis 2022 : les Insoumis sont assez nombreux pour
saisir seuls le Conseil constitutionnel, un droit accordé dès 60 signatures
réunies, et sans limite de textes pouvant être déférés devant la haute
juridiction.
DES SERVICES “SOUS-DIMENSIONNÉS”
L’effet “voiture-balai” de cette somme de textes et de saisines, un an après la
dissolution, se conjugue aussi avec la pluie de questions prioritaires de
constitutionnalité (QPC) qui s’abat sur Richard Ferrand et ses équipes.
Un nombre “quasi record” de QPC a été déposé, nous a glissé la même source
interne, “puisqu’à juillet 25, nous avons sur le premier semestre autant de
questions que pour toute l’année 24”.
“Les services font un travail gigantesque, mais ils sont sous-dimensionnés”,
analyse Benjamin Morel. Selon le maître de conférence en droit public à
l’université Paris-Panthéon-Assas, le Conseil constitutionnel n’a jamais été
renforcé, depuis 2008, pour répondre aux contentieux générés par le flot de QPC,
qui permettent à chacun de contester une loi avant le jugement d’une affaire.
Le constitutionnaliste intervient lui-même devant les groupes politiques de
toutes sensibilités, à leur demande, pour se prononcer sur la constitutionnalité
de telle ou telle disposition. “Il y a eu un basculement avec la loi immigration
de 2023. Avant, l’argument de l’inconstitutionnalité était perçu comme embêtant
par les parlementaires”, constate-t-il. Et désormais ? “L’argument est… beaucoup
moins déterminant.”
Cette situation ne risque pas s’améliorer grâce à un surcroît de moyens. D’après
le premier aperçu du projet de loi de finances 2026, l’enveloppe budgétaire dans
laquelle sont logés les crédits dévolus au Conseil constitutionnel est gelée
l’année prochaine. A moins de piocher dans d’autres poches (l’Assemblée, le
Sénat ou l’Elysée sont dans cette même enveloppe), Richard Ferrand devra
continuer de faire plus avec autant. Une année blanche pour tous, en somme.
Alexandre Léchenet a contribué à cet article.