PARIS — A quoi exactement ont servi les 9 000 euros de frais déclarés depuis
l’année dernière par le maire d’Angers, Christophe Béchu ?
“Les contribuables ont le droit de savoir”, estime Noam Leandri. Cet Angevin
devrait figurer en bonne place sur la liste de rassemblement de la gauche pour
reprendre l’Hôtel de ville à Béchu, lui-même un proche d’Edouard Philippe, lors
des élections municipales de mars. C’est ce qui l’a motivé à demander il y a un
mois à la mairie et à la métropole les justificatifs des frais de l’élu. Sans
réponse à ce stade, il a saisi la Commission d’accès aux documents
administratifs (Cada) et ira devant le tribunal si le refus persiste.
Le sujet a empoisonné le premier déplacement officiel du maire sortant, qui a
assuré n’avoir “rien à cacher” et indique que le retard dans la transmission de
ses notes de frais est dû à un problème d’adresses mail. “En 2024, j’ai déclaré
2 500 euros de frais. Moi, je ne me suis pas acheté des robes”, a grincé
Christophe Béchu, dans une allusion aux polémiques autour des notes de frais des
Parisiennes Jeanne d’Hauteserre et Anne Hidalgo (voir plus bas). Précisons
toutefois qu’en 2024, le maire d’Angers n’a été en poste que quatre mois cette
année-là, après sa sortie du gouvernement.
De fait, c’est la nouvelle mode : dans plusieurs villes, les notes de frais sont
utilisées par des opposants, certains s’interrogeant sur l’utilité de dépenses
en cravates ou sur le montant raisonnable d’un déjeuner entre un maire et ses
invités.
A Lyon, le candidat UDR-RN s’est par exemple plaint sur les réseaux sociaux que
“les Lyonnais paient les virées shopping de Grégory Doucet”, le maire de Lyon
écologiste, tickets de caisse à l’appui. Mais ces dépenses restent raisonnables
et dans les clous : si le maire peut utiliser jusqu’à 3 000 euros de frais de
représentation par an, il n’a dépensé que 4 000 euros en tout depuis son arrivée
à l’Hotel de ville en 2020.
A Leucate, une conseillère municipale d’opposition a déposé une plainte avec
Anticor contre le maire, qui dispose d’une enveloppe de 15 000 euros annuels et
la dépense sans conserver de justificatifs. “Mes frais correspondent
exclusivement aux déplacements liés aux responsabilités nationales que j’assume
au sein d’associations où se défendent les communes, le tourisme, le littoral et
le nautisme — donc Leucate”, a répondu le maire sur Facebook, qui critique “une
campagne d’une rare médiocrité”.
UNE TRANSPARENCE PRÉVUE PAR LA LOI
Aurore Granero, maître de conférences en droit public et membre de
l’Observatoire de l’éthique publique, salue le débat “légitime” sur le sujet,
expliquant que “chaque citoyen doit savoir comment est utilisé l’argent public”,
mais met en garde sur ses possibles dommages collatéraux.
“Il ne faut pas jeter l’opprobre sur l’ensemble des élus, alors que la plupart
effectuent leur mandat bénévolement. C’est jeter de l’huile sur le feu”,
prévient-elle. D’autant que la question des économies budgétaires revient sans
cesse dans le débat.
Pour la chercheuse, il faut bien sûr davantage de transparence pour “plus de
crédibilité”, mais il faut aussi davantage de pédagogie pour “montrer aux
citoyens la lourdeur et les responsabilités des mandats des élus locaux”.
Depuis la décision du Conseil d’Etat qui a obligé la maire de Paris à partager
ses notes de frais à un journaliste néerlandais, Stefan de Vries, après des
années de refus, il est juridiquement incontestable que ces documents doivent
être communiqués à tous ceux qui le réclament — et peuvent être aussi publiés.
Mais certains élus traînent encore des pieds. L’association Transparence
citoyenne, qui a demandé au printemps 2024 les notes de frais des maires de
toutes les villes de plus de 10 000 habitants, a dû engager des recours devant
les tribunaux dans une dizaine de cas, et si la quasi-totalité des communes se
sont depuis exécutées, deux villes résistent encore : Nice, dirigée par
Christian Estrosi (Horizons) et Perpignan, tenue par Louis Aliot (Rassemblement
national).
Nos confrères de Médiacités, qui ont demandé ces documents pour les présidents
de région, font encore face au refus de Carole Delga (PS) ou Laurent Wauquiez
(LR), obligeant le média local à se tourner vers le tribunal administratif, ou
le Conseil d’Etat, saisi — sans succès — par le président de la région
Auvergne-Rhône-Alpes, assez hostile à la transparence.
FRAIS MÉDIATIQUES, ENGAGEMENTS SYMBOLIQUES ?
L’action de Transparence citoyenne, et notamment son combat le plus médiatique
sur les notes de frais de la maire de Paris de ces dernières années, a permis
d’imposer le sujet des frais de mandat dans le débat médiatique et citoyen.
Les frais ont été obtenus de haute lutte par l’association pour Anne Hidalgo.
Dans la foulée, la mairie a décidé de partager les mêmes informations pour tous
les maires d’arrondissement, transformant les pages politiques des journaux en
litanie de marques de luxe et adresses de bonnes tables.
Beaucoup des conversations autour des notes de frais prennent leur source dans
l’action de Transparence citoyenne — une association fondée notamment par un
ancien militant LR et auteur pour le très droitier “Livre noir” (ancêtre de
“Frontières”), comme l’avait révélé POLITICO, mais qui se veut apolitique.
Les demandes en masse du printemps 2024 devaient alimenter une étude sur les
dépenses des élus avant les élections, explique à POLITICO Guillaume Leroy,
autre fondateur de l’association. Les refus trop fréquents des municipalités ont
cependant repoussé l’échéance.
Pour marquer le coup, l’association travaille à une charte autour de sept
engagements, à faire signer aux maires et candidats. Ceux-ci s’engageraient
entre autres à une publication automatique des notes de frais, à une limitation
des frais de bouche et à une transparence sur les invités, imagine Guillaume
Leroy.
L’association épluche les nombreuses réponses reçues — toutes accessibles en
ligne — en essayant de contacter les maires pour comprendre certaines
incongruités. Certains, confie encore Leroy, disent ne jamais avoir été
contrôlés, ne pas garder les justificatifs et ne pas savoir ce qu’il est
possible ou pas de se faire rembourser.
Les frais de représentation sont en effet peu encadrés. Ce qui relève ou non de
dépenses remboursables est souvent laissé à l’appréciation de l’élu. La Cour des
comptes recommande régulièrement aux conseils municipaux d’établir des listes
des dépenses acceptables pour poser un cadre. Et de mettre en place un contrôle
interne.
Le contrôle externe, lui, peut compter sur les candidats aux élections
municipales.