PARIS — D’ordinaire, le poing levé est davantage l’apanage des militants
anticapitalistes que celui des employeurs. Pourtant, c’est ce symbole qu’a
choisi le mouvement patronal “Trop c’est trop”.
Ce collectif formé par 2 000 signataires d’une tribune publiée début novembre
dans L’Express pour dénoncer la “dérive fiscale” et un débat budgétaire
contraire à l’intérêt des entreprises, est en cours de structuration, a appris
POLITICO.
Un compte LinkedIn “Trop c’est trop !” est déjà entré sur le ring lundi soir, et
sera bientôt suivi par un compte sur X afin de donner davantage d’écho à
l’exaspération fiscale des patrons.
Ce vent de colère s’est fait ressentir jusqu’à Matignon. Son locataire,
Sébastien Lecornu, à la recherche d’un compromis pour faire atterrir les textes
financiers, a pris la plume lundi pour leur répondre.
Une réaction insuffisante pour tempérer les ardeurs du duo à l’origine du texte
: Erwan Le Noan, du cabinet de conseil Altermind, et Eric Maumy, PDG du groupe
April. Les deux instigateurs du mouvement veulent continuer à faire entendre la
voix des patrons au-delà des débats budgétaires, et en particulier lors des
futures échéances électorales.
OPÉRATION COUP DE POING
“L’idée, c’est de capitaliser sur cette mobilisation et de continuer à exister
dans le débat public”, nous répond Erwan Le Noan. L’essayiste-consultant
explique avoir été motivé à mettre sur pied cette “plateforme permettant
d’accroître la parole” des patrons, après avoir reçu plusieurs centaines de
mails de la part de dirigeants d’entreprise en réaction à la tribune.
Cette initiative n’est pas sans rappeler le mouvement contestataire des Pigeons,
né en 2012, au début du quinquennat Hollande sur fond de hausse de taxation du
capital.
“Je nous souhaite le même succès”, rebondit Le Noan, qui est en contact avec
Geoffroy Roux de Bézieux, Virginie Calmels (CroissancePlus), Stanislas de
Bentzmann (Devoteam), ou encore Philippe d’Ornano (Sisley/Meti).
Ce dernier, signataire de la tribune, justifie son activisme auprès de POLITICO
par le fait que “les gens rationnels ont tendance à penser que des mesures
irrationnelles ne passeront jamais, mais si l’on ne fait pas gaffe, ces mesures
finissent par passer, il faut donc faire un travail d’explication”.
“Les entreprises sont inquiètes comme elles ne l’ont pas été depuis des années,
le fait de structurer ce mouvement pour parler d’une seule voix permettra
d’avoir plus d’impact que si chacun parle de son côté”, abonde un autre
signataire de la tribune, Olivier Schiller, le président de l’ETI Septodont.
Pour donner un écho médiatique à l’initiative, l’agence de communication The
Arcane, fondée par Marion Darrieutort, s’active en coulisses.
UN COLLOQUE AUX FAUX AIRS DE MEETING
Si “Trop c’est trop !” n’a pas vocation à se transformer en parti politique, en
organisation ou en think tank, le mouvement sera sous le feu des projecteurs le
17 décembre.
Non pas pour un meeting, comme le Medef l’avait imaginé en octobre avant de
reculer, mais pour tenir un colloque organisé avec L’Express, salle Gaveau à
Paris. Les 2 000 signataires seront conviés et assisteront à des interventions
sur, entre autres, “les Français et leurs entreprises” ou “la croissance
française plutôt que les taxes”.
D’après l’invitation consultée par POLITICO, Nicolas Dufourcq (Bpifrance) ou
Agnès Verdier-Molinié (Ifrap), ainsi que plusieurs dirigeants signataires de la
tribune, dont Patrick Martin, se succéderont sur scène.
Tag - Plateformes
PARIS — Sur instruction du Premier ministre, le gouvernement a engagé une
procédure de suspension du site Shein, a annoncé le ministère de l’Economie et
des finances ce mercredi.
Le communiqué de Bercy indique que cette suspension durera “le temps nécessaire
pour que la plateforme démontre (…) que l’ensemble de ses contenus sont en
conformité avec nos lois et règlements”.
Cette demande de suspension fait suite à la découverte vendredi de poupées
sexuelles à l’effigie d’enfants sur le site. Ce matin, le député Antoine
Vermorel Marques (DR) a également saisi la justice après avoir découvert la
présence d’armes de catégorie A sur le site.
Un “premier point d’étape” devra être fait par les ministres dans les 48
prochaines heures, précise également le communiqué.
PARIS — Une enquête contre Apple et son assistant vocal Siri a été ouverte, a
appris POLITICO auprès du parquet de Paris. La procédure, confiée à l’Office
anti-cybercriminalité (OFAC), porte sur la collecte par Apple, via son assistant
vocal Siri, de milliers d’enregistrements d’utilisateurs.
L’enquête fait suite à un signalement et une plainte déposée au mois de février
par la Ligue des droits de l’Homme (LDH), qui s’est largement appuyée sur le
témoignage du lanceur d’alerte — et ancien employé d’un sous-traitant d’Apple —
Thomas Le Bonniec.
Recruté en 2019 par Globe Technical Services, Thomas Le Bonniec, 30 ans, a
travaillé dans la ville de Cork, en Irlande, comme petite main pour la marque à
la pomme. Il était chargé d’analyser des enregistrements de l’assistant vocal
Siri pour améliorer la qualité de ses réponses. Une mission qui impliquait
l’écoute de milliers d’enregistrements d’utilisateurs. Or ces fichiers pouvaient
révéler des moments intimes ou des informations confidentielles, certaines
permettant même d’identifier les utilisateurs, a pointé le lanceur d’alerte.
La procédure ordonnée par la section de lutte contre la cybercriminalité (dite
section J3) du parquet de Paris, doit permettre “de répondre à des questions
pressantes”, a réagi Thomas Le Bonniec auprès de POLITICO.
Parmi elles, “combien d’enregistrements au total ont été réalisés par Apple
depuis 2014 ? Combien de personnes sont affectées (ce qui inclut nécessairement
tous leurs contacts et leur entourage) ? Où sont stockées ces données ?”, estime
le lanceur d’alerte, qui s’interroge également sur la poursuite des opérations
par Apple.
DÉJÀ UNE ACTION COLLECTIVE AUX ETATS-UNIS
Thomas Le Bonniec a décidé de se tourner vers la justice française après avoir
saisi, sans succès, les autorités de protection des données. Parmi elles, la
Cnil, mais aussi son homologue irlandaise, responsable du traitement des
dossiers RGPD des géants de la tech américaine. La Cnil irlandaise avait classé
le signalement sans suite en 2022, sans ouvrir d’enquête.
La plainte déposée par la LDH a également ouvert la voie à un recours collectif,
lancé cette année et porté par Julien Bayou. L’avocat et ancien député invite
d’ailleurs les utilisateurs français d’iPhones à s’associer à sa démarche pour
demander réparation.
Julien Bayou s’est inspiré d’une class action lancée aux Etats-Unis en 2019 pour
le même motif. Dans cette affaire, Apple a finalement consenti, fin décembre
2024, à payer 95 millions de dollars (92,5 millions d’euros) pour mettre fin aux
des poursuites de consommateurs américains, qui l’accusaient d’avoir enregistré
leurs conversations privées à leur insu.
Contacté par POLITICO, un représentant d’Apple en France fait valoir qu’“Apple
n’a jamais utilisé les données Siri pour établir des profils marketing, ne les a
jamais rendues disponibles pour la publicité et ne les a jamais vendues à qui
que ce soit, pour quelque raison que ce soit”.
Dans une note de blog parue en janvier, Apple assurait ne pas conserver “les
enregistrements audio des interactions avec Siri, à moins que l’utilisateur ne
donne explicitement son accord”. En août 2019, la firme avait annoncé rendre
optionnelle la participation au programme d’amélioration du logiciel, et cesser
de conserver les enregistrements déclenchés de manière accidentelle.
PARIS — “Aucune torture, même rémunérée, ne doit être encouragée.” Ces mots sont
ceux de Tibo Inshape, un des rares influenceurs à s’exprimer sur le sujet. Le
youtubeur le plus suivi de France a pris la parole sur X le 19 août, au
lendemain du décès tragique du streameur Raphaël Graven.
Connu sous le pseudonyme de Jean Pormanove, l’homme de 45 ans est mort en direct
sur la plateforme Kick, après avoir subi des mois durant des violences infligées
par deux autres streameurs, encouragés par des dons de leurs nombreux
spectateurs. Le parquet de Nice enquête sur les circonstances de cette mort,
quand le parquet de Paris a annoncé se pencher sur les pratiques de la
plateforme.
Désormais au centre de l’attention politico-médiatique, Kick fera l’objet d’un
sort particulier du député Arthur Delaporte (PS) et de l’ex-député Stéphane
Vojetta (EPR), dans le cadre de leur mission sur la régulation du secteur, a
annoncé mardi Clara Chappaz. Leur mission voit son périmètre élargi à la
monétisation des contenus violents ; les conclusions sont annoncées pour la fin
de l’année.
La ministre déléguée au Numérique a également assuré à POLITICO que “l’ensemble
des parties prenantes aux enjeux de cette mission seront sollicités, dont
l’Union des métiers de l’influence (Umicc)”, qui fédère les créateurs de
contenu.
Ceux-ci sont en effet partie prenante du problème, selon une partie des
internautes et les pouvoirs publics. La prise de conscience sur les dérives de
certaines tendances, imaginées avant tout pour ameuter des spectateurs, arrive
trop tard. Les agissements du Lokal, le collectif de streameurs dont faisait
partie Jean Pormanove, avaient été notamment documentés par Mediapart en
décembre dernier, sans guère susciter de réaction.
LE BUSINESS DU CHALLENGE EXTRÊME
Le silence d’une majorité des influenceurs peut s’expliquer par le
fonctionnement d’une partie de l’écosystème et l’aspect lucratif des
“challenges”. Soit des vidéos où le vidéaste réalise des défis, parfois
dangereux, pour capter l’attention d’un public sans cesse plus avide d’images
chocs.
Ceux qui se sont aventurés à condamner ces pratiques, et notamment les violences
subies par Raphaël Graven, ont reçu en retour des messages haineux. C’est le cas
de la streameuse Avamind sur X, après s’être prononcée en faveur de
l’interdiction de la chaîne du Lokal. Preuve, selon plusieurs observateurs,
d’une habitude du public à l’égard de ces contenus et d’une réticence des
influenceurs à condamner unanimement ces pratiques, de crainte de s’attirer les
foudres de leurs abonnés.
“Les challenges extrêmes sur les réseaux sociaux existent depuis un moment”,
rappelle également Stéphanie Laporte. La fondatrice de l’agence Otta et
spécialiste du secteur de l’influence prend pour exemple des figures populaires,
comme celles du youtubeur Inoxtag, qui a pour habitude de faire dans le contenu
sensationnel.
Le vidéaste de 23 ans a gravi il y a un an l’Everest avant de se lancer, il y a
quelques mois, dans la traversée de l’Atlantique en une dizaine de jours. Il a
commencé plus jeune par des “pranks” (canulars) destinés à se faire peur avec
son collègue Michou et à filmer leurs réactions parfois violentes.
S’il s’agit ici d’un contenu encadré, que le youtubeur a les moyens de financer,
d’autres plus précaires, comme le Lokal, vont plus loin dans les défis dangereux
afin de capter une audience en quête d’interdit.
“Pour les youtubeurs connus, il est donc difficile de venir faire la morale aux
plus petits influenceurs”, constate Stéphanie Laporte.
“La société et les influenceurs doivent poser eux-mêmes des limites à ce qui est
proposé sur le web”, renchérit Hervé Godechot, journaliste et ex-membre du
collège de l’Arcom, le régulateur du secteur.
RENFORCER LE CADRE ÉTHIQUE
De son côté, l’Umicc, qui rassemble une partie des créateurs de contenu et des
agences, donne pour preuve de sa bonne foi les chartes éthiques non
contraignantes qu’elle a élaborées pour sensibiliser ses adhérents. Mais renvoie
la balle aux plateformes pour limiter les contenus les plus extrêmes.
“Tout l’écosystème à un rôle à jouer et nous agissons sur la responsabilisation
des professionnels, mais les plateformes ont, elles aussi, une responsabilité
majeure dans la prévention des dérives”, a réagi par écrit un porte-parole de
l’Umicc questionné par POLITICO.
Le syndicat pousse pour que le gouvernement oblige les plateformes à modérer en
temps réel des contenus en direct et à un retrait plus rapide des publications
signalées par les associations. Ces pistes devraient être étudiées dans le cadre
de la mission parlementaire lancée par Clara Chappaz.