LONDRES — Le gouvernement britannique envisage d’interdire les dons en
cryptomonnaies aux partis politiques, ce qui pourrait sonner l’alerte chez
Reform UK et son leader Nigel Farage.
En pleine ascension dans les sondages au Royaume-Uni, ce parti populiste a
ouvert la porte aux actifs numériques pour les dons au printemps dernier, dans
le cadre de la “révolution crypto” qu’il promet pour le Royaume-Uni. Et il en a
même déjà accepté.
Aucune mesure contre ce procédé ne figure dans le document décrivant les
contours du prochain projet de loi du gouvernement britannique sur les élections
(ou Elections Bill), présenté comme un plan visant à renforcer la démocratie du
pays. Mais les responsables publiques envisagent désormais d’interdire l’usage
des cryptomonnaies dans le financement des responsables politiques, selon trois
personnes au fait des discussions récentes sur ce projet de loi.
Le gouvernement n’a pas démenti qu’une telle mesure était à l’étude, et s’est
contenté d’indiquer qu’il “donnerait plus de détails dans [s]on Elections Bill”.
Cette année, Reform UK est devenu le premier parti politique britannique à
accepter des dons en cryptomonnaie. Nigel Farage a indiqué à Reuters en octobre
que sa formation avait reçu “quelques” dons sous forme de cryptoactifs après que
la Commission électorale — qui réglemente les dons aux partis politiques — a
confirmé qu’elle avait été informée du premier don en cryptomonnaie.
Reform UK a mis en place sa propre plateforme pour les dons en cryptomonnaies et
a promis des contrôles “renforcés” pour éviter tout abus.
Reform UK a mis en place sa propre plateforme pour les dons en cryptomonnaies et
a promis des contrôles “renforcés” pour éviter tout abus. | Dan Kitwood/Getty
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Nigel Farage, qui détient des cryptoactifs de long terme, s’est présenté au
secteur britannique des cryptos comme leur “seul espoir”. Il cherche ainsi à
imiter son allié de longue date, le président américain Donald Trump, qui a
largement adhéré aux monnaies numériques. Nigel Farage a souligné qu’il
soutenait publiquement la filière depuis “bien avant Trump”.
DIFFICILE À TRACER
Le plan initial de l’exécutif pour son Elections Bill comprend une série de
mesures allant de l’instauration du droit de vote à 16 ans au renforcement des
pouvoirs de la Commission électorale. Aucune mesure ne figure contre les dons en
cryptomonnaies, mais le gouvernement, dirigé par les travaillistes — qui sont
loin derrière Reform UK dans les sondages —, est sous pression pour instaurer
une interdiction.
Parmi ceux qui ont suggéré un durcissement figurent le ministre Pat McFadden, le
président du comité spécial des affaires économiques et du commerce à la Chambre
des communes, Liam Byrne, et le président du groupe parlementaire transpartisan
sur la lutte contre la corruption et l’équité fiscale, Phil Brickell.
Les experts en transparence ont alerté qu’il pouvait être difficile de tracer
l’origine des dons en cryptomonnaies. Cela fait craindre que les dons venus de
l’étranger aux partis politiques et aux candidats — interdits dans presque tous
les cas de figure par la loi au Royaume-Uni —, ainsi que les bénéfices tirés
d’activités criminelles et les opérations de blanchiment d’argent puissent
passer à travers les mailles du filet.
Le projet de loi électorale des travaillistes devrait également imposer de
nouvelles règles aux partis politiques et à leurs donateurs. Il devrait prévoir
un durcissement sur les dons provenant de sociétés-écrans et d’associations non
déclarées, et pourrait obliger les partis à enregistrer et à conserver une
évaluation des risques liés aux dons susceptibles de présenter un risque
d’ingérence étrangère.
Les cryptomonnaies sont un nouveau champ de bataille en matière d’ingérence
étrangère. Les services de renseignement russes adoptent de plus en plus les
monnaies numériques pour échapper aux sanctions et financer des actions de
déstabilisation — comme lors des élections en Moldavie — depuis que Moscou a été
coupé du système bancaire mondial à la suite de l’invasion de l’Ukraine.
La question de l’intervention du Kremlin dans la politique britannique a refait
surface ces derniers mois après que Nathan Gill — ancien chef de Reform au Pays
de Galles et ex-député européen du Brexit Party de Nigel Farage — a été condamné
à dix ans et demi de prison le mois dernier parce qu’il a été rémunéré pour
faire des déclarations prorusses au Parlement européen.
Nigel Farage a pris ses distances avec Nathan Gill, décrivant l’ancien député
européen comme une “pomme pourrie” qui l’avait trahi.
Cela n’a pas empêchait le Parti travailliste de passer à l’offensive : le
Premier ministre Keir Starmer demandant à Nigel Farage de lancer une enquête
interne sur les activités de Nathan Gill.
Selon un porte-parole du ministère du Logement, des Communautés et des
Collectivités locales, qui est responsable du projet de loi : “Le système de
financement politique dont nous avons hérité a rendu notre démocratie vulnérable
aux ingérences étrangères.”
“Nos nouvelles règles strictes en matière de dons en politique, telles que
définies dans notre stratégie électorale, protégeront les élections au
Royaume-Uni tout en veillant à ce que les partis puissent continuer à se
financer.”
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais, puis a été édité en
français par Jean-Christophe Catalon.
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PARIS — Parmi les fleurs et couronnes autour du cercueil de Thierry Ardisson, le
17 juillet à Paris : une gerbe offerte par le président de la République et son
épouse, présente à la célébration, une autre au nom de Rachida Dati, ministre de
la Culture et tutelle des médias, une troisième venant de la Maire de Paris, où
il résidait.
Un ruban bleu-blanc-rouge détonne parmi toutes ces fleurs blanches. Une
inscription : Aurore Bergé, ministre. La gerbe a été payée 120 euros par
Matignon, dont dépend son ministère, selon des documents consultés par POLITICO.
Que la ministre chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes honore
Thierry Ardisson peut surprendre, au regard de certaines interviews jugées
sexistes que l’animateur a pu mener par le passé. “Ce n’est pas très heureux”,
reconnaît un conseiller ministériel du gouvernement Bayrou, qui hasarde comme
explication les engagements d’Aurore Bergé sur les questions audiovisuelles
lorsqu’elle était députée.
“C’est à la limite de l’exercice du genre”, observe un ancien chef de cabinet
dans le gouvernement Borne. Le cabinet de la ministre déléguée, après s’être
étonné du “voyeurisme” de la requête de POLITICO, a confirmé l’envoi d’une gerbe
pour les obsèques de Thierry Ardisson, et a indiqué en avoir également fait
livrer pour “l’ancienne ministre Monique Pelletier ou au Cap 110 Martinique, en
mémoire de l’abolition de l’esclavage ou en hommage aux victimes des
LGBTphobies”
Rendre hommage à un défunt est toutefois une pratique républicaine somme toute
assez courante pour les ministres.
Si le président de la République ou le ministre des Armées sont ainsi des
habitués des cérémonies officielles, tous les membres du gouvernement n’y
prêtent pas la même attention. POLITICO a ainsi pu consulter des documents
répertoriant les dépenses relatives aux compositions florales de dix ministres
du gouvernement Bayrou.
Leur analyse révèle une absence de stratégie partagée sur l’utilisation de ces
gerbes, le peu de lien avec les portefeuilles des concernés, chaque ministre
ayant sa propre politique en la matière.
UNE CENTAINE DE GERBES, POUR AUTANT D’HOMMAGES
Dans ces documents, Aurore Bergé, Sophie Primas (porte parole) et Françoise
Gatel (Ruralité) sont sur le podium des ministres de notre échantillon ayant le
plus commandé de gerbes, entre décembre 2024 et août 2025.
Récemment, en plus de celle en hommage à Thierry Ardisson, la ministre de
l’Egalité entre les femmes et les hommes a également fait commander des fleurs
pour les obsèques du député Olivier Marleix (LR), mort le 7 juillet, ou pour
celles du président du conseil départemental de l’Yonne, Patrick Gendraud (div.
droite).
Aurore Bergé en a également commandé une à l’occasion d’un hommage à Shaïna
Hansye, une adolescente de 15 ans, assassinée en 2021 à Creil.
Dans ce classement des ministres portés sur les bouquets, suivent Bruno
Retailleau (Intérieur), Agnès Pannier-Runacher (Transition écologique) et
François Bayrou. Les demandes de documents concernant Gérald Darmanin (Justice),
Sébastien Lecornu (Armées) et Rachida Dati n’ont pas encore reçu de réponse.
Ces gerbes coûtent généralement entre 100 et 150 euros. Celles achetées pour le
compte du Premier ministre coûtent le double.
Une bonne partie des gerbes déposées sont liées à des cérémonies officielles
auxquelles ils assistent — commémoration d’événement ou hommage à des agents du
ministères mort en fonction, par exemple.
Les chefs de cabinet s’occupent de cette tâche pour leur ministre. Parfois, les
gerbes sont prises en charge par la préfecture, se souvient l’ex-chef de cabinet
déjà cité, et d’autres fois, lorsque ça concerne leur vie privée, ils le font
avec leur propre argent. “Ce n’est pas clair dans les écrits”, ajoute-t-il,
expliquant qu’il s’agit dans ces cas de figure de “trouver la bonne ligne de
crête”, sachant que les vies privée, partisane ou officielle sont parfois
entremêlées.
DES DÉPÔTS OPPORTUNÉMENT LOCALISÉS
D’autres gerbes sont aussi livrées lors de cérémonies officielles dans les
terres d’élection de certaines ministres. Ainsi, Aurore Bergé, députée
macroniste des Yvelines depuis 2017, a fait fleurir trois communes de sa
circonscription pour célébrer la victoire du 8-Mai, mais aussi à Saint-Arnoult
pour la commémoration de l’Appel du 18 juin, et encore à Rambouillet pour le
14-Juillet ou la libération de la ville, le 23 août.
Sophie Primas, sénatrice LR des Yvelines et élue locale à Aubergenville, a
déposé une gerbe dans sa ville d’élection le 18 juin et a commandé quatre
coussins commémoratifs pour le 8-Mai à Aubergenville, Moisson et Lommoye,
toujours dans les Yvelines.
L’intégralité des dépenses pour des gerbes au nom de l’ex-porte-parole du
gouvernement concernaient son département — aussi bien pour des obsèques que des
cérémonies officielles. “Lors de mes déplacements , je n’ai pas fait de
cérémonies patriotiques officielles”, indique à POLITICO l’ancienne ministre,
ajoutant s’être “limitée” à des obsèques d’élus et “aux cérémonies patriotiques
auxquelles j’étais invitée… dans les Yvelines”.
Françoise Gatel, chargée de la Ruralité dans le gouvernement de François Bayrou
puis reconduite dans celui de Sébastien Lecornu, a également fleuri nombre de
cérémonies officielles ou privées — dont de nombreux élus — dans son fief
d’Ille-et-Vilaine, pour un montant représentant près des deux tiers des montants
engagés sur des couronnes. Contacté, son cabinet n’avait pas répondu à l’heure
du bouclage.
Ce n’est pas le cas de tous les ministres : aucune gerbe n’a été commandée dans
la circonscription électorale de Bruno Retailleau lorsqu’il était ministre de
l’Intérieur ou dans celle de François Bayrou lors de son passage à Matignon.
FUNÉRAILLES NATIONALES ET PARTISANES
En dehors des cérémonies officielles, les ministres ont régulièrement fait
porter des compositions florales pour des funérailles liées au ministère — un
agent, le parent d’un officier de sécurité ou le personnel d’un cabinet…
Le Premier ministre François Bayrou a de son côté majoritairement honoré des
anciens compagnons de route ou des personnalités politiques comme l’ancienne de
l’UDF, Anne-Marie Comparini, le journaliste, soutien politique et candidat MoDem
en 2009, Jean-François Kahn, ou encore Nicolas Florian, ancien maire LR de
Bordeaux.
Ces couronnes s’accompagnaient très souvent d’un déplacement et d’une prise de
parole du Premier ministre.
Cet article a été mis à jour pour intégrer la réaction du cabinet d’Aurore
Bergé, arrivée juste après la publication.
BRUXELLES — Les entreprises de la tech dépensent plus que jamais pour faire du
lobbying auprès de l’Union européenne, selon une nouvelle étude, à un moment où
elles s’opposent toujours plus à la réglementation européenne en matière de
numérique.
Les 733 groupes du secteur du numérique enregistrés à Bruxelles dépensent
désormais 151 millions d’euros annuels pour défendre leurs intérêts, contre 113
millions il y a deux ans, selon une étude réalisée par deux ONG à partir des
informations communiquées au registre de transparence de l’UE.
Cette hausse intervient alors que la filière s’attaque à des textes européens,
tels que le règlement sur les marchés numériques (DMA) et celui sur les services
numériques (DSA) — considérés par l’administration Trump comme discriminatoires
envers les entreprises américaines —, et que la Commission européenne se prépare
à un effort massif pour assouplir ses règles en matière de numérique.
Les dépenses de lobbying sont concentrées entre les mains des géants de la tech,
principalement américains, selon l’étude de Corporate Europe Observatory et
LobbyControl, deux ONG spécialisées sur les actions d’influence des entreprises.
Les 10 entreprises du numérique qui dépensent le plus — parmi lesquelles Meta,
Microsoft, Apple, Amazon, Qualcomm et Google — ont dépensé plus que les 10
premières entreprises des secteurs pharmaceutique, financier et automobile
réunis.
Amazon, Microsoft et Meta ont “nettement” augmenté leurs dépenses depuis 2023,
de plus de 4 millions d’euros pour Amazon et de 2 millions pour Microsoft et
Meta, selon l’étude. L’organisation professionnelle Digital Europe, basée à
Bruxelles, qui compte parmi ses membres de nombreux géants américains de la
tech, a augmenté de plus de 1 million d’euros son budget de lobbying.
Meta, avec un budget de plus de 10 millions d’euros, est l’entreprise qui
dépense le plus en lobbying dans l’UE.
Il s’agit d’un “moment précaire”, a qualifié Bram Vranken, chercheur au
Corporate Observatory Europe, estimant que des années de progrès dans la
limitation des effets néfastes de la technologie et du pouvoir des grandes
entreprises du secteur risquent d’être réduites à néant.
Avec la poussée de déréglementation à Bruxelles et le fort soutien de
Washington, “les Big Tech saisissent cette nouvelle réalité politique pour
effacer une décennie de progrès dans la réglementation du secteur numérique”,
a-t-il relevé.
Les entreprises soutiennent que le lobbying ne consiste pas seulement à exercer
une influence, mais aussi à veiller à ce que les parlementaires comprennent les
réalités complexes du secteur afin d’éclairer leurs décisions sur les règles.
“Amazon s’engage sur des questions qui sont importantes pour nos clients, nos
vendeurs et les diverses entreprises que nous opérons”, a déclaré un
porte-parole de la société américaine dans un communiqué. “Cela signifie que
nous travaillons avec des organisations, telles que des organisations
professionnelles et des think tanks, et que nous communiquons avec des
responsables des institutions européennes.”
PLUS DE LOBBYISTES, PLUS DE RÉUNIONS
Ce regain d’activité se traduit non seulement par une augmentation des dépenses,
notamment pour les sociétés de conseil et d’expertise engagées pour influencer
la politique numérique, mais aussi par une augmentation des effectifs inscrits
au registre européen de la transparence.
On estime aujourd’hui à 890 le nombre de lobbyistes — calculés en équivalents
temps plein — qui travaillent à dessiner les contours de l’agenda politique sur
le numérique, contre 699 en 2023.
Parmi eux, 437 possèdent un badge leur permettant d’accéder librement au
Parlement européen. L’accès à l’institution s’est durci ces dernières années en
réaction à une série de scandales de corruption, dont les enquêtes sur Huawei
qui ont vu l’entreprise être interdite d’accès au Parlement et de rencontres
avec la Commission en mars.
Au cours du premier semestre 2025, les représentants des entreprises de la tech
ont déclaré 146 réunions avec le personnel de la Commission. L’intelligence
artificielle était le principal sujet abordé, notamment le très contesté code de
bonnes pratiques.
Concernant les parlementaires, les lobbyistes de la tech ont déclaré 232
réunions.
Les règles de transparence en matière de déclaration des réunions entre les
lobbyistes et les responsables de la Commission et du Parlement se sont élargies
ces dernières années, mais les défenseurs de la transparence estiment qu’elles
ne sont pas assez fermes et contraignantes.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais, puis a été édité en
français par Jean-Christophe Catalon.