BRUXELLES — La Commission européenne a infligé vendredi une amende de 120
millions d’euros à X, le réseau social d’Elon Musk. Il s’agit de la toute
première sanction prononcée en vertu du règlement européen sur les services
numériques (DSA).
Cette décision, qui risque d’exacerber les tensions avec les États-Unis, a
d’ores et déjà suscité des critiques de la part de J.D. Vance. Le vice-président
américain a ainsi jugé que cette amende était une sanction pour “absence de
censure”.
Le montant de l’amende est pourtant modéré par rapport aux sanctions infligées
précédemment par Bruxelles aux entreprises technologiques. Dans le cadre des
négociations commerciales, les États-Unis ont fait pression à plusieurs reprises
sur l’UE pour qu’elle assouplisse sa réglementation.
X a été reconnu coupable de manquement aux obligations de transparence qui lui
incombent en tant que très grande plateforme en ligne, au titre du règlement sur
les services numériques (DSA). La Commission a jugé le design de la coche bleue
de X “trompeur” après sa transformation en fonctionnalité payante.
L’exécutif européen a également déclaré que le répertoire publicitaire de X
manquait de transparence et ne permettait pas aux chercheurs d’accéder aux
données publiques, comme l’exige la loi.
Cette amende ne marque que la fin d’une partie de l’enquête menée par l’UE et
ouverte il y a près de deux ans. D’autres volets, portant sur les efforts
déployés par X pour lutter contre la diffusion de contenus illégaux et la
manipulation de l’information, sont toujours en cours.
Bruxelles subit une pression croissante de la part des dirigeants européens, des
eurodéputés et des organisations de défense des droits numériques pour conclure
l’enquête sur X, et prouver ainsi son engagement à protéger les citoyens en
ligne.
“Notre objectif n’est pas d’infliger les amendes les plus élevées, mais de
garantir l’application de notre législation numérique. Si vous respectez nos
règles, vous n’aurez pas d’amende”, a déclaré Henna Virkkunen, vice-présidente
exécutive de la Commission européenne chargée de la souveraineté numérique, lors
d’un point de presse vendredi matin.
En vertu du DSA, les entreprises peuvent être condamnées à une amende pouvant
atteindre 6 % de leur chiffre d’affaires annuel mondial. Si les revenus mondiaux
de X sont estimés à quelques milliards d’euros, ceux des entreprises de Musk
sont bien plus importants.
Répondant aux propos de Vance, Virkkunen a déclaré aux journalistes : « Le DSA
n’a rien à voir avec la censure ; cette décision concerne la transparence de X.
»
Elle a également indiqué que le montant de l’amende avait été jugé
“proportionné” et calculé en tenant compte de “la nature de ces infractions, de
leur gravité pour les utilisateurs européens concernés et de leur durée”.
Interrogé sur la méthode de calcul de l’UE, un haut fonctionnaire de la
Commission a réaffirmé le principe de proportionnalité et précisé qu’il ne
pouvait être “réduit à une simple formule économique”.
De son côté, la ministre française déléguée à l’IA et au Numérique Anne Le
Hénanff a affirmé que la France “souten[ait] pleinement cette décision … qui
envoie un message clair à l’ensemble des plateformes”.
X n’a pas immédiatement répondu à notre demande de commentaires.
Tag - Règlement sur les services numériques
BRUXELLES — La commissaire européenne chargée de la Concurrence, Teresa Ribera,
n’a pas mâché ses mots contre l’administration Trump, l’accusant d’utiliser le
“chantage” pour contraindre l’UE à assouplir sa réglementation du numérique.
Le secrétaire américain au Commerce, Howard Lutnick, a suggéré lundi à Bruxelles
que les Etats-Unis pourraient modifier leur approche en matière de droits de
douane sur l’acier et l’aluminium si l’UE revoyait ses règles en matière de
numérique. Les responsables européens ont interprété ses remarques comme visant
les réglementations phares de l’UE, notamment celle sur les marchés numériques
(DMA).
“C’est du chantage”, a considéré la commissaire espagnole dans un entretien à
POLITICO mercredi. “Le fait que ce soit leur intention ne signifie pas que nous
acceptons ce genre de chantage.”
Teresa Ribera — qui, en tant que première vice-présidente exécutive de la
Commission, est la numéro 2 de l’exécutif européen derrière la présidente Ursula
von der Leyen — a souligné que la réglementation européenne du numérique ne
devrait pas avoir de lien avec les négociations commerciales. L’équipe de Donald
Trump cherche à réviser l’accord conclu par le président américain avec Ursula
von der Leyen dans son golf écossais en juillet.
Ces déclarations interviennent à un moment sensible des négociations
commerciales en cours. Washington considère le DMA comme discriminatoire, parce
que les grandes plateformes technologiques qu’il réglemente — comme Microsoft,
Google ou Amazon — sont presque toutes américaines. Il s’insurge également
contre le règlement sur les services numériques (DSA), qui vise à limiter les
discours haineux illégaux et la désinformation en ligne, car il est conçu pour
encadrer les réseaux sociaux comme X d’Elon Musk.
Teresa Ribera a rappelé que ces règles étaient une question de souveraineté, et
qu’elles ne devraient pas entrer dans le champ d’une négociation commerciale.
“Nous respectons les règles, quelles qu’elles soient, qu’ils ont établies pour
leurs marchés : le marché numérique, le secteur de la santé, l’acier, tout ce
que vous voulez […] les voitures, les normes”, a-t-elle posé en parlant des
Etats-Unis. “C’est leur problème, leur réglementation et leur souveraineté. Il
en va de même ici.”
Teresa Ribera, avec la commissaire aux Technologies numériques Henna Virkkunen,
supervise le DMA, qui veille au bon comportement des grandes plateformes
numériques et à une concurrence équitable.
Elle a vivement réagi aux propos tenus par Howard Lutnick lors de sa rencontre
avec des responsables et des ministres européens lundi, martelant que “les
règles européennes en matière de numérique ne sont pas à négocier”.
Henna Virkkunen tenait la même ligne mardi. Lundi, elle a présenté à ses
homologues américains le paquet de mesures de simplification de l’UE, comprenant
la proposition d’omnibus numérique. Ce paquet a été présenté comme une
initiative européenne visant à réduire les formalités administratives, mais
certains l’ont interprété comme une tentative de répondre aux préoccupations des
Big Tech américaines en matière de régulation.
Le secrétaire américain au Commerce, Howard Lutnick, a suggéré lundi à Bruxelles
que les Etats-Unis pourraient modifier leur approche en matière de droits de
douane sur l’acier et l’aluminium si l’UE revoyait ses règles en matière de
numérique. | Nicolas Tucat/Getty Images
Interrogée sur les raisons qui l’ont poussée à faire une déclaration aussi
forte, Teresa Ribera a répondu que les remarques d’Howard Lutnick constituaient
“une attaque directe contre le DMA”, avant d’ajouter : “Il est de ma
responsabilité de défendre le bon fonctionnement du marché numérique en Europe.”
DES FISSURES APPARAISSENT
Malgré la réplique intransigeante de Teresa Ribera, la solidarité des Etats
membres envers le DMA commence doucement à se fissurer.
Après la réunion de lundi, Howard Lutnick a pointé que certains ministres
européens du Commerce n’étaient pas aussi réticents que la Commission à l’idée
de revoir les règles numériques de l’UE : “Je vois beaucoup de ministres […]
certains sont plus ouverts d’esprit que d’autres”, a-t-il observé sur Bloomberg
TV, affirmant que si l’Europe veut des investissements américains, elle doit
changer son modèle de régulation.
Parmi les participants, au moins une Européenne semble d’accord. L’Allemande
Katherina Reiche, qui s’est exprimée en marge de la réunion, a déclaré à la
presse qu’elle était favorable à un nouvel assouplissement des règles de l’UE en
matière de numérique.
“L’Allemagne a clairement fait savoir qu’elle voulait avoir la possibilité de
jouer un rôle dans le monde numérique”, a exposé Katherina Reiche, citant en
particulier le DMA et le DSA.
Les efforts de lobbying déployés par Washington contre les règles européennes
sur le numérique s’inscrivent dans le cadre d’une bataille plus large menée par
les Etats-Unis au niveau mondial pour affaiblir les lois sur le numérique dans
les pays étrangers.
Ce mois-ci, la Corée du Sud a cédé au lobbying de l’administration Trump en
revenant en arrière sur son propre projet d’encadrement de la concurrence dans
le secteur numérique.
Le représentant américain au commerce prépare son rapport 2026 et lance une
nouvelle série de consultations dans les semaines à venir. Entre-temps, la
Commission poursuit son évaluation des règles dans le cadre de son Digital
Fairness Fitness Check et de la révision en cours du DMA.
Mais entre le lobbying de Washington et les Etats membres qui se désolidarisent,
la question n’est pas seulement de savoir ce à quoi va aboutir la révision du
DMA, mais s’il peut survivre à la guerre commerciale.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais, puis a été édité en
français par Jean-Christophe Catalon.
PARIS — Le parquet de Paris a annoncé ce mardi l’ouverture d’une enquête
préliminaire concernant le site de streaming Kick pour “fourniture en bande
organisée de plateforme en ligne illicite”.
Une semaine après le décès du streameur Jean Pormanove en plein direct, le
parquet cherche à savoir si le site australien “fournissait, en connaissance de
cause, des services illicites, notamment par la diffusion de vidéos d’atteintes
volontaires à l’intégrité de la personne”.
L’enquête, confiée à l’office anti-cybercriminalité (OFAC), devra également
déterminer si Kick respectait ses obligations au titre du règlement européen sur
les services numériques (DSA). Et notamment l’obligation “de signaler aux
autorités les risques d’atteintes à la vie ou à la sécurité des personnes”.
Sur sa chaîne, la plus suivie en France, Jean Pormanove, de son vrai nom Raphaël
Graven, subissait des actes de violences physiques et verbales de la part de ses
partenaires de stream depuis plus d’un an.
Cette enquête est ouverte “en concertation avec le parquet de Nice”, le parquet
de Paris ayant une compétence nationale sur les sujets cyber.
Le parquet de Nice a déjà ouvert deux enquêtes : l’une en décembre à la suite
des révélations de Mediapart, l’autre au lendemain de la mort de Raphaël Graven.
Elles se poursuivent. Pour l’heure, aucun lien direct n’a été identifié entre sa
mort et les violences qu’il a subies.
PARIS — Pourquoi les autorités compétentes, alertées depuis des mois des
violences subies en direct par Jean Pormanove, ne sont-elles pas intervenues
avant la mort du streamer ?
Ce lundi, Raphaël Gavren, alias Jean Pormanove, a été retrouvé mort dans son
lit, lors d’une diffusion en direct qui durait depuis plusieurs jours.
Cet ancien militaire était depuis plusieurs années l’un des protagonistes de la
chaîne JeanPormanove. Comptant plus de 160 000 abonnés, elle était hébergée par
la plateforme australienne Kick — un concurrent de Twitch, proposant des vidéos
en direct avec des règles de modération réputées moins strictes.
Or, plusieurs signalements avaient été réalisés ces derniers mois auprès de la
justice, mais aussi du gouvernement et de l’autorité de régulation de
l’audiovisuel et du numérique, l’Arcom.
Interrogée par POLITICO, Nathalie Tehio, présidente de la Ligue des droits de
l’Homme (LDH), estime que cette affaire interroge la réactivité des pouvoirs
publics sur une situation de violences “qui était connue”.
Animée par quatre streamers, la chaîne JeanPormanove s’était en effet
spécialisée dans les formats violents, dans lesquels Raphaël Gavren jouait
régulièrement le rôle de souffre-douleur.
Après sa mort, et malgré la suspension de la chaîne par la plateforme Kick, les
extraits de ces violences ont envahi les réseaux sociaux. On le voit subir des
coups, strangulations, insultes et humiliations répétées de la part de ses
costreamers, connus sous les pseudos Naruto et Safine. Ces violences étaient
encouragées par certains spectateurs de la chaîne, qui pouvaient effectuer des
dons aux vidéastes sur Kick.
La ministre déléguée à l’Intelligence artificielle et au Numérique a dénoncé une
“horreur absolue” et s’en est remise à l’enquête ouverte par le parquet de Nice
en “recherche des causes de la mort” de Raphaël Gavren.
De son côté, le député-streameur Denis Masséglia a demandé “l’ouverture d’une
enquête permettant d’identifier d’éventuels manquements” de la part de l’Arcom,
notamment “concernant la diffusion continue de contenus qui, à mon sens,
auraient dû être interdits”.
La plateforme Kick a quant à elle indiqué sur X s’engager “à collaborer
pleinement avec les autorités dans le cadre de ce processus”, tout en adressant
ses “sincères condoléances” aux proches de Raphaël Graven.
UNE PREMIÈRE ENQUÊTE EN DÉCEMBRE
Le parquet de Nice avait pourtant ouvert une enquête le 16 décembre 2024, après
la publication d’un article de Mediapart détaillant les sévices subis par
Raphaël Graven et par l’un de ses compagnons de streaming, Coudoux, en situation
de handicap et placé sous curatelle.
Cette enquête préliminaire, qui ne ciblait pas directement la plateforme Kick,
portait sur trois chefs d’accusation : “provocation publique par un moyen de
communication au public par voie électronique à la haine ou à la violence”,
“violences volontaires en réunion sur personnes vulnérables” et “diffusion
d’enregistrement d’images relatives à la commission d’infractions d’atteintes
volontaires à l’intégrité de la personne”.
Les costreamers Naruto et Safine avaient ainsi été interpellés le 9 janvier,
avant d’être relâchés et de reprendre leurs activités. “Tant les personnes
susceptibles d’être mises en cause que celles d’être victimes contestaient la
commission d’infractions”, avait alors communiqué le procureur de Nice.
“La difficulté du dossier est que les violences en question étaient présentées
comme consenties et scénarisées, et que la victime n’a pas déposé plainte”,
analyse l’avocat Alexandre Archambault.
Outre la justice, les autorités nationales avaient été alertées à l’époque.
Dans le cadre de son enquête, Mediapart avait en effet sollicité l’Arcom, ainsi
que le cabinet de la ministre déléguée à l’Intelligence artificielle et au
Numérique Clara Chappaz, sans recevoir de réponse de la part du ministère.
Sollicité par POLITICO, le cabinet de la ministre n’a pas donné suite au moment
de la publication de cet article.
En février, la Ligue des droits de l’Homme (LDH) avait saisi l’Arcom. Sa
présidente Nathalie Tehio indique que cette saisine est “restée sans réponse”.
Elle précise cependant qu’il s’agit d’un délai “courant” pour l’Arcom, dont elle
estime le temps de réponse à environ six mois. “Il y a une question de moyens”
pour cette institution, regrette Nathalie Tehio.
ENTRE LES MAILLES DU FILET DES AUTORITÉS
C’est ainsi que la plateforme Kick semble avoir échappé au contrôle des
régulateurs du numérique.
Bien que l’Union européenne ait renforcé ces dernières années sa régulation des
plateformes, les autorités françaises et bruxelloises ont en effet tardé à
établir le contact avec Kick, et notamment à identifier si la plateforme avait
une représentation en Europe — comme le requiert le règlement européen sur les
services numériques (Digital Services Act).
Le détail est pourtant loin d’être anodin : les marges de manœuvre de l’Arcom
dépendent du pays où Kick a désigné son représentant légal. S’il est installé
dans un autre Etat membre de l’Union Européenne (UE), c’est alors le régulateur
de ce pays qui est chargé de superviser la plateforme.
Ce 20 août, la Commission européenne a finalement indiqué à POLITICO que Kick
lui avait signalé un représentant légal à Malte. En théorie, seule La Valette
peut donc enquêter sur Kick et l’enjoindre de faire le nécessaire pour modérer
les contenus illicites — ou même lui infliger une amende au titre du DSA.
Dans un communiqué daté du même jour, l’Arcom a indiqué avoir “contacté ce
représentant légal ainsi que le régulateur maltais […] afin d’obtenir des
informations détaillées sur les moyens dédiés par le service à la modération
francophone, ainsi que sur le cas spécifique de la chaîne Jeanpormanove”. Un
dialogue avec Kick.com a été engagé, assure l’Arcom.
Cette désignation de représentant semble en tout cas récente. Contactée par
POLITICO, l’autorité maltaise des télécommunications, la Malta Communications
Authority (MCA), indique ne pas avoir en avoir été notifiée à date du 20 août.
Les conditions générales de Kick indiquent d’ailleurs que le site, d’origine
australienne, est basé en Angleterre et donc sous sa juridiction, sans mention
d’un représentant au sein de l’UE.
La Commission européenne ne pourra pas non plus intervenir pour réguler Kick :
elle ne supervise que les très grandes plateformes (VLOP), qui comptent plus de
45 millions d’utilisateurs en Europe. Or les chiffres communiqués par la
plateforme sont bien en deçà de ce seuil.
“On est sur un cas qui, malheureusement, sera amené à être de plus en plus
fréquent si les pouvoirs publics n’interviennent pas et que les plateformes
restent passives”, estime auprès de POLITICO le député socialiste Arthur
Delaporte, qui travaille sur une proposition de loi de régulation de l’influence
en ligne.
Selon la ministre déléguée Clara Chappaz, Kick avait malgré tout la
“responsabilité légale de retirer les contenus manifestement illicites” dont ils
auraient eu connaissance. JeanPormanove était, jusqu’à sa suppression en début
de semaine, la chaîne la plus suivie sur Kick en France.
Sur les réseaux sociaux, Kick avait également utilisé des contenus mettant en
scène Raphaël Graven pour promouvoir la plateforme.
Contacté par POLITICO, Kick n’a pas souhaité préciser si la chaîne de Jean
Pormanove contrevenait à ses conditions d’utilisation au cours des mois passés.
Ces dernières interdisent pourtant explicitement “les contenus qui représentent
ou incitent à une violence abjecte, y compris les atteintes graves, la
souffrance ou la mort”.
Eliza Gkritsi a contribué à cet article.
BRUXELLES — La Commission européenne a affirmé que ses règles en matière de
numérique étaient sorties indemnes de l’accord commercial conclu dimanche avec
les Etats-Unis.
La réglementation de l’UE qui pèse sur les géants américains de la tech
constitue un gros point de désaccord entre les deux parties. L’absence de
précisions dans l’accord entre la présidente de la Commission européenne, Ursula
von der Leyen, et le président des Etats-Unis, Donald Trump, a permis à chacun
de mettre en avant sa propre interprétation.
L’UE a affirmé que ses règles étaient préservées, mais les Etats-Unis pensent
toujours qu’elles doivent être discutées.
“L’attaque [de l’UE] contre nos entreprises technologiques, ce sera mis sur la
table”, a assuré à CNBC mardi le secrétaire américain au Commerce, Howard
Lutnick, lorsqu’on lui a demandé si l’accord de dimanche justifiait la poursuite
des négociations commerciales avec l’UE.
Cela montre que les Etats-Unis ne semblent pas vouloir renoncer à la campagne
qu’ils mènent depuis des mois contre les règles de l’UE en matière de modération
des contenus, de concurrence numérique et d’intelligence artificielle, malgré
l’insistance de l’Union à dire que ses réglementations ne font pas l’objet de
négociations dans le cadre des pourparlers sur leurs relations commerciales.
Pire encore, des parlementaires craignent que l’exécutif européen ait déjà cédé
du terrain ou que les Etats-Unis se sentent en position de force après l’accord
de dimanche pour continuer à critiquer le droit européen.
AUCUNE CONCESSION ACCORDÉE
La Commission s’est empressée de souligner que la réglementation du numérique
était l’un des domaines sur lesquels elle n’avait pas cédé le moindre
centimètre. Des textes ont été exclus des négociations, tels que le règlement
sur les services numériques (DSA) et celui sur les marchés numériques (DMA).
“Il n’y a absolument aucun engagement sur la réglementation du numérique, ni sur
la fiscalité numérique”, a insisté un responsable de l’UE lundi. Il a ajouté que
la défense, par la Commission, de l’autonomie de l’Union en matière de
régulation n’avait pas été suffisamment reconnue.
Cela semblait être une victoire pour Bruxelles. Pendant ce temps, les Etats-Unis
se sont employés à arracher des concessions sur les barrières commerciales
visant le secteur du numérique à d’autres pays lors de négociations
commerciales, par exemple lors de celles avec l’Indonésie.
Début juillet, Henna Virkkunen, la vice-présidente exécutive de la Commission
chargée de la Souveraineté technologique, a tracé une ligne rouge, déclarant à
POLITICO que le DSA, le DMA et le règlement européen sur l’intelligence
artificielle “ne faisaient pas partie des négociations commerciales de notre
côté”.
Un tacle cinglant de la part d’une haute responsable de l’UE, après des mois de
violentes critiques aux Etats-Unis, où responsables publics, parlementaires et
dirigeants de la tech ont comparé les règles européennes tantôt à de la censure
(DSA), tantôt à un ciblage injuste des entreprises américaines (DMA) ou à un
étouffement de l’innovation (AI Act).
LE FERONT-ILS, LE FERONT-ILS PAS ?
Mais l’accord de dimanche contient certaines formulations qui donnent aux
Etats-Unis des munitions pour franchir cette ligne plus tard.
Ursula von der Leyen a admis, dans ses premières déclarations après la signature
de l’accord, que les deux parties allaient continuer à “lever les obstacles non
tarifaires”. Les Etats-Unis ont ensuite déclaré que les deux parties allaient
“lever les obstacles non tarifaires injustifiés sur le numérique”.
Jim Jordan, un puissant élu républicain qui a mené les attaques contre le DSA en
tant que président de la commission judiciaire du Congrès américain, a glissé
après une visite à Bruxelles lundi que le DSA pourrait être un “point de
discussion dans les négociations commerciales en cours entre la Maison-Blanche
et l’Union européenne”. | Michael Reynolds/EPA
Dans les jours qui ont suivi l’accord, les Etats-Unis ont commencé à saper
l’affirmation de l’UE selon laquelle elle avait obtenu une victoire et préservé
sa réglementation sur le numérique.
Jim Jordan, un puissant élu républicain qui a mené les attaques contre le DSA en
tant que président de la commission judiciaire du Congrès américain, a glissé
après une visite à Bruxelles lundi que le DSA pourrait être un “point de
discussion dans les négociations commerciales en cours entre la Maison-Blanche
et l’Union européenne”.
Il a promis de “prendre contact avec les gens de la Maison-Blanche” à ce sujet.
Howard Lutnick n’a pas tardé à reprendre sa suggestion mardi.
La Maison-Blanche a ouvert un second front en publiant, lundi en fin de journée,
une fiche d’information dans laquelle elle affirme que l’Union européenne
n’appliquera pas les “frais de réseau”. Il s’agit d’une proposition visant à
mettre à contribution les plus grandes plateformes, principalement américaines,
telles que Netflix et YouTube, au financement des infrastructures de
télécommunications en Europe.
Le porte-parole de la Commission pour les questions de commerce extérieur, Olof
Gill, a confirmé cette information aux journalistes mardi, lors d’une session
mouvementée au cours de laquelle l’Union s’est efforcée de défendre son accord
commercial.
“C’est exact, mais cela n’affecte pas nos règles ni notre marge de manœuvre
réglementaire”, a-t-il assuré, soulignant que “nous ne renonçons pas à notre
droit de réglementer de manière autonome dans le domaine numérique”.
RESTER SUR SES GARDES
Certains craignent qu’au lieu de régler définitivement la question, Bruxelles
doive continuer à rester sur ses gardes lorsqu’elle déploiera ou appliquera ses
règles sur le numérique.
Henna Virkkunen a promis en juin que plusieurs enquêtes dans le cadre du DSA
seraient menées à bien dans les semaines et les mois à venir, en particulier une
enquête sur le réseau social X d’Elon Musk.
“Maintenant que l’accord est conclu, nous devrions nous attendre à des
résultats”, anticipe Nick Reiners, analyste tech senior chez Eurasia Group.
“Cela dit, la Commission sera prudente, car l’accord n’est encore que de
principe.”
L’exécutif européen devra également se montrer prudent sur la question des frais
de réseau dans son prochain texte sur les télécommunications, le Digital
Networks Act, prévu pour décembre.
Elle a mis de côté cette proposition très controversée de frais de réseau,
également connue sous le nom de “fair share”, pour un certain temps, choisissant
plutôt d’explorer d’autres options réglementaires. Cet argument ne convainc pas
ses opposants, pour qui la mesure changera de nom, mais reviendra à payer des
frais de réseau.
Le recul de l’UE sur cette mesure ayant été révélé au grand jour, la Commission
devra peut-être agir avec plus de prudence et être prête à tordre le cou à toute
accusation selon laquelle elle rompt la paix commerciale en réintroduisant cette
redevance en catimini.
D’autres ont une vision encore plus pessimiste.
Ils affirment que Bruxelles a cédé aux conditions de Trump, ce qui permettra aux
Etats-Unis de s’en prendre encore plus durement à l’Union.
“Cela envoie le mauvais signal : si nous plions sous la pression, qu’est-ce qui
empêchera Trump de s’en prendre ensuite à notre législation ?”, a alerté
l’eurodéputé des Socialistes et démocrates Brando Benifei, l’un des chefs de
file au Parlement sur l’AI Act, dans un communiqué.
La Commission n’a pas commenté les remarques d’Howard Lutnick avant la
publication de cet article.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en
français par Jean-Christophe Catalon.