PARIS — Sur instruction du Premier ministre, le gouvernement a engagé une
procédure de suspension du site Shein, a annoncé le ministère de l’Economie et
des finances ce mercredi.
Le communiqué de Bercy indique que cette suspension durera “le temps nécessaire
pour que la plateforme démontre (…) que l’ensemble de ses contenus sont en
conformité avec nos lois et règlements”.
Cette demande de suspension fait suite à la découverte vendredi de poupées
sexuelles à l’effigie d’enfants sur le site. Ce matin, le député Antoine
Vermorel Marques (DR) a également saisi la justice après avoir découvert la
présence d’armes de catégorie A sur le site.
Un “premier point d’étape” devra être fait par les ministres dans les 48
prochaines heures, précise également le communiqué.
Tag - Protection des mineurs en ligne
PARIS — Le ministre de l’Economie a menacé Shein d’interdiction en France si
l’enquête judiciaire montrait que les comportements de la plateforme de
fast-fashion sont “répétés”. Roland Lescure était interrogé ce matin sur BFM TV
après que la direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la
Répression des fraudes (DGCCRF) a découvert, vendredi 31 octobre, que la
plateforme proposait à la vente des poupées sexuelles à l’effigie d’enfants.
L’administration avait alors immédiatement saisi le procureur de la République
et l’Arcom.
“Pour des actes terroristes, pour le trafic de stupéfiants et pour des objets
pédopornographiques, le gouvernement est en droit de demander l’interdiction de
l’accès au marché français”, a ajouté le ministre de l’Economie.
“Ces objets horribles sont illégaux”, a rappelé Roland Lescure, ajoutant avoir
saisi la justice et l’Arcom, qui est compétente en la matière puisque Shein a
été désignée l’an passée comme très grande plateforme en ligne (VLOP) dans le
cadre du règlement européen sur les services numériques (DSA).
La haut-commissaire à l’Enfance, Sarah El-Haïry, a pour sa part annoncé dimanche
son intention de convoquer “l’ensemble des grandes plateformes” pour comprendre
le circuit de commercialisation de ces produits.
En 2021, le site de vente en ligne Wish avait fait l’objet de mesures de
déréférencement à la demande de Bruno Le Maire, alors ministre de l’Economie.
Après plusieurs enquêtes de la DGCCRF sur la sécurité des produits proposés par
la plateforme, les principaux gestionnaires de moteurs de recherche et les
magasins d’applications mobiles avaient été appelés à dérérencer Wish, avant que
le site ne soit finalement à nouveau autorisé un an plus tard.
Contacté par POLITICO, Shein n’a pas donné suite au moment de la publication.
Les enfants et les adolescents ne peuvent s’empêcher de scroller sur les réseaux
sociaux et cela nuit à leur santé.
Selon l’Organisation mondiale de la santé, le temps de présence sur les réseaux
a plus que doublé depuis 2010, pour atteindre environ trois heures par jour. En
2022, plus d’un adolescent sur dix a montré des signes d’addiction.
“Tout le monde sait que cela crée une dépendance”, affirme à POLITICO Hanna
Kuźmitowicz, une lycéenne polonaise qui a travaillé avec la présidence polonaise
de l’UE sur ce sujet. “Je connais les dangers et les avantages et je l’utilise
encore”.
Sous l’impulsion d’experts en santé publique, les gouvernements européens
envisagent de nouveaux moyens pour empêcher les jeunes d’utiliser leur téléphone
: vérification de l’âge, campagnes de sensibilisation du public, voire
interdiction des réseaux sociaux.
Les pays ont depuis peu la liberté de fixer leurs propres restrictions, et ils
s’en emparent. Emmanuel Macron a ainsi appelé à une interdiction totale pour les
moins de 15 ans en France, tandis que le Danemark, la Grèce, l’Espagne,
l’Italie, les Pays-Bas et d’autres pays se sont ralliés à de nouvelles
limitations.
Entre-temps, les entreprises technologiques ont mis progressivement en place des
mesures de protection des mineurs allant de la restriction de certains contenus
en fonction de l’âge à la désactivation de plusieurs fonctionnalités. Des
dispositions que certains observateurs jugent encore insuffisantes.
PASSER LA MAIN
Plusieurs experts affirment pourtant que les réseaux sociaux n’ont pas que des
inconvénients et peuvent être positifs pour les jeunes.
“Certaines technologies sont en fait très bénéfiques pour lier et entretenir des
amitiés”, estime Jessica Piotrowski, présidente de l’Ecole de recherche en
communication de l’université d’Amsterdam et conseillère de YouTube en matière
de protection des mineurs, se faisant l’écho de plusieurs études.
Cependant, des preuves de plus en plus nombreuses établissent un lien entre les
réseaux sociaux et la dépression, les troubles du sommeil et des niveaux élevés
de consommation de substances.
“Il faut une régulation et une sorte de prise de conscience des entreprises
technologiques qui nuisent aux adolescents et aux enfants. Il faut faire quelque
chose”, affirme Kadri Soova, directeur de Mental Health Europe.
Le temps que les jeunes passent sur les réseaux sociaux a plus que doublé depuis
2010 pour atteindre environ trois heures par jour. | Loung Thai Linh/EPA
Elle estime qu’il est important de dialoguer avec les entreprises technologiques
plutôt que de s’opposer à elles. “Mais s’il n’y a pas d’autorégulation, ou si
les termes de la régulation ne sont pas assez stricts, alors il faut des
règles”.
De nombreux scandales survenus ces dernières années ont montré que les
entreprises technologiques n’ont pas toujours privilégié la sécurité de leurs
plus jeunes utilisateurs. En 2021, Frances Haugen, ancienne employée de Meta (à
l’époque Facebook), a divulgué des documents internes révélant que l’entreprise
était consciente des dommages causés à la santé mentale des adolescents et
n’avait pas fait grand-chose pour y mettre fin.
Les experts médicaux estiment que les outils réglementaires existants ne sont
pas suffisants. Ils souhaitent que les entreprises de la tech agissent
davantage, car elles conçoivent leurs plateformes de manière à créer une
dépendance.
Theo Compernolle, neuropsychiatre et ancien professeur à l’université libre
d’Amsterdam, qui préconise l’interdiction des réseaux sociaux pour les enfants,
estime que la régulation doit se concentrer sur les entreprises, faute de quoi
“c’est comme si on luttait contre une drogue sans rien faire contre les
producteurs”.
Les réseaux sociaux, comme les jeux d’argent, le tabac et l’alcool, “reposent
sur le déni des dangers”, selon Mark Petticrew, professeur de santé publique à
la School of Hygiene and Tropical Medicine de Londres. Ce n’est pas différent de
n’importe quel autre type de dépendance, estime-t-il.
En juin, les ministres de la Santé ont adopté des conclusions au Conseil de l’UE
appelant les pays à envisager des politiques préventives pour encadrer l’accès
des jeunes aux technologies numériques. Il s’agit notamment d’instaurer des
zones sans écran et des limites numériques dans les écoles, et d’inciter les
concepteurs de plateformes numériques à “prendre davantage leurs
responsabilités”.
UNE LOI HISTORIQUE ?
Le règlement sur les services numériques (DSA) est l’un des textes législatifs
les plus importants concernant les plateformes en ligne. Il demande aux réseaux
sociaux de mettre en place “des mesures appropriées et proportionnées pour
garantir un niveau élevé de confidentialité, de sûreté et de sécurité pour les
mineurs”.
Facebook et Instagram de Meta, ainsi que TikTok, font l’objet d’une enquête pour
violation des règles du DSA concernant les mineurs.
Comme ce texte n’attribuait que de vagues responsabilités aux plateformes,
l’exécutif européen a élaboré des lignes directrices — très controversées — afin
de préciser ce qu’il est attendu des plateformes.
Ces lignes directrices interdisent notamment d’utiliser les habitudes de
navigation des mineurs pour suggérer des contenus. Elles préconisent aussi de
désactiver dans les messageries les fonctions de discussions en série (streaks)
et les confirmations de lecture et de définir la confidentialité et la sécurité
par défaut dans les paramètres. Enfin, elles suggèrent de désactiver certaines
fonctionnalités, comme l’accès à l’appareil photo.
Cependant, ces lignes directrices ne sont pas contraignantes, et si les mineurs
mentent sur leur âge ou si leurs parents contournent les contrôles, elles n’ont
aucun effet. Le débat s’est donc déplacé vers la manière dont les plateformes
peuvent vérifier l’âge des utilisateurs.
SUR LES RÉSEAUX AVANT 13 ANS
En vertu du règlement général sur la protection des données (RGPD), les enfants
de moins de 13 ans ne peuvent pas consentir au traitement de leurs données par
des services en ligne. Des plateformes comme TikTok et Instagram affirment ainsi
que seuls les enfants de plus de 13 ans peuvent adhérer à leurs conditions
d’utilisation. Mais les régulateurs ont pris conscience que le simple fait de
cocher une case ne suffit pas à prouver son âge.
Selon un rapport de l’association locale Børns Vilkår, cité dans une étude
commandée par le gouvernement, 94 % des jeunes Danois ont créé un compte sur les
réseaux sociaux avant l’âge de 13 ans.
Facebook et Instagram de Meta, ainsi que TikTok, font l’objet d’une enquête pour
violation des règles de l’ASN concernant les mineurs. John Mabanglo/EPA
Le débat politique s’est donc orienté vers la mise en place de mesures
obligatoires de vérification de l’âge des utilisateurs. Certains affirment que
cette responsabilité incombe à la plateforme, mais des opérateurs comme Meta et
TikTok soutiennent que Google et Apple, qui développent les systèmes
d’exploitation des appareils, devraient être se charger de vérifier l’âge.
Pour Helen Charles, directrice des politiques publiques, des produits et de la
monétisation chez Meta, la nouvelle législation devrait en effet cibler la
vérification de l’âge et l’approbation parentale au niveau du système
d’exploitation et du magasin d’applications. Cela “sera plus facile pour les
parents” et “protégera la vie privée”.
Mais Google et Apple ne pensent pas qu’il faille s’en remettre uniquement à eux.
“Nous pensons qu’il s’agit d’une responsabilité partagée (…). Il n’y a pas de
solution unique ou de solution miracle : une seule entreprise ne peut résoudre
le problème pour tout le monde”, juge Vinay Goel, directeur de la garantie de
l’âge chez Google. Et d’ajouter : “Les développeurs sont les mieux placés pour
savoir ce qui est potentiellement risqué”.
L’INTERDICTION EN DÉBAT
Les plus fervents partisans d’une action stricte — et les adolescents eux-mêmes
! — doutent d’ailleurs de l’efficacité d’une telle interdiction.
“Une vérification de l’âge rigoureuse, des outils parentaux et des programmes
d’éducation numérique”, par exemple, pourraient donner de meilleurs résultats
que les interdictions, selon Natasha Azzopardi-Muscat, directrice de la sécurité
sanitaire à l’OMS.
D’autres, comme Kuźmitowicz, craignent qu’il existe toujours des moyens de
contourner les interdictions et les restrictions, les rendant ainsi inefficaces.
En attendant, les ministres de la Santé estiment qu’il n’y a pas suffisamment de
preuves pour justifier une interdiction totale.
“Comment fait-on respecter ces règles ?”, s’interroge ainsi Michael Damianos, le
ministre chypriote de la Santé, interrogé par POLITICO. Pour lui, le “plus gros
problème” est de s’assurer que les politiques fonctionnent dans la pratique.
Interdire les réseaux sociaux “serait vraiment se lancer dans l’inconnu. Une
telle politique n’est pas étayée par des preuves”, affirme de son côté le
ministre maltais de la Santé, Jo Etienne Abela, auprès de POLITICO. “Mais d’un
autre côté, nous savons qu’il y a un problème. Le manque de preuves doit-il nous
paralyser et nous condamner à ne rien faire ?”
Giedre Peseckyte a contribué à cet article. Il a d’abord été publié par POLITICO
en anglais et a été édité en français par Tiphaine Saliou.