BRUXELLES — La commissaire européenne chargée de la Concurrence, Teresa Ribera,
n’a pas mâché ses mots contre l’administration Trump, l’accusant d’utiliser le
“chantage” pour contraindre l’UE à assouplir sa réglementation du numérique.
Le secrétaire américain au Commerce, Howard Lutnick, a suggéré lundi à Bruxelles
que les Etats-Unis pourraient modifier leur approche en matière de droits de
douane sur l’acier et l’aluminium si l’UE revoyait ses règles en matière de
numérique. Les responsables européens ont interprété ses remarques comme visant
les réglementations phares de l’UE, notamment celle sur les marchés numériques
(DMA).
“C’est du chantage”, a considéré la commissaire espagnole dans un entretien à
POLITICO mercredi. “Le fait que ce soit leur intention ne signifie pas que nous
acceptons ce genre de chantage.”
Teresa Ribera — qui, en tant que première vice-présidente exécutive de la
Commission, est la numéro 2 de l’exécutif européen derrière la présidente Ursula
von der Leyen — a souligné que la réglementation européenne du numérique ne
devrait pas avoir de lien avec les négociations commerciales. L’équipe de Donald
Trump cherche à réviser l’accord conclu par le président américain avec Ursula
von der Leyen dans son golf écossais en juillet.
Ces déclarations interviennent à un moment sensible des négociations
commerciales en cours. Washington considère le DMA comme discriminatoire, parce
que les grandes plateformes technologiques qu’il réglemente — comme Microsoft,
Google ou Amazon — sont presque toutes américaines. Il s’insurge également
contre le règlement sur les services numériques (DSA), qui vise à limiter les
discours haineux illégaux et la désinformation en ligne, car il est conçu pour
encadrer les réseaux sociaux comme X d’Elon Musk.
Teresa Ribera a rappelé que ces règles étaient une question de souveraineté, et
qu’elles ne devraient pas entrer dans le champ d’une négociation commerciale.
“Nous respectons les règles, quelles qu’elles soient, qu’ils ont établies pour
leurs marchés : le marché numérique, le secteur de la santé, l’acier, tout ce
que vous voulez […] les voitures, les normes”, a-t-elle posé en parlant des
Etats-Unis. “C’est leur problème, leur réglementation et leur souveraineté. Il
en va de même ici.”
Teresa Ribera, avec la commissaire aux Technologies numériques Henna Virkkunen,
supervise le DMA, qui veille au bon comportement des grandes plateformes
numériques et à une concurrence équitable.
Elle a vivement réagi aux propos tenus par Howard Lutnick lors de sa rencontre
avec des responsables et des ministres européens lundi, martelant que “les
règles européennes en matière de numérique ne sont pas à négocier”.
Henna Virkkunen tenait la même ligne mardi. Lundi, elle a présenté à ses
homologues américains le paquet de mesures de simplification de l’UE, comprenant
la proposition d’omnibus numérique. Ce paquet a été présenté comme une
initiative européenne visant à réduire les formalités administratives, mais
certains l’ont interprété comme une tentative de répondre aux préoccupations des
Big Tech américaines en matière de régulation.
Le secrétaire américain au Commerce, Howard Lutnick, a suggéré lundi à Bruxelles
que les Etats-Unis pourraient modifier leur approche en matière de droits de
douane sur l’acier et l’aluminium si l’UE revoyait ses règles en matière de
numérique. | Nicolas Tucat/Getty Images
Interrogée sur les raisons qui l’ont poussée à faire une déclaration aussi
forte, Teresa Ribera a répondu que les remarques d’Howard Lutnick constituaient
“une attaque directe contre le DMA”, avant d’ajouter : “Il est de ma
responsabilité de défendre le bon fonctionnement du marché numérique en Europe.”
DES FISSURES APPARAISSENT
Malgré la réplique intransigeante de Teresa Ribera, la solidarité des Etats
membres envers le DMA commence doucement à se fissurer.
Après la réunion de lundi, Howard Lutnick a pointé que certains ministres
européens du Commerce n’étaient pas aussi réticents que la Commission à l’idée
de revoir les règles numériques de l’UE : “Je vois beaucoup de ministres […]
certains sont plus ouverts d’esprit que d’autres”, a-t-il observé sur Bloomberg
TV, affirmant que si l’Europe veut des investissements américains, elle doit
changer son modèle de régulation.
Parmi les participants, au moins une Européenne semble d’accord. L’Allemande
Katherina Reiche, qui s’est exprimée en marge de la réunion, a déclaré à la
presse qu’elle était favorable à un nouvel assouplissement des règles de l’UE en
matière de numérique.
“L’Allemagne a clairement fait savoir qu’elle voulait avoir la possibilité de
jouer un rôle dans le monde numérique”, a exposé Katherina Reiche, citant en
particulier le DMA et le DSA.
Les efforts de lobbying déployés par Washington contre les règles européennes
sur le numérique s’inscrivent dans le cadre d’une bataille plus large menée par
les Etats-Unis au niveau mondial pour affaiblir les lois sur le numérique dans
les pays étrangers.
Ce mois-ci, la Corée du Sud a cédé au lobbying de l’administration Trump en
revenant en arrière sur son propre projet d’encadrement de la concurrence dans
le secteur numérique.
Le représentant américain au commerce prépare son rapport 2026 et lance une
nouvelle série de consultations dans les semaines à venir. Entre-temps, la
Commission poursuit son évaluation des règles dans le cadre de son Digital
Fairness Fitness Check et de la révision en cours du DMA.
Mais entre le lobbying de Washington et les Etats membres qui se désolidarisent,
la question n’est pas seulement de savoir ce à quoi va aboutir la révision du
DMA, mais s’il peut survivre à la guerre commerciale.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais, puis a été édité en
français par Jean-Christophe Catalon.
Tag - Règlement sur les marchés numériques
PARIS — Sur instruction du Premier ministre, le gouvernement a engagé une
procédure de suspension du site Shein, a annoncé le ministère de l’Economie et
des finances ce mercredi.
Le communiqué de Bercy indique que cette suspension durera “le temps nécessaire
pour que la plateforme démontre (…) que l’ensemble de ses contenus sont en
conformité avec nos lois et règlements”.
Cette demande de suspension fait suite à la découverte vendredi de poupées
sexuelles à l’effigie d’enfants sur le site. Ce matin, le député Antoine
Vermorel Marques (DR) a également saisi la justice après avoir découvert la
présence d’armes de catégorie A sur le site.
Un “premier point d’étape” devra être fait par les ministres dans les 48
prochaines heures, précise également le communiqué.
BRUXELLES — La Commission européenne a affirmé que ses règles en matière de
numérique étaient sorties indemnes de l’accord commercial conclu dimanche avec
les Etats-Unis.
La réglementation de l’UE qui pèse sur les géants américains de la tech
constitue un gros point de désaccord entre les deux parties. L’absence de
précisions dans l’accord entre la présidente de la Commission européenne, Ursula
von der Leyen, et le président des Etats-Unis, Donald Trump, a permis à chacun
de mettre en avant sa propre interprétation.
L’UE a affirmé que ses règles étaient préservées, mais les Etats-Unis pensent
toujours qu’elles doivent être discutées.
“L’attaque [de l’UE] contre nos entreprises technologiques, ce sera mis sur la
table”, a assuré à CNBC mardi le secrétaire américain au Commerce, Howard
Lutnick, lorsqu’on lui a demandé si l’accord de dimanche justifiait la poursuite
des négociations commerciales avec l’UE.
Cela montre que les Etats-Unis ne semblent pas vouloir renoncer à la campagne
qu’ils mènent depuis des mois contre les règles de l’UE en matière de modération
des contenus, de concurrence numérique et d’intelligence artificielle, malgré
l’insistance de l’Union à dire que ses réglementations ne font pas l’objet de
négociations dans le cadre des pourparlers sur leurs relations commerciales.
Pire encore, des parlementaires craignent que l’exécutif européen ait déjà cédé
du terrain ou que les Etats-Unis se sentent en position de force après l’accord
de dimanche pour continuer à critiquer le droit européen.
AUCUNE CONCESSION ACCORDÉE
La Commission s’est empressée de souligner que la réglementation du numérique
était l’un des domaines sur lesquels elle n’avait pas cédé le moindre
centimètre. Des textes ont été exclus des négociations, tels que le règlement
sur les services numériques (DSA) et celui sur les marchés numériques (DMA).
“Il n’y a absolument aucun engagement sur la réglementation du numérique, ni sur
la fiscalité numérique”, a insisté un responsable de l’UE lundi. Il a ajouté que
la défense, par la Commission, de l’autonomie de l’Union en matière de
régulation n’avait pas été suffisamment reconnue.
Cela semblait être une victoire pour Bruxelles. Pendant ce temps, les Etats-Unis
se sont employés à arracher des concessions sur les barrières commerciales
visant le secteur du numérique à d’autres pays lors de négociations
commerciales, par exemple lors de celles avec l’Indonésie.
Début juillet, Henna Virkkunen, la vice-présidente exécutive de la Commission
chargée de la Souveraineté technologique, a tracé une ligne rouge, déclarant à
POLITICO que le DSA, le DMA et le règlement européen sur l’intelligence
artificielle “ne faisaient pas partie des négociations commerciales de notre
côté”.
Un tacle cinglant de la part d’une haute responsable de l’UE, après des mois de
violentes critiques aux Etats-Unis, où responsables publics, parlementaires et
dirigeants de la tech ont comparé les règles européennes tantôt à de la censure
(DSA), tantôt à un ciblage injuste des entreprises américaines (DMA) ou à un
étouffement de l’innovation (AI Act).
LE FERONT-ILS, LE FERONT-ILS PAS ?
Mais l’accord de dimanche contient certaines formulations qui donnent aux
Etats-Unis des munitions pour franchir cette ligne plus tard.
Ursula von der Leyen a admis, dans ses premières déclarations après la signature
de l’accord, que les deux parties allaient continuer à “lever les obstacles non
tarifaires”. Les Etats-Unis ont ensuite déclaré que les deux parties allaient
“lever les obstacles non tarifaires injustifiés sur le numérique”.
Jim Jordan, un puissant élu républicain qui a mené les attaques contre le DSA en
tant que président de la commission judiciaire du Congrès américain, a glissé
après une visite à Bruxelles lundi que le DSA pourrait être un “point de
discussion dans les négociations commerciales en cours entre la Maison-Blanche
et l’Union européenne”. | Michael Reynolds/EPA
Dans les jours qui ont suivi l’accord, les Etats-Unis ont commencé à saper
l’affirmation de l’UE selon laquelle elle avait obtenu une victoire et préservé
sa réglementation sur le numérique.
Jim Jordan, un puissant élu républicain qui a mené les attaques contre le DSA en
tant que président de la commission judiciaire du Congrès américain, a glissé
après une visite à Bruxelles lundi que le DSA pourrait être un “point de
discussion dans les négociations commerciales en cours entre la Maison-Blanche
et l’Union européenne”.
Il a promis de “prendre contact avec les gens de la Maison-Blanche” à ce sujet.
Howard Lutnick n’a pas tardé à reprendre sa suggestion mardi.
La Maison-Blanche a ouvert un second front en publiant, lundi en fin de journée,
une fiche d’information dans laquelle elle affirme que l’Union européenne
n’appliquera pas les “frais de réseau”. Il s’agit d’une proposition visant à
mettre à contribution les plus grandes plateformes, principalement américaines,
telles que Netflix et YouTube, au financement des infrastructures de
télécommunications en Europe.
Le porte-parole de la Commission pour les questions de commerce extérieur, Olof
Gill, a confirmé cette information aux journalistes mardi, lors d’une session
mouvementée au cours de laquelle l’Union s’est efforcée de défendre son accord
commercial.
“C’est exact, mais cela n’affecte pas nos règles ni notre marge de manœuvre
réglementaire”, a-t-il assuré, soulignant que “nous ne renonçons pas à notre
droit de réglementer de manière autonome dans le domaine numérique”.
RESTER SUR SES GARDES
Certains craignent qu’au lieu de régler définitivement la question, Bruxelles
doive continuer à rester sur ses gardes lorsqu’elle déploiera ou appliquera ses
règles sur le numérique.
Henna Virkkunen a promis en juin que plusieurs enquêtes dans le cadre du DSA
seraient menées à bien dans les semaines et les mois à venir, en particulier une
enquête sur le réseau social X d’Elon Musk.
“Maintenant que l’accord est conclu, nous devrions nous attendre à des
résultats”, anticipe Nick Reiners, analyste tech senior chez Eurasia Group.
“Cela dit, la Commission sera prudente, car l’accord n’est encore que de
principe.”
L’exécutif européen devra également se montrer prudent sur la question des frais
de réseau dans son prochain texte sur les télécommunications, le Digital
Networks Act, prévu pour décembre.
Elle a mis de côté cette proposition très controversée de frais de réseau,
également connue sous le nom de “fair share”, pour un certain temps, choisissant
plutôt d’explorer d’autres options réglementaires. Cet argument ne convainc pas
ses opposants, pour qui la mesure changera de nom, mais reviendra à payer des
frais de réseau.
Le recul de l’UE sur cette mesure ayant été révélé au grand jour, la Commission
devra peut-être agir avec plus de prudence et être prête à tordre le cou à toute
accusation selon laquelle elle rompt la paix commerciale en réintroduisant cette
redevance en catimini.
D’autres ont une vision encore plus pessimiste.
Ils affirment que Bruxelles a cédé aux conditions de Trump, ce qui permettra aux
Etats-Unis de s’en prendre encore plus durement à l’Union.
“Cela envoie le mauvais signal : si nous plions sous la pression, qu’est-ce qui
empêchera Trump de s’en prendre ensuite à notre législation ?”, a alerté
l’eurodéputé des Socialistes et démocrates Brando Benifei, l’un des chefs de
file au Parlement sur l’AI Act, dans un communiqué.
La Commission n’a pas commenté les remarques d’Howard Lutnick avant la
publication de cet article.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en
français par Jean-Christophe Catalon.