Un message de Bruxelles à Google : pourriez-vous vous démanteler, s’il vous
plaît ?
Le géant de la tech doit indiquer ce mois de novembre comment il entend se
conformer à la décision de la Commission européenne de septembre, qui a estimé
qu’il avait abusé de sa position dominante dans le secteur de la publicité en
ligne.
Après avoir infligé à Google une amende de 2,95 milliards d’euros, Bruxelles
envisage ce qui était auparavant impensable : la vente définitive d’une branche
d’une entreprise américaine, de préférence volontaire, mais potentiellement
forcée si nécessaire.
La situation est “très inhabituelle”, souligne Anne Witt, professeure de droit
de la concurrence à l’Edhec Business School de Lille.
“Les remèdes structurels sont presque sans précédent au niveau de l’UE”,
ajoute-t-elle. “C’est vraiment l’artillerie lourde.”
Dans sa décision de septembre, la Commission a franchi “un pas inhabituel et
sans précédent”, selon Anne Witt, en demandant à Google de proposer elle-même la
solution, tout en précisant, avec prudence, que toute solution ne comprenant pas
une vente de certaines parties de son activité de technologie publicitaire
tomberait sous le coup de l’autorité antitrust de l’UE.
“Il semble que le seul moyen pour Google de mettre un terme à son conflit
d’intérêts soit une solution structurelle, comme la vente d’une partie de son
activité Adtech”, avait déclaré à l’époque la vice-présidente exécutive de la
Commission Teresa Ribera, chargée des questions de concurrence.
Alors que la date limite à laquelle Google doit informer la Commission de ses
intentions approche, la possibilité d’un démantèlement ordonné par Bruxelles
d’un champion américain de la tech ne passera probablement pas inaperçue à
Washington, même si l’administration de Donald Trump mène ses propres poursuites
contre le moteur de recherche. (Google représente 90% des revenus d’Alphabet, la
holding valorisée à 3 300 milliards de dollars dont le siège se trouve à
Mountain View, en Californie.)
La vice-présidente exécutive de la Commission, Teresa Ribera, chargée des
questions de concurrence. | Thierry Monasse/Getty Images
Google a déclaré qu’elle ferait appel de la décision de la Commission, qui,
selon la firme, exige des changements qui nuiraient à des milliers d’entreprises
européennes. “Il n’y a rien d’anticoncurrentiel dans le fait de fournir des
services aux acheteurs et aux vendeurs de publicités, et il y a plus
d’alternatives à nos services que jamais auparavant”, a écrit Lee-Anne
Mulholland, vice-présidente et responsable monde des affaires réglementaires de
Google, dans un billet de blog en septembre.
DES ENQUÊTES PARALLÈLES
Le fait de proposer un démantèlement volontaire de Google marque l’aboutissement
d’une décennie d’application des règles antitrusts de l’UE sur les marchés
numériques, au cours de laquelle les mesures “comportementales” n’ont guère
porté leurs fruits, et un alignement unique, sur le calendrier comme sur le
fond, entre les Etats-Unis et l’UE dans leurs enquêtes menées en parallèle sur
la domination de Google en matière de technologie publicitaire.
“Il aurait été impensable, il y a dix ans, qu’il y ait une affaire aux
Etats-Unis et une affaire similaire en Europe dont l’issue potentielle serait un
démantèlement”, retrace Cori Crider, directrice exécutive du Future of Tech
Institute, qui plaide en faveur d’un démantèlement.
La Commission a officiellement lancé l’enquête sur l’ensemble des technologies
publicitaires de Google en 2021, à la suite d’une série de plaintes émanant
d’entreprises de presse qui avaient vu Google prendre le contrôle du système
d’enchères en temps réel où les éditeurs et les annonceurs s’accordent sur le
prix et l’emplacement des publicités en ligne.
Le contrôle par Google de ces enchères, ainsi que de l’infrastructure utilisée
par les deux côtés du marché, revient à permettre à Goldman Sachs ou à Citibank
de posséder la Bourse de New York, a illustré le ministère américain de la
Justice dans son action en justice en 2023.
Cela a également créé une situation dans laquelle, des deux côtés de
l’Atlantique, des entreprises de presse en difficulté financière ont vu Google
absorber une part croissante des revenus de la publicité en ligne et, en fin de
compte, constituer une menace pour le journalisme lui-même.
“Il ne s’agit pas d’une simple affaire de droit de la concurrence, mais de
l’avenir du journalisme”, a estimé Alexandra Geese, eurodéputée allemande des
Verts. “Les éditeurs n’ont pas de revenus parce qu’ils n’ont pas de trafic sur
leurs sites web, et c’est l’algorithme de Google qui décide des informations que
nous voyons”, a-t-elle ajouté.
De l’autre côté de l’Atlantique, les éditeurs se sont aussi retrouvés dans une
situation difficile.
En avril, le juge fédéral chargé de superviser le procès intenté par le
gouvernement américain contre Google a considéré que le moteur de recherche
avait illégalement maintenu son monopole sur certaines parties du marché de la
technologie publicitaire.
Un porte-parole de l’entreprise a déclaré que celle-ci n’était pas d’accord avec
les accusations de la Commission. | Nurphoto via Getty Images
Le tribunal du district de Virginie a tenu un procès de deux semaines sur les
mesures pour corriger la situation en septembre. L’administration Trump a
préconisé la vente de la partie gérant les enchères et l’annulation de la fusion
de Google avec DoubleClick en 2008, qui lui a permis de dominer le marché de la
publicité en ligne. La juge Leonie Brinkema entendra le plaidoyer final du
gouvernement le 17 novembre et devrait rendre son verdict dans les mois à venir.
LES PLANÈTES SONT ALIGNÉES
Pour les détracteurs de Google, c’est le contexte idéal pour que la Commission
pousse pour une solution structurelle musclée.
“Si vous ne parvenez pas à mettre en place des solutions structurelles
maintenant, alors que les Etats-Unis sont sur la même longueur d’onde, il est
peu probable que vous y parveniez un jour”, estime Cori Crider.
Parvenir au démantèlement peut toutefois s’avérer difficile sur le plan
juridique et politique.
Malgré cet alignement et les désillusions face à l’impact des amendes et des
solutions comportementales, la Commission est toujours confrontée à un “obstacle
majeur” sur le plan juridique, si elle n’est pas satisfaite de la solution
proposée par Google, avance Anne Witt.
Le système juridique américain est plus propice à ordonner des démantèlements, à
la fois parce que les magistrats ont un large champ d’action pour réparer un
préjudice causé au marché, mais aussi parce que les procès intentés par le
gouvernement américain pour démanteler Google et Meta s’appuient sur des
précédents historiques, souligne Anne Witt, ce qui n’est pas le cas en Europe.
Quoi qu’il en soit, Google doit déposer ses propositions de mesures correctives
dans les soixante jours suivant la notification de la décision de la Commission
annoncée le 5 septembre.
Un porte-parole de l’entreprise a déclaré que celle-ci n’était pas d’accord avec
les accusations de la Commission, et donc avec l’idée que des mesures
correctives structurelles seraient nécessaires. L’entreprise devrait déposer son
recours dans les prochains jours.
Bien que Google ait suggéré des ventes d’actifs à la Commission au cours de
l’enquête antitrust — une idée rejetée par Bruxelles —, l’entreprise n’a pas
l’intention de céder l’intégralité de sa technologie publicitaire, selon une
personne au fait du dossier, à qui l’anonymat a été accordé en raison du
caractère sensible de l’affaire.
En fin de compte, ce qui se passera à Bruxelles pourrait dépendre de ce qui se
passera dans l’affaire américaine.
Bien qu’une cession ordonnée par un tribunal d’une partie des activités de
Google dans le domaine de la technologie publicitaire soit concevable, les juges
américains ont émis des doutes sur ce genre de solution structurelle au cours
des derniers mois, rappelle Lazar Radic, maître de conférences en droit à
l’université IE de Madrid et affilié à l’International Center for Law and
Economics, un think tank pro-Big Tech.
“Les alternatives comportementales sont toujours sur la table”, signale Lazar
Radic, à propos de l’affaire américaine.
La Commission voudra probablement s’aligner sur les Etats-Unis si le tribunal de
Virginie se range du côté du ministère de la Justice, analyse Damien Geradin,
conseiller juridique du European Publishers Council — dont Axel Springer, la
maison mère de POLITICO, est membre — qui a introduit l’affaire. Inversement, si
le tribunal opte pour une réparation plus faible que celle proposée, la
Commission sera obligée d’aller plus loin, selon le juriste.
“C’est dans ce cas où des solutions structurelles seront nécessaires. Je ne
pense pas que la [Commission européenne] puisse se contenter de moins”, précise
Damien Geradin.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais, puis a été édité en
français par Jean-Christophe Catalon.
Tag - concurrence
BRUXELLES — Aux dernières nouvelles, Mario Draghi ne semblait pas très satisfait
des progrès réalisés par l’UE en suivant son plan de relance de l’économie
européenne.
L’Europe doit réagir au “wake-up call très brutal de Trump”, a-t-il déclaré le
mois dernier, qualifiant l’Union de “mal équipée” pour faire face aux défis
mondiaux.
Un an après la publication du rapport sur la compétitivité, la Commission
européenne a lancé une multitude d’initiatives politiques portant des noms
accrocheurs, tels que “la boussole pour la compétitivité” et “le Pacte pour une
industrie propre”. Dans la plupart des cas, il semble que l’ambition soit là. Ce
qui fait défaut, c’est l’adhésion nécessaire des gouvernements nationaux.
Le European Policy Innovation Council, un think tank basé à Bruxelles, partage
l’impression qu’il y a eu beaucoup d’idées mais peu de réalisations. Son
“Observatoire Draghi” a mesuré les progrès accomplis dans divers domaines
politiques et, selon ses calculs, 11% des propositions sont “pleinement mises en
œuvre”.
Il est maintenant temps pour les experts politiques de POLITICO Pro de se
prononcer.
LE BUDGET : LOIN DU COMPTE
La Commission a créé un fonds de 409 milliards d’euros, dans le cadre du budget
septennal de l’UE, afin de financer la relance de l’industrie européenne.
Sa présidente, Ursula von der Leyen, a fait valoir que cela permettrait aux
entreprises du Vieux Continent de se développer rapidement et de réduire les
formalités administratives pour obtenir des subventions de l’UE, deux priorités
défendues par Mario Draghi.
Mais le zèle réformateur d’Ursula von der Leyen a été sapé par les gouvernements
nationaux et par certains de ses propres commissaires, qui se sont opposés à des
réductions importantes des subventions accordées aux agriculteurs et aux régions
les plus pauvres. Celles-ci ont toujours constitué une part importante du budget
et sont dépensées au niveau national pour l’essentiel.
La taille globale du budget proposé — qui représente 1,26% du revenu national
brut de l’UE, remboursement de la dette post-Covid inclus — est loin d’être à la
hauteur des défis soulignés par Mario Draghi.
Draghi-omètre :
FINANCE : DE L’AMBITION, MAIS PEU DE RÉSULTATS À CE STADE
L’appel de Mario Draghi en faveur d’un véritable marché unique de
l’investissement dans l’UE a été entendu. La nouvelle Commission von der Leyen,
entrée en fonction l’année dernière, en a fait une priorité politique et lui a
donné un nouveau nom clinquant : “l’union de l’épargne et de l’investissement”.
Elle a ajouté de nouvelles initiatives à “l’union des marchés des capitaux”,
vieille de 10 ans.
Jusqu’à présent, l’ambition semble respectable, mais bon nombre des propositions
centrales, comme les plans visant à instaurer une supervision européenne unique
des marchés de capitaux et à lever les barrières nationales pour les
entreprises, telles que les Bourses et les chambres de compensation, restent à
venir.
Comme pour tout ce qui concerne les idées de Mario Draghi, il faut s’attendre à
une opposition nationale et sectorielle à de nombreux projets de la Commission,
en particulier lorsqu’ils touchent à des domaines délicats pour les
gouvernements, comme la fiscalité ou les règles en matière d’insolvabilité.
Il ne serait donc pas surprenant qu’il fasse à nouveau, dans un an, un discours
frustré sur l’absence de progrès.
Draghi-omètre :
DETTE COMMUNE : VOYONS VOIR
Mario Draghi a toujours plaidé en faveur d’un emprunt commun de l’UE, du type de
celui qui a été contracté pendant la pandémie pour financer la reprise
économique.
Les nouveaux fonds pourraient aider à financer de grands projets
d’infrastructure dans l’ensemble de l’Union. Plus important encore peut-être,
cela permettrait de créer ce que l’on appelle un “actif européen sûr”,
c’est-à-dire une vaste réserve de dette négociable qui pourrait attirer des
investissements du monde entier, contribuer à promouvoir l’utilisation de l’euro
comme monnaie à l’échelle internationale et servir de référence pour les prêts
dans l’ensemble de l’Union européenne.
Mais il y a quelques grands “mais”.
Les emprunts conjoints ont toujours été un tabou politique, bloqués par les pays
dits frugaux, comme l’Allemagne et les Pays-Bas. Jusqu’à présent, ce tabou reste
largement intact, le chancelier allemand Friedrich Merz s’opposant à toute
nouvelle incursion de l’UE sur le marché des dettes souveraines.
Pourtant, certains signes indiquent que l’ancienne interdiction est en train de
changer : le programme de prêt de 150 milliards d’euros pour la défense
européenne a été financé par des emprunts de l’UE. C’est encore loin de l’énorme
marché des obligations d’Etat américaines, qui se mesure en dizaines de milliers
de milliards de dollars, mais c’est déjà ça.
La nouvelle proposition de budget de la Commission contient également de
nouvelles possibilités d’emprunts conjoints. La question qui reste en suspens
est de savoir si l’UE peut émettre de nouveaux emprunts de manière régulière et
prévisible — comme le font les gouvernements nationaux, et c’est ce que les
investisseurs veulent voir — ou si elle continuera à se tourner vers les marchés
obligataires de manière sporadique. Jusqu’à présent, c’est cette dernière option
qui a été retenue.
Draghi-omètre :
AUTOMOBILE : LE MINIMUM
Sur le papier, l’industrie automobile est l’un des rares domaines où la
Commission a tout ce qu’il fallait. Mario Draghi a appelé à un plan d’action
industriel pour le secteur et à l’adoption par l’exécutif d’une ligne “neutre
sur le plan technologique” dans sa révision des émissions des flottes.
Mais le diable est dans les détails, et ceux-ci sont plus difficiles à trouver.
Peu après le Nouvel An, Ursula von der Leyen a annoncé un “dialogue stratégique”
pour le secteur automobile et a publié un “plan d’action pour l’automobile”. Ce
que le plan manque en détail, il le compense par son optimisme. Les propositions
s’alignent en outre sur de nombreuses recommandations de Mario Draghi, telles
que la mise en place d’un réseau de recharge plus robuste, la promesse d’un
cadre réglementaire pour la conduite autonome et l’introduction de la neutralité
technologique dans la législation de 2035 sur les émissions des voitures.
Mais c’est une histoire connue : le problème se situe au niveau de la mise en
œuvre, qui est toujours à la traîne. Hormis la présentation d’une mesure visant
à accorder aux constructeurs automobiles une certaine indulgence sur leurs
objectifs d’émissions de cette année et l’avancement de la révision de la loi
2035, peu de mesures ont été prises depuis la publication du plan en mars.
Pendant ce temps, les constructeurs automobiles chinois continuent d’importer
leurs véhicules, délaissant les modèles électriques au profit des hybrides, plus
populaires, après que la Commission a frappé les véhicules électriques de
nouveaux droits de douane.
Draghi-omètre :
ENERGIE : DÉPENDANCE EXCESSIVE DES ETATS-UNIS, PEU DE MESURES CONCRÈTES
Le diagnostic de Mario Draghi sur les problèmes auxquels est confrontée
l’économie européenne mettait clairement en évidence les coûts élevés de
l’énergie qui nuisent aux industries du continent. Mais sa prescription —
jusqu’à 500 milliards d’euros d’investissements dans les réseaux électriques
rien que pour cette décennie — s’est avérée une pilule amère à avaler pour la
Commission, à court d’argent.
Depuis, Bruxelles a publié un “plan d’action pour une énergie abordable”, qui
présente une série de mesures visant à réduire les factures. Parmi celles-ci
figure un plan visant à investir dans les infrastructures américaines d’énergies
fossiles afin d’obtenir les meilleurs prix, ce qui a suscité l’indignation des
associations environnementales.
Ursula von der Leyen s’est engagée à dépenser 750 milliards de dollars
supplémentaires pour l’énergie américaine dans les années à venir, dans le cadre
d’un accord commercial avec Washington.
Jusqu’à présent, on ne sait pas très bien ce que cela pourrait signifier pour
les prix de l’énergie, ni même si c’est possible. Jusqu’à présent, pour
l’énergie, le rapport Draghi a donné lieu à de grandes promesses, mais à peu
d’actions.
Draghi-omètre :
TÉLÉCOMS : LES GOUVERNEMENTS NE SONT PAS FANS
Le discours de Mario Draghi — moins d’opérateurs de télécoms, dérégulation, etc.
— est arrivé à Bruxelles à point nommé, soutenant le propre projet de réforme de
la Commission.
Pourtant, ce Telecoms Act est confronté à des vents contraires. Bien que
certaines idées puissent être intégrées dans le règlement sur les réseaux
numériques (DNA) prévu pour décembre, et que les règles relatives aux fusions
soient en cours de réexamen, les gouvernements nationaux ont déjà rejeté une
grande partie des prescriptions de Mario Draghi.
Qu’il s’agisse des régulateurs, des gouvernements nationaux ou des petits
opérateurs, rares sont ceux qui sont prêts à avaler le remède de Draghi en
matière de télécommunications. Ce qui survivra dans la proposition de la
Commission reste incertain — mais il est presque certain qu’il n’obtiendra pas
tout.
Draghi-omètre :
CONCURRENCE : DES PROGRÈS COSMÉTIQUES
Teresa Ribera, la commissaire européenne chargée de la Concurrence, a réagi
rapidement aux appels lancés par Mario Draghi pour que la politique de
concurrence soit adaptée aux défis actuels en matière de productivité et de
croissance.
Au cours des premiers mois de son mandat, elle a rapidement lancé (et achevé)
une révision des lignes directrices de l’Union sur les subventions publiques —
l’encadrement des aides d’Etat dans le cadre du Pacte pour une industrie propre
(CISAF) — afin qu’elles soient mieux adaptées à l’augmentation de la
productivité des entreprises et aux efforts de décarbonation.
Elle a également lancé une vaste révision des lignes directrices accompagnant
les règles de l’UE en matière de fusion d’entreprises, qui, selon Mario Draghi,
devraient être adaptées pour tenir compte des arguments relatifs à l’efficacité
et à l’innovation.
Problème, ces nouvelles lignes directrices sur les fusions ne seront prêtes qu’à
la fin de l’année 2027. En outre, il ne s’agit que de lignes directrices et non
d’un nouveau règlement : les experts prévoient donc une influence limitée sur la
manière dont les responsables de la Commission chargés de la concurrence
évaluent les fusions.
Si le nouvel encadrement des aides d’Etat ne modifie pas radicalement la marge
de manœuvre des pays de l’UE lorsqu’il s’agit de subventionner leur industrie,
même les points les plus ambitieux, comme les réductions sur les factures
d’électricité pour les entreprises gourmandes en énergie, sont assortis de
lourdes conditions. Ceux qui espèrent une révision de la politique de
concurrence conservatrice de l’Union européenne risquent d’être déçus.
Draghi-omètre :
COMMERCE : TOUJOURS LA MÊME CHOSE
Sur ce point, tout dépend de la personne à qui l’on s’adresse. Les secteurs
industriels de l’UE qui demandent plus de protections commerciales trouveront
probablement que la Commission n’est pas à la hauteur. Dans le même temps, elle
a tenu bon face aux pressions chinoises visant à enterrer les droits de douane
sur les voitures électriques pour contrer le soutien de l’Etat de Pékin.
Bruxelles a appliqué ces mesures moins de deux mois après la publication du
rapport Draghi et s’est toujours opposé à l’adoption d’un prix plancher avec les
Chinois depuis.
Mario Draghi a suggéré que la Commission ouvre de nombreuses enquêtes de ce
type, notamment de sa propre initiative et pas seulement sur la base d’une
plainte formelle de l’industrie. Cela ne s’est pas encore produit ; l’affaire
des véhicules électriques reste la seule à ce jour.
Le rapport de l’Italien appelait à une politique économique étrangère
européenne. La guerre tarifaire du président américain Donald Trump a rendu
cette question encore plus urgente.
Mais là encore, peu de choses ont été réalisées pour préparer solidement l’UE à
des temps encore plus difficiles. La réponse longue et coûteuse aux tarifs
douaniers de Trump y est pour beaucoup, de même que la stratégie traditionnelle
de prudence de l’UE en matière de politique commerciale, qui s’en tient aux
règles de l’Organisation mondiale du commerce.
Draghi-omètre :
CYBERSÉCURITÉ : DES PROMESSES, ENCORE DES PROMESSES
L’Europe est confrontée à une guerre conventionnelle à sa frontière orientale et
à une guerre hybride partout ailleurs. Cela signifie des cyberattaques sur les
réseaux énergétiques et les télécommunications, l’ingérence dans les élections
et l’instrumentalisation de l’immigration.
La Commission et les dirigeants du Danemark, de l’Estonie, de la Finlande, de
l’Allemagne, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Pologne et de la Suède ont
publié une déclaration commune de soutien lors du sommet des alliés de l’Otan
sur la mer Baltique, le 14 janvier, avant le lancement de l’opération Baltic
Sentry de l’Alliance visant à renforcer la présence militaire dans la mer
Baltique.
Bruxelles a également affecté 540 millions d’euros à l’infrastructure de
connectivité dans le cadre du programme Mécanisme pour l’interconnexion en
Europe 2024-2027, qui comprend le financement de systèmes de câbles intelligents
conçus non seulement pour transporter des données, mais aussi pour servir de
capteurs d’alerte précoce.
Il promet également de renforcer la capacité européenne de déploiement et de
réparation des câbles en constituant une flotte capable d’intervenir rapidement
dans toutes les eaux de l’UE, mais peu de choses se sont produites depuis que la
vice-présidente exécutive Henna Virkkunen a fait cette déclaration en janvier.
Draghi-omètre :
DÉFENSE : JALOUSEMENT GARDÉE PAR LES ETATS MEMBRES
Si vous lisez certaines lignes du rapport sur la compétitivité présenté par
Mario Draghi il y a un an, il est facile de voir que l’UE l’a écouté. Par
exemple, l’Italien a demandé de “créer un poste de commissaire chargé de
l’industrie de la défense, doté d’une structure et d’un financement appropriés”.
C’est ce qui a été fait, mais c’était la partie la plus facile.
Cette proposition figurait déjà dans le manifeste du Parti populaire européen
d’Ursula von der Leyen pour les élections européennes de juin 2024. Dans le même
rapport, Mario Drgahi appelle à “renforcer la Commission dans son rôle de
coordination dans le domaine de la politique industrielle de défense”. Et c’est
la partie la moins facile.
La défense est une responsabilité nationale et les gouvernements n’ont
généralement pas envie que la Commission joue un rôle plus important.
Le mois dernier, Mario Draghi a répété que les barrières internes étaient l’une
des principales raisons du retard de l’Europe et qu’elles rendaient également le
développement de la défense européenne moins efficace. Bien que les pays de l’UE
aient l’intention d’augmenter leurs investissements militaires de 2 000
milliards d’euros d’ici 2031, “nous avons des barrières internes qui imposent
des droits de douane de 64% sur les équipements et de 95% sur les métaux”,
a-t-il pointé.
Les diplomates soulignent que Mario Draghi défend souvent des idées qui ne sont
pas en phase avec les gouvernements nationaux. Le meilleur exemple remonte à
septembre dernier, lorsqu’il a appelé l’Europe à “fédéraliser une partie des
dépenses d’investissement”. Le mot “fédéralisme” est devenu presque tabou, et
les emprunts dédiés à la défense sur les marchés financiers (ou defense bonds)
sont encore loin de voir le jour.
Draghi-omètre :
SANTÉ : LENTEMENT MAIS SÛREMENT
Peu de commissaires ont repris les messages du rapport Draghi avec autant
d’enthousiasme que celui de la Santé, Olivér Várhelyi. Il s’efforce d’achever
d’ici la fin de l’année une proposition de législation sur les biotechnologies,
qui devrait permettre d’accomplir certaines tâches importantes dans le cadre de
son plan de draghification.
Selon Mario Draghi, le sous-investissement et la bureaucratie sont les
principaux responsables de la faible compétitivité de l’Europe par rapport aux
Etats-Unis et à la Chine en matière d’innovation pharmaceutique et d’essais
cliniques. Le lobby pharmaceutique européen a salué la proposition de budget de
juillet pour l’inclusion d’un programme-cadre de recherche avec un budget accru
de 175 milliards d’euros, mais il affirme que le financement de la recherche en
santé en Europe demeure insuffisant.
Mario Draghi a fait remarquer que le dernier budget d’Horizon Europe allouait
8,2 milliards d’euros à la santé, ce qui est dérisoire par rapport aux 47
milliards d’euros dépensés par les Etats-Unis en 2023. La dernière proposition
de budget de l’UE alloue 22,6 milliards d’euros à la santé, aux biotechnologies
et à la bioéconomie. Un investissement important, mais il y a encore un long
chemin à parcourir.
Sur le plan réglementaire, les recommandations les plus urgentes de l’Italien à
court terme étaient que la Commission maximise l’impact de l’espace européen des
données de santé (EHDS) et mette pleinement en œuvre le règlement relatif à
l’évaluation des technologies de la santé. L’EHDS existe, mais les évaluateurs
nationaux ont eu du mal à obtenir les ressources dont ils ont besoin.
L’une des idées de Mario Draghi, qui consiste en ce que l’UE soutienne des
“centres d’innovation de classe mondiale” sur le modèle des centres
californiens, a déjà été intégrée dans la stratégie sur les sciences de la vie
publiée en juillet. Toutefois, les espoirs de l’industrie de voir un texte
changer la donne reposent toujours sur la législation sur les biotechnologies.
Draghi-omètre :
DURABILITÉ : TOUT EST FAIT, LES ENTREPRISES DISENT MERCI
Le premier grand texte législatif de cette Commission est tout droit sorti du
manuel de Draghi : un projet de loi gigantesque qui réduit toute une série de
lois environnementales pour les entreprises.
Dans le cadre de la proposition de loi de simplification omnibus — qui suit
actuellement le processus législatif —, beaucoup moins d’entreprises seront
soumises à des règles en matière de reporting environnemental, et celles qui le
seront encore verront leurs obligations considérablement réduites.
La portée d’une taxe carbone aux frontières a également été réduite. Les
entreprises sont ravies. Les associations environnementales sont consternées.
Parmi les législateurs, c’est au Parlement européen que la résistance est la
plus forte, mais les groupes de droite ont les moyens de vaincre les opposants
de gauche au projet de loi.
A la suite de la publication du texte en février, la Commission a proposé une
longue liste de réformes qui édulcorent les réglementations environnementales
introduites dans le cadre du Pacte vert européen : des obligations imposées aux
agriculteurs aux réglementations sur les produits chimiques en passant par les
règles contre le greenwashing ; tout cela au nom de la réduction des
“réglementations restrictives” détestées par Mario Draghi.
Draghi-omètre :
AGRICULTURE : LA GRANDE ABSENTE
Le rapport Draghi ne contient aucune proposition concernant l’avenir de
l’agriculture, alors que la politique agricole commune (PAC) représente un tiers
du budget de l’UE. Une recherche Ctrl + F dans le document de 400 pages ne donne
qu’une poignée d’occurrences du mot “agriculture”, principalement en rapport
avec les technologies de l’information, l’intelligence artificielle et
l’observation par satellite.
Ce qui ressort clairement du rapport Draghi, c’est qu’il considère les dépenses
agricoles de l’UE comme une source potentielle d’argent à réallouer vers ses
priorités stratégiques — principalement le renforcement de la compétitivité
industrielle et de la sécurité européenne. La proposition de budget à long terme
et le projet de réforme de la PAC dévoilés en juillet prévoient une réduction de
20% du budget des subventions agricoles, qui passerait ainsi à 300 milliards
d’euros, et ce, sans tenir compte de l’inflation.
La Commission a fait valoir qu’en réalité, le montant allant dans les poches des
agriculteurs restait le même, le financement du développement rural étant
simplement transféré vers des enveloppes gérées par les gouvernements nationaux.
C’est peut-être le cas, mais le rapport Draghi n’en fait pas mention.
Draghi-omètre :
Francesca Micheletti, Carlo Martuscelli, Kathryn Carlson, James Fernyhough,
Mathieu Pollet, Gabriel Gavin, Koen Verhelst, Douglas Busvine, Jacopo Barigazzi,
Jordyn Dahl, Antoaneta Roussi, Rory O’Neill et Gregorio Sorgi ont contribué à
cet article. Ce dernier a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été
édité en français par Jean-Christophe Catalon.
PARIS — L’agenda bien chargé des députés et des sénateurs se prépare à un coup
d’effaceur, maintenant que le gouvernement a été contraint à la démission.
L’examen des textes législatifs prévus en septembre est désormais mis sur pause,
en attendant la nomination d’un nouveau gouvernement de plein exercice.
Une partie du travail parlementaire va se poursuivre malgré tout pendant la
période d’affaires courantes qui s’ouvre.
Dès la mi-septembre, à l’Assemblée nationale, des auditions sont programmées en
commission sur la rentrée scolaire. Plusieurs rapports doivent être examinés,
comme ceux sur l’encadrement des loyers, l’impact des dispositifs fiscaux et
sociaux sur le reste à vivre des travailleurs de la classe moyenne ou encore sur
les conditions d’accueil et d’encadrement des séjours de cohésion du service
national universel.
Le PDG de CMA CGM, Rodolphe Saadé, sera auditionné par la commission des
Affaires économiques le 17 septembre. Le même jour, le sort de la pétition
contre la loi Duplomb aux plus de 2 millions de signatures sera tranché par les
députés, qui devraient décider d’organiser un débat dans l’hémicycle. Il se
tiendra “probablement en octobre, à la reprise de la session ordinaire du
Parlement”, nous précise un conseiller de la présidence de l’Assemblée
nationale.
Dans l’attente des maquettes budgétaires définitives, les rapporteurs des
projets de loi de finances et de loi de financement de la Sécurité sociale ont
également débuté leurs travaux.
PLUIE DE MISSIONS D’INFORMATION
A défaut de discuter et voter des lois, les parlementaires pourront ronger leur
frein sur de nouvelles missions d’information, déjà dans les tablettes pour les
prochaines semaines.
Côté Assemblée, les groupes politiques ont déjà commencé à faire remonter leurs
demandes pour l’ouverture de la session. Dans les tuyaux sondés par POLITICO,
figure ainsi un audit flash du député MoDem Richard Ramos sur l’utilisation
d’hydrocarbures (comme l’hexane) dans la production d’huiles alimentaires.
Sans que tous les rapporteurs aient déjà été nommés, une mission sur le modèle
des résidences gérées (Ehpad, étudiantes, seniors) à l’initiative du groupe EPR
a déjà été approuvée, alors que les députés DR ont obtenu une mission flash sur
la concurrence déloyale dans l’économie du ski, notamment entre moniteurs
français et étrangers.
Au sein de la commission des Finances, présidée par l’Insoumis Eric Coquerel,
des députés plancheront sur le coût, la légitimité et l’efficacité des
dispositifs d’aides publiques aux entreprises, quelques mois après les
conclusions sénatoriales sur le sujet.
Autres cahiers à étrenner : Jean-René Cazeneuve (EPR) et Jacques Oberti (PS)
disserteront sur les services publics de La Poste avant une prochaine loi
postale ; Jean-Didier Berger (EPR) et Jocelyn Dessigny (RN) sur les versements
indus de la Caisse nationale des allocations familiales ; Danielle Simonnet
(Ecologiste) et Thomas Cazenave (EPR) sur le potentiel d’économies de l’IA dans
le secteur public ; Sophie Mette (MoDem) et Karim Ben Cheikh (Ecologiste) sur
les moyens affectés à la diplomatie française.
Côté Affaires sociales, deux missions d’information, déjà arbitrées, doivent
être lancées : l’une sur les chiffres du chômage, l’autre sur le respect du
dialogue social et du paritarisme.
De nouvelles commissions d’enquête pourront aussi être lancées dès la reprise de
la session ordinaire, le 1er octobre. A l’Assemblée, celle qui porte sur la
défaillance des politiques publiques en matière de santé mentale entamera ses
travaux le 9 septembre. Elle avait été demandée par le groupe socialiste juste
avant l’été.
REPRISE DIFFÉRÉE AU SÉNAT, PARLEMENTAIRES EN AUDIT
“Le programme des travaux de contrôle est encore en cours de réalisation. Les
propositions de nouveaux rapports seront examinées à partir d’octobre”, signale
Philippe Mouiller, le président LR de la commission des Affaires sociales.
Au Palais du Luxembourg, en plus de l’examen du budget, l’automne rime
classiquement avec la poursuite de travaux déjà initiés, comme celui sur la
consolidation de la base industrielle et technologique de défense en Europe ou
l’avenir de la filière viticole, avant de lancer un nouveau cycle de missions à
l’approche de l’hiver.
Avant le budget, la commission aux Affaires sociales soldera l’examen de deux
rapports. Un sur des pistes de financement de la Sécurité sociale, conduit par
la rapporteure Elisabeth Doineau (UC) et Raymonde Poncet-Monge (Ecologiste), et
un autre sur le pilotage des politiques de prévention en santé.
En attendant de savoir à qui ils enverront leur copie, plusieurs parlementaires
sont en mission pour l’exécutif. A l’image du député Eric Woerth (EPR) sur la
réforme de la gouvernance du PMU, des sénateurs Yannick Monnet (PCF) et du
député Jean-François Rousset (EPR) sur les dépassements d’honoraires dans les
professions de santé ou bien la sénatrice Sylviane Noël (LR) et le député
Anthony Brosse (EPR), qui ont été invités à élaborer une stratégie de filière
pour l’agritourisme.